Marchés de substitution : l’entrepreneur défaillant conserve le droit de suivre l’exécution des travaux de reprise

Catégorie

Contrats publics

Date

May 2021

Temps de lecture

4 minutes

CE 27 avril 2021 Société CBI, req. n° 437148 : mentionné aux tables du recueil Lebon

Par sa décision Société CBI rendue le 27 avril 2021, les 7ème et 2ème chambres réunies du Conseil d’Etat ont apporté des précisions utiles sur les règles gouvernant les marchés de substitution.

Résumons brièvement les faits. La communauté de communes d’Erdre et Gesvres (Loire-Atlantique) a entrepris en 2006 de réhabiliter et reconvertir un centre de tri postal et de détruire un centre de secours attenant à ce bâtiment afin d’y construire une maison de l’emploi ainsi que des logements sociaux. L’établissement public de coopération était maître d’ouvrage de l’opération de reconversion du centre de tri postal tandis que la maîtrise d’ouvrage de l’opération de construction de la maison de l’emploi était assurée par l’office public d’aménagement et de construction (OPAC) 44, devenu l’office public de l’habitat (OPH) « Habitat 44 ». Afin de faciliter les opérations, la communauté de communes d’Erdre et Gesvres a conclu avec Habitat 44 une convention de mandat afin de confier à cette dernière la mission de conduire en son nom et pour son compte la partie de l’opération dont elle était le maître d’ouvrage. Pour chacune de ces opérations, le lot « gros œuvre » a été attribué à la société Constructions Bâtiments Immobiliers (CBI), par actes d’engagement du 8 octobre 2009.

Au cours de l’année 2011, Habitat 44 a constaté que la société CBI n’avait ni achevé les ouvrages, ni exécuté de travaux de reprises des malfaçons affectant les ouvrages déjà réalisés. Habitat 44 a donc décidé de mettre en demeure la société CBI d’achever les travaux et de reprendre les malfaçons dans un délai de quinze jours, sous peine de résiliation des marchés, aux frais et risques de la société. La société CBI n’ayant pas déféré à cette mise en demeure, Habitat 44 a mis sa menace à exécution et a résilié les marchés à ses frais et risques, le 23 septembre 2011. Habitat 44 a ensuite conclu un marché portant sur le lot « gros œuvre » avec la société Eiffage ainsi que des avenants pour un certain nombre d’autres lots, afin de tenir compte des malfaçons relevées sur le lot « gros œuvre ».

Les décomptes généraux des marchés passés avec la société CBI lui ont été finalement notifiés en 2016. Ces deux décomptes présentaient des soldes débiteurs, du fait de l’application de pénalités de retard et de retenues de sommes correspondant aux coûts des travaux de reprise de malfaçons. La société CBI a adressé à Habitat 44 des mémoires en réclamation afin de contester ces décomptes, mais ces mémoires ont été tous deux rejetés.

Elle a donc saisi le tribunal administratif de Nantes, qui a rejeté ses conclusions. La société CBI a fait appel de ce jugement, mais la cour administrative d’appel de Nantes a confirmé le jugement de première instance par un arrêt du 25 octobre 2019 1)CAA Nantes 25 octobre 2019 Société CBI, req. n° 18NT04112. La requérante a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat.

1      Les conditions de recours aux marchés de substitution

Il appartenait dès lors aux 7ème et 2ème chambres réunies du Conseil d’Etat de préciser si des marchés de substitution pouvaient précisément porter sur des travaux de reprise de malfaçons.

La Haute-Juridiction a tout d’abord rappelé les conditions de recours aux marchés de substitution qu’elle avait définies dans sa récente décision Société Treuils et Grues Labor 2)CE 18 décembre 2020 Société Treuils et Grues Labor, req. n° 433386 : Mentionné aux Tables du Rec. CE. Le maître d’ouvrage d’un marché de travaux publics peut ainsi décider, après avoir vainement mis en demeure son cocontractant de poursuivre l’exécution des prestations que celui-ci s’était engagé à réaliser conformément aux stipulations du contrat, de confier l’achèvement des travaux à un autre entrepreneur aux frais et risques de son cocontractant. La mise en œuvre de cette mesure coercitive n’a pas pour effet de rompre le lien contractuel entre le maître d’ouvrage et le cocontractant défaillant.

Celui-ci doit en effet pouvoir suivre l’exécution du marché de substitution afin de veiller à la sauvegarde de ses intérêts, dès lors que les surcoûts supportés par le maître d’ouvrage demeurent à sa charge, comme le Conseil d’Etat l’a énoncé dans une décision de 2017 Société Entreprise Morillon Corbol Courbot 3)CE 9 juin 2017 Société Entreprise Morillon Corbol Courbot, req. n° 399382 : Mentionné aux Tables du Rec. CE. Dans cette même décision, le Conseil d’Etat avait indiqué que le régime du marché de substitution se distinguait clairement du régime du marché de travaux portant sur des mesures conservatoires prises dans le cadre de la résiliation du marché, « pour garantir la conservation et la sécurité des ouvrages ou parties d’ouvrages exécutés ». Si le coût de ces mesures conservatoires est bien mis à la charge du titulaire défaillant, ce dernier ne bénéficie d’aucun droit de suivi sur ces travaux, à la différence du marché de substitution.

Dans le cas de l’affaire ayant donné lieu à la décision Société CBI, le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel de Nantes ont étendu cette dernière jurisprudence en estimant que les travaux de reprises des malfaçons portant sur des ouvrages déjà réalisés devaient être traités différemment des travaux correspondant à un marché de substitution, estimant ainsi que l’entrepreneur défaillant ne disposait pas du droit de suivre l’exécution d’office de ces mesures.

2      L’exercice d’un droit de suivi de l’entrepreneur défaillant sur l’ensemble des prestations du marché de substitution

Comme le soulignait la rapporteure publique Mireille Le Corre dans ses conclusions, il n’est pas aisé de distinguer en pratique entre l’achèvement de travaux déjà réalisés et la réparation de malfaçons affectant des ouvrages déjà réalisés. La rapporteure publique relevait également qu’il était pertinent de lier le paiement du surcoût de ces travaux dans le cadre du décompte général et le droit de suivi de l’entrepreneur défaillant.

Elle invitait donc les 7ème et 2ème chambres réunies à considérer que, lorsqu’un seul marché de substitution est conclu et vise à la fois des travaux de reprise et des travaux d’achèvement, le marché devait être considéré comme une entité unique, le droit de suivi de l’entrepreneur devant alors s’exercer sur l’ensemble des prestations :

« Autant nous convenons que des travaux qui ne seraient que de la reprise de malfaçons n’ont, en principe, pas à relever du marché de substitution, autant exclure par principe ces travaux de ce champ, alors même qu’ils seraient inclus dans un marché « mixte » nous semble peu pertinent. Les règles applicables au marché de substitution doivent alors à notre sens s’appliquer pour tout ce marché, quand bien même son objet réel dépasse le champ théorique de ces marchés – si on devait en retenir une acception stricte – en incluant, outre l’achèvement, la réparation » 4)Conclusions de Mireille Le Corre.

Les 7ème et 2ème chambres réunies du Conseil d’Etat ont décidé de suivre les conclusions de Mireille Le Corre et ont considéré que l’entrepreneur défaillant devait pouvoir bénéficier du droit de suivre l’exécution des travaux de reprise s’ils sont inclus dans le marché de substitution.

Le Conseil d’Etat a donc annulé l’arrêt du 25 octobre 2019 de la cour administrative d’appel de Nantes et a renvoyé l’affaire devant cette même cour.

 

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