L’action en démolition fondée sur le trouble anormal de voisinage est indépendante de celle prévue par l’article L 480-13 du Code de l’urbanisme

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

December 2021

Temps de lecture

4 minutes

Cass. Civ. 3e 20 octobre 2021, n° 19-23.233, 19-26.155, 19-26.156

1.     Le contexte du pourvoi

Un particulier, M. H., a réalisé une extension de sa maison, sur une longueur de dix-sept mètres, pour une emprise au sol de soixante-dix mètres carrés et une hauteur de quatre mètres, et ce, en limite de propriété. Cette extension a été réalisée conformément à un permis de construire délivré le 24 novembre 2008, annulé par la juridiction administrative le 19 juin 2012, et à un permis de construire délivré le 16 janvier 2013, également annulé par la juridiction administrative le 12 avril 2018.

L’annulation des permis de construire relatifs à l’extension de la maison était fondée sur la méconnaissance par le projet de la règle de retrait des constructions, posée par l’article UC 7 du plan local d’urbanisme de la commune, qui interdisait, sauf dans des cas limitativement énoncés, les constructions en limite séparative de terrain.

Le projet d’extension a donc été réalisé en conformité avec les permis de construire mais en méconnaissance de la règlementation d’urbanisme locale applicable.

Les propriétaires de la maison voisine ont assigné M. H. devant les juridictions civiles aux fins d’obtenir la démolition de l’extension ainsi réalisée, sur le fondement de l’article L.480-13 du code de l’urbanisme ainsi que sur le fondement des troubles de voisinage, qu’ils estiment selon eux excéder les inconvénients normaux.

D’abord déboutés en première instance, les propriétaires voisins ont obtenu gain de cause devant la cour d’appel de Lyon 1)Cour d’Appel de Lyon 17 septembre 2019, n°16/00282 : sans se fonder sur les dispositions de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme, la cour a jugé que l’extension en cause constituait un trouble anormal de voisinage, dès lors que les voisins, qui jouissaient auparavant d’une vue dégagée sur les collines, avaient désormais vue sur un mur de parpaings et que la nouvelle construction faisait de l’ombre à leur piscine, et a condamné M. H. à démolir son extension sous astreinte.

Ce dernier s’est pourvu en cassation, reprochant aux juges d’appel de ne pas avoir fait application de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme, relatif à l’action en démolition pour violation des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique.

Cet article, introduit par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, dite loi « Macron » dispose :

« Lorsqu’une construction a été édifiée conformément à un permis de construire :

1° Le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l’ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative et, sauf si le tribunal est saisi par le représentant de l’État dans le département sur le fondement du second alinéa de l’article L. 600-6, si la construction est située dans l’une des zones suivantes : […] ».

H. fait valoir qu’en vertu de cet article, la démolition ne peut être prononcée que dans certains périmètres protégés ou à risque et qu’en l’espèce, il n’est pas allégué que la construction en cause soit incluse dans l’un de ces périmètres.

La troisième chambre civile de la Cour de cassation a ainsi eu à se prononcer sur la question de savoir si le juge judiciaire pouvait, sur le fondement du trouble anormal de voisinage, ordonner la démolition d’une construction réalisée en violation des règles d’urbanisme mais conformément à un permis de construire annulé, alors que les conditions de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme n’étaient pas remplies.

2.    La décision de la Cour de Cassation

Dans sa décision du 20 octobre 2021, la cour de cassation rejette le pourvoi aux motifs que la cour d’appel, dont elle relève qu’elle a souverainement apprécié les modalités de réparation du trouble anormal de voisinage qu’elle a constaté, a justement ordonné la démolition de l’extension, sans se fonder sur les dispositions de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme, qui ne s’applique qu’aux demandes de démolition fondées sur la méconnaissance des règles d’urbanisme ou des servitudes publiques.

Ainsi, la cour de cassation permet à un tiers voisin, s’estimant lésé par une construction, d’échapper aux contraintes posées par l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme en fondant son action, non pas sur la méconnaissance d’une règle d’urbanisme, mais sur l’inconvénient anormal de voisinage, dont il faut rappeler qu’il s’agit d’un régime sans faute.

Dans le cadre de cette action, le juge judiciaire ne cherche pas à réparer la violation d’une règle d’urbanisme mais à réparer le trouble anormal du voisinage.

Les modalités de cette réparation étant souverainement appréciées par les juges du fond, ces derniers n’hésitent pas à prononcer la démolition de la construction réalisée en violation d’une règles d’urbanisme lorsqu’ils estiment qu’elle constitue le seul remède au trouble anormal et au préjudice subi.

Cette solution s’inscrit dans la même lignée que plusieurs décisions rendues ces dernières années par la cour de cassation en matière de trouble anormal de voisinage. Par un arrêt en date 7 décembre 2017 2)Cass. 3e civ 7 décembre 2017 n°16-13.309, jugé sévère, la cour de cassation a notamment ordonné, en dehors du dispositif de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme, la démolition d’une construction, pourtant réalisée conformément à un permis de construire et aux règles d’urbanisme, dès lors que celle-ci générait un trouble anormal de voisinage tenant en l’espèce à une perte d’ensoleillement et de luminosité importante.

Le trouble anormal de voisinage constitue donc un fondement efficace à l’action en démolition d’une construction, édifiée conformément à un permis de construire, et ce, indépendamment du dispositif de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme et de l’appréciation des règles d’urbanisme.

 

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References   [ + ]

1. Cour d’Appel de Lyon 17 septembre 2019, n°16/00282
2. Cass. 3e civ 7 décembre 2017 n°16-13.309

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