L’office du juge en cas de jurisprudence nouvelle

Catégorie

Contrats publics

Date

April 2013

Temps de lecture

3 minutes

CE 19 avril 2013 Chambre de commerce et d’industrie d’Angoulême, req. n° 340093

A l’occasion d’une décision relative aux incertitudes nées de sa jurisprudence assez constructive en matière de contrats publics, le Conseil d’Etat pose de nouvelles règles en matière de contradictoire.

Sur le fond, l’affaire est assez simple : la CCI d’Angoulême demande à l’Etat le remboursement d’avance qu’elle lui a consenties au titre de la gestion de l’aérodrome de Brie-Champniers.

Sur le plan contractuel, c’est le préfet de la Charente qui avait confié la gestion de l’aérodrome à la CCI d’Angoulême. Or, s’agissant d’une concession d’outillage, le préfet était incompétent et la concession aurait dû résulter d’un arrêté pris par les ministres chargés de l’économie et de l’aviation civile.

Devant le tribunal administratif aussi bien que devant la cour administrative d’appel, les parties avaient exclusivement débattu, compte tenu des règles alors applicables, sur le terrain de la responsabilité quasi-contractuelle et sur celui de la responsabilité quasi-délictuelle.

Or, la clôture d’instruction fermant aux parties toute possibilité de débat et le jugement de l’affaire par la cour administrative d’appel de Bordeaux, le Conseil d’Etat a rendu l’arrêt Commune de Béziers (28 décembre 2009, req. n° 304802) énonçant une nouvelle règle, désormais bien connue, selon laquelle « il incombe en principe au juge, saisi d’un litige relatif à l’exécution d’un contrat, de faire application du contrat ». Et « c’est seulement dans le cas où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, qu’il ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ».

Faisant application de cette nouvelle jurisprudence, la Cour juge que l’incompétence du préfet pour signer la concession n’était pas d’une gravité telle qu’elle eut dû écarter le contrat dès lors qu’il résultait du dossier soumis au juge du fond que les ministres concernés avaient approuvé l’opération et rejette les demandes indemnitaires présentées sur un terrain inadéquate.

On sait que la jurisprudence est d’application directe :

« (…) Si cette règle de réparation résulte d’une jurisprudence postérieure à l’arrêt attaqué, il appartient en principe au juge administratif de faire application de la règle jurisprudentielle nouvelle à l’ensemble des litiges, quelle que soit la date des faits qui leur ont donné naissance, sauf si cette application a pour effet de porter rétroactivement atteinte au droit au recours (…) » 1) CE 2 septembre 2009 Assistance Publique de Marseille, req. n° 297013

Sur ce point, l’arrêt de la CAA de Bordeaux n’était pas contestable mais il est vrai qu’il ne paraissait guère légitime de rejeter une demande en se fondant sur une règle qui n’existait pas au moment où le contentieux a été débattu.

C’est sur le terrain du contradictoire que le Conseil d’Etat censure les juges d’appel et dénoue l’épineux problème en exposant un véritable mode opératoire :

« (…) si, en faisant application des règles issues d’une décision du Conseil d’Etat, statuant au contentieux postérieure à cette dernière date, la cour s’est bornée à exercer son office en situant le litige sur le terrain juridiquement approprié et n’a pas soulevé un moyen d’ordre public qu’elle aurait dû communiquer aux parties en application de l’article R. 611-7 du code de justice administratif, elle ne pouvait, eût égard aux exigences de la procédure contradictoire, régler l’affaire sur un terrain dont les parties n’avaient pas débattu sans avoir mis celles-ci à même de présenter leurs observations sur ce point ; qu’il lui incombait à cette fin soit de rouvrir l’instruction en invitant les parties à s’exprimer sur les conséquences à tirer du Conseil d’Etat, statuant au contentieux en date du 28 décembre 2009, soit de juger, par un arrêt avant-dire droit, qu’elle entendait régler le litige, compte tenu de cette décision, sur le terrain contractuel et en demandant en conséquence aux parties de formuler leurs observations sur ce terrain (…) ».

Par conséquent, lorsqu’en cours d’instance, un précédent applicable au litige modifie le terrain juridiquement approprié, le juge doit dans tous les cas permettre aux parties de débattre, soit en soulevant un moyen d’ordre public, soit en rouvrant l’instruction, soit, le cas échéant, en prenant une décision avant-dire droit dans laquelle il indique qu’il entend appliquer les règles qui résultent de la nouvelle jurisprudence.

Cette solution est évidemment honorable pour le respect du contradictoire. On peut néanmoins s’interroger sur sa raison d’être : c’est finalement parce que le Conseil d’Etat créé de véritables règles juridiques nouvelles qu’il est ensuite conduit à prévoir des règles, elles aussi nouvelles, permettant au débat de s’exprimer de façon approprié, au prix de la censure d’une décision de cours administrative d’appel. Et, même si c’est symbolique, on ne peut pas évoquer d’un mot le temps passé par les parties et la condamnation de l’Etat à verser à la CCI 3 000 EUR au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. C’est le prix que fait payer le juge à une partie victime d’un double revirement de jurisprudence…

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References   [ + ]

1. CE 2 septembre 2009 Assistance Publique de Marseille, req. n° 297013

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