Les manquements entraînant l’annulation de la procédure de passation ne peuvent pas être « neutralisés » par la prise en compte d’un intérêt public

Catégorie

Contrats publics

Date

June 2021

Temps de lecture

4 minutes

CE 18 mai 2021 SNBTP, req. n° 448618

Par sa décision SNBTP, le Conseil d’Etat rappelle l’obligation de porter à la connaissance des candidats une information suffisante dès le lancement de la procédure sur les critères de sélection des offres ainsi que sur la pondération/hiérarchisation des sous-critères et confirme, en outre, les conditions dans lesquelles l’acheteur peut invoquer un « intérêt public » pour « sauver » la procédure.

La commune de La Léchère (« la commune ») a lancé une procédure adaptée en vue de la passation d’un accord-cadre à bons de commande et alloti relatif à des « prestations de déneigement et sablage des voiries et parking, transport de neige, mise à disposition et location de machines, mise à disposition de chauffeur ».

L’offre de la société SNBTP pour le lot n° 4 a été rejetée par un courrier en date du 1er décembre 2020.

Cette dernière a ainsi saisi le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Grenoble, lequel a, par une ordonnance du 24 décembre 2020, annulé la procédure de passation au stade de l’examen des offres et enjoint à la commune, si elle entendait poursuivre l’attribution du marché, de reprendre la procédure à ce stade.

La commune a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat.

Le Conseil d’Etat se prononce dans cette affaire sur l’information appropriée des candidats sur les critères d’attribution (1) et confirme les conditions dans lesquelles l’intérêt public peut être invoqué en défense (2).

  • Sur l’information appropriée des candidats

Le Conseil d’Etat rappelle d’abord que :

« pour assurer le respect des principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l’information appropriée des candidats sur les critères d’attribution d’un marché public est nécessaire, dès l’engagement de la procédure d’attribution du marché, dans l’avis d’appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d’autres critères que celui du prix, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces critères. Il doit également porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation des sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l’importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d’exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent, en conséquence, être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection » 1)Cf. notamment : CE 6 avril 2016 Commune de la Bohalle, req. n° 388123, s’agissant des règles applicables aux « sous-sous-critères »..

C’est parce que les sous-critères peuvent être regardés eux-mêmes comme des critères de sélection que le Conseil d’Etat leur applique le même régime.

En revanche, la méthode de notation n’a pas à être portée à la connaissance des candidats 2)CE 31 mars 2010 Collectivité territoriale de Corse, req. n° 334279 – CE 26 septembre 2012 Communauté d’agglomération Seine-Eure, req. n° 359706 CE 3 novembre 2014 Commune de Belleville-sur-Loire, req. n° 373362 – Mais le juge contrôle la méthode choisie..

En l’espèce, le Conseil d’Etat va juger que :

« faute d’avoir porté à la connaissance des candidats la façon dont elle entendait décomposer, au stade de l’analyse des offres, les trois sous-critères du critère technique prévus dans le règlement de consultation en plusieurs items, et la pondération qui en résultait pour chacun de sous-critères, la commune de La Léchère a commis un manquement au principe de transparence des procédures, mentionné au point 2. En statuant de la sorte, alors qu’il résulte de l’instruction que la grille d’analyse utilisée par la commune conduisait à ce que les sous-critères « méthodologie », « continuité du service » et « moyens humains » comptent respectivement pour 6/11, 3/11 et 2/11 dans la note technique, et établissait ce faisant une pondération entre ces derniers, de nature, si elle avait été connue des candidats, à influencer la présentation de leurs offres, le juge des référés n’a ni entaché son ordonnance d’erreur de droit et d’erreur de qualification juridique des faits, ni méconnu son office ».

Autrement dit, eu égard à l’importance de la pondération entre eux, les sous-critères du critère technique devaient regardés eux-mêmes comme des critères de sélection, que la commune aurait dû porter à la connaissance des candidats.

Le Conseil d’Etat confirme l’annulation de la procédure à cet égard, après avoir souligné que ce manquement « était susceptible d’avoir lésé » la requérante dans la mesure où elle « avait obtenu la meilleure note au regard du critère du prix et que l’écart de points entre les deux candidats était relativement faible au niveau de leur note globale ».

  • l’absence de prise en compte d’un interet public lorsque le manquement entraîne l’annulation de la procedure

La commune estimait en outre que le juge des référés aurait commis une erreur de droit notamment « en ne recherchant pas d’office si des considérations d’intérêt public faisaient obstacle à la reprise de la procédure au stade des offres ».

Le Conseil d’Etat répond, là encore, par la négative.

L’article L. 551-2 du code de justice administrative dispose :

« I. – Le juge peut ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l’exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s’il estime, en considération de l’ensemble des intérêts susceptibles d’être lésés et notamment de l’intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l’emporter sur leurs avantages.

Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations.

(…) ».

Ainsi, trois options s’offrent au juge :

  • Soit d’ordonner au pouvoir adjudicateur de se conformer à ses obligations en suspendant l’exécution des décisions relatives à la passation du contrat ;
  • Soit d’annuler ces décisions ;
  • Soit de supprimer, lorsque cela est possible, les clauses du contrat méconnaissant ces obligations.

Or, ce n’est que dans le cadre de la première hypothèse visée que le juge peut se livrer à une appréciation « coûts/avantages » des intérêts en présence, notamment de l’intérêt public, et donc se prononcer en faveur de la poursuite de la procédure malgré les manquements relevés.

Dans la mesure où les manquements entachant la procédure justifient en l’espèce l’annulation de la procédure, le Conseil d’Etat va donc écarter la possibilité de se prévaloir d’un quelconque intérêt public pour poursuivre la passation du contrat 3)CE 29 avril 2015 Syndicat de valorisation des déchets de la Guadeloupe (SYVADE), req. n° 386748.

Estimant qu’aucun des moyens n’était fondé, le Conseil d’Etat rejette le pourvoi.

 

Partager cet article

References   [ + ]

1. Cf. notamment : CE 6 avril 2016 Commune de la Bohalle, req. n° 388123, s’agissant des règles applicables aux « sous-sous-critères ».
2. CE 31 mars 2010 Collectivité territoriale de Corse, req. n° 334279 – CE 26 septembre 2012 Communauté d’agglomération Seine-Eure, req. n° 359706 CE 3 novembre 2014 Commune de Belleville-sur-Loire, req. n° 373362 – Mais le juge contrôle la méthode choisie.
3. CE 29 avril 2015 Syndicat de valorisation des déchets de la Guadeloupe (SYVADE), req. n° 386748

3 articles susceptibles de vous intéresser