Les subventions allouées dans le cadre de délégations de service public confrontées au régime des aides d’Etat

Catégorie

Contrats publics

Date

August 2012

Temps de lecture

4 minutes

CE 13 juillet 2012 SNCM et CMN c/société Corsica Ferries req. n° 355616, à paraître au Recueil.

CE 13 juillet 2012 Communauté de communes d’Erdre et Gesvres et autres c/ Aéroport Notre-Dame-des-Landes, req. n° 347073, à paraître au Recueil.

Par deux arrêts en date du 13 juillet dernier, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de confronter les subventions allouées aux cocontractants de personnes publiques dans le cadre de délégations de service public (DSP) françaises au régime européen des aides d’Etat établi par les articles 106, 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne.

Pour mémoire, ces dispositions prohibent les aides accordées au moyen des finances publiques et bénéficiant aux entreprises dans des conditions altérant le jeu normal de la concurrence. Elles exigent notamment que les Etats notifient leurs projets d’aide à la Commission préalablement à leur mise en œuvre, de telle sorte que celle-ci puisse contrôler a priori leur compatibilité avec le marché commun. Depuis déjà près de dix ans, cette prohibition des aides d’Etat est nuancée par un traitement particulier réservé à celles qui ont pour objet d’accompagner l’exécution d’un « service d’intérêt économique général » (SIEG). Ainsi, le juge européen, par son fameux arrêt Altmark[1], dont les critères ont été consacrés par les paquets « Monti-Kroes » puis « Almunia »[2], a permis, sous conditions, la pratique de la compensation financière d’obligations de service public mises à la charge d’entreprises chargées d’un SIEG.

Le juge administratif français a déjà eu l’occasion de contrôler que les décisions des personnes publiques françaises ne contreviennent pas aux règles des articles 106 à 108 du Traité[3], mais ici, son examen s’exerce dans le cadre particulier des relations financières nées de la conclusion de DSP.

L’un de ces arrêts intéresse la procédure conduite par la collectivité territoriale de Corse pour l’attribution de la DSP de la desserte maritime de l’île – c’est l’éternelle affaire Corsica Ferries ; l’autre concerne la convention conclue entre l’Etat et la société Aéroports du Grand Ouest pour la concession de l’aérodrome de Notre-Dame-des-Landes. Dans ces deux affaires, les requérants ont reproché aux décisions approuvant les contrats de permettre le versement par les personnes publiques à leurs délégataires de sommes qu’ils estiment constituer des aides d’Etat, et dans ces deux affaires, le Conseil d’Etat n’a pas admis cette critique.

L’arrêt SNCM et CMN a d’abord permis au juge de conditionner son contrôle de la qualification d’aide d’Etat au caractère certain de l’attribution de l’aide.

Le Conseil d’Etat censure ainsi l’arrêt de la cour parce qu’il retient la qualification d’aide d’Etat à l’égard d’une clause de revoyure dont la mise en œuvre est à ce stade hypothétique : le contrat prévoit (très classiquement) qu’en cas de modifications affectant les conditions d’exécution du service, les parties conviennent de se rencontrer en vue de « rétablir l’équilibre économique de la convention », en intervenant en priorité sur le niveau des tarifs et sur le contenu des services assurés. L’attribution d’une subvention au délégataire sur le fondement de cette clause reste donc à ce jour seulement éventuelle. Le juge estime ainsi que c’est uniquement si cette clause venait à trouver effectivement application que son contrôle pourrait s’exercer.

Ensuite, par son arrêt Notre-Dame-Des-Landes, le Conseil d’Etat applique les critères Altmark à la subvention d’aide à la construction de l’aérodrome de 165 millions d’euros que la concession d’exploitation de l’aérodrome prévoit au bénéfice de la société Aéroports du Grand Ouest, en leur réservant cependant une interprétation adaptée aux spécificités d’une DSP.

Dans un premier temps, le juge considère que :

  • La société bénéficiaire est bien chargée de l’accomplissement d’une obligation de service public : la construction de l’aéroport ;
  • Les paramètres de calcul de la compensation ont été bien été préalablement établis, parce que les candidats ont été invités à en proposer le montant en fonction des données d’exploitation objectives et transparentes que l’Etat leur a communiquées pendant la procédure ;
  • Le taux de rentabilité raisonnable de 13,41 % affiché par le concessionnaire démontre que le montant de l’aide ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts de l’obligation de construire l’aéroport[4].

Puis, par son dernier considérant appliquant les critères Altmark, la Haute Juridiction reconnaît à la procédure de passation des DSP définie par la loi « Sapin » des effets excluant la qualification d’aide d’Etat. L’arrêt relève qu’elle organise un jeu concurrentiel transparent qui permet d’effectuer une comparaison utile d’offres formulées en considération de données identiques. Cette procédure a ainsi permis de sélectionner le candidat capable de réaliser l’équipement au moindre coût pour la personne publique (le montant de la compensation proposé par les candidats constituait l’un des critères de sélection des offres).

Au vu de ces considérations, le juge exclut que l’aide de 165 millions d’euros puisse constituer une aide d’Etat.


[1] CJCE 24 juillet 2003 Altmark Trans GmbH, aff. C-280/00.

[2] En 2005, le paquet « Monti-Kroes » avait consacré les critères retenus par la jurisprudence Altmark pour exclure de la qualification d’aide d’Etat les subventions ayant pour objet de compenser des obligations liées à l’exécution d’un SIEG.

Récemment, les instances européennes l’ont remplacé par le paquet « Almunia », sans modifier sur le fond ces critères (voir notamment la décision 2012/21/UE de la Commission du 20 décembre 2011 relative à l’application de l’article 106, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux aides d’État sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général).

[3] Voir par exemple CE 27 février 2006 Compagnie Ryanair Limited, req. n° 260446, Rec. p. 95 ; ainsi que CE 29 mars 2006 Centre d’exportation du livre français (CELF), req. n° 274923 ; ou encore, en matière de gestion aéroportuaire, CE 26 juillet 2011 société Air France, req. n° 329818, mentionné aux Tables. Plus récemment encore, la Haute Juridiction s’est prononcée sur la qualification d’aide d’Etat de subventions régionales versées aux collectivités organisatrices des transport les ayant elles-mêmes reversées à leurs exploitants de transport pour moderniser les équipements de transport routier (CE 23 juillet 2012 Région Ile-de-France, req. n° 343440, mentionné aux tables du Recueil).

[4] Attention néanmoins, le seul critère d’un taux de rendement « raisonnable » ne peut pas suffire, les candidats pouvant baser leurs offres sur des hypothèses de recettes pessimistes et surévaluer ainsi le montant de la compensation allouée par la personne publique sans afficher un taux de rentabilité déraisonnable : en l’espèce, cette hypothèse avait été anticipée par une clause de reversement de l’aide en cas de dépassement des prévisions de recettes.

 

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