Marchés publics de logiciel : quelques précisions

Catégorie

Contrats publics

Date

September 2013

Temps de lecture

5 minutes

TA Paris 26 juin 2013 soc. Nexedi et autres, req. n° 1308050/3-5

Par une ordonnance du 26 juin 2013, le juge administratif a apporté quelques indications utiles quant à la portée de l’arrêt région Picardie 1) CE 30 septembre 2011 région Picardie, req. n° 350431. qui concernait un marché ayant pour objet « la mise en oeuvre, l’exploitation, la maintenance et l’hébergement d’une plateforme de service pour la solution ” open source ” d’espace numérique de travail (ENT) ” Lilie ” à destination des lycées de Picardie ».

De manière schématique, le Conseil d’Etat avait considéré que la région Picardie n’avait pas porté atteinte à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en se bornant à solliciter des prestations de services portant sur une solution informatique d’ENT déterminée 2) Et préalablement acquise par elle si on en croit la rédaction de l’arrêt. sous licence « libre » 3) On rappellera que la qualification de logiciel libre ne fait pas l’objet d’une définition légale. Aussi, on estime que pour revêtir une telle « appellation », il doit garantir les caractéristiques suivantes :
« – La liberté d’exécuter le programme, pour tous les usages.
– La liberté d’étudier le fonctionnement du programme, et de l’adapter à ses besoins. Pour ceci l’accès au code source est une condition requise.
– La liberté de redistribuer des copies, avec ou sans contrepartie financière.
– La liberté d’améliorer le programme et de publier ses améliorations, pour en faire profiter toute la communauté. Pour ceci l’accès au code source est une condition requise » (Guide pratique d’usage des logiciels libres dans les administrations, œuvre collective, sous la direction de T. Aimé, DGI – ministère du budget, des comptes publics et de la fonction publique).
, à savoir « Lilie » (ce qui, de fait, excluait que d’autres éditeurs, que leur solution soit sous licence « libre » ou sous licence propriétaire, proposent leur solution).

L’ordonnance du tribunal administratif de Paris (TA) ici commentée montre que, contrairement aux présentations qui en sont généralement faites, l’arrêt région Picardie ne peut pas être interprété comme légalisant, par principe, l’achat de logiciel sans procédure de publicité et mise en concurrence dès lors que la licence dont ils font l’objet est dite « libre » ou encore, selon la langue de Shakespeare, « open source ».

L’affaire examinée se présente, en quelque sorte, à « front renversé » puisqu’elle va aboutir ici à la validation d’une procédure de passation concernant un logiciel sous licence propriétaire et donc au rejet de la requête de deux sociétés éditrices de logiciels sous licence « open source ». On relèvera spécifiquement sur le sujet que l’arrêt région Picardie a été rendu à la suite d’un contentieux initié par deux sociétés, dont l’une était éditrice d’une autre solution sous licence « open source », ce qui confirme que cet arrêt n’est pas aussi favorable qu’on le croit pour les éditeurs de solution « open source » et qu’en la matière d’acquisition de logiciel il convient de ne pas faire preuve de manichéisme hâtif.

Dans l’espèce qui nous intéresse, les deux éditeurs de logiciel « open source » ont attaqué la procédure de passation d’un marché informatique en soutenant que « les spécifications techniques de l’appel d’offre [étaient] discriminatoires et injustifiées en tant qu’elles imposent en pratique le logiciel payant Zimbra Network Edition et excluent alors d’autres logiciels libres pouvant répondre aux besoins du pouvoir adjudicateur, favorisant spécifiquement une entreprise, la société VmWare, et ses partenaires commerciaux ».

En d’autres termes, ces deux éditeurs reprochaient au pouvoir adjudicateur d’avoir exclu d’autres solutions informatiques sous licence « open source » de nature à pouvoir répondre à ses besoins.

Le TA relève d’abord spécifiquement que « les deux lots du marché litigieux avaient pour objet des services, d’une part, d’hébergement et, d’autre part, d’exploitation et de maintenance d’un logiciel de messagerie électronique nommé Zimbra », dans sa « version Network » c’est-à-dire une version sous licence propriétaire.

Pour rejeter le recours, et après avoir rappelé le « Considérant » de l’arrêt région Picardie, le juge parisien indique :

« Considérant que les sociétés requérantes soutiennent que les spécifications techniques figurant dans l’appel d’offre sont discriminatoires dans la mesure où elles ont pour effet de favoriser les candidats ayant des liens commerciaux avec la société propriétaire de la version « Network » du logiciel de messagerie Zimbra au détriment des entreprises offrant des solutions basées sur d’autres logiciels ou versions libres, tandis que cette limitation à la concurrence n’est pas justifiée par l’objet du marché ; qu’il résulte toutefois de l’instruction que l’objet du marché est l’exécution de prestations de services de mise à disposition du GIP Renater d’une infrastructure IaaS ainsi que la mise en oeuvre et exploitation du logiciel de messagerie Zimbra Collaboration Suite, auparavant acquis par celui-ci, et non la fourniture d’un logiciel de messagerie électronique ; que si les spécification techniques du marché imposaient alors aux candidats d’adapter leurs offres à la version « Network » du logiciel de messagerie Zimbra, une telle exigence correspondait aux besoins du pouvoir adjudicateur ayant déjà acquis les licences d’utilisation de cette version (…); que ces exigences techniques étaient dès lors justifiées par l’objet du marché ; que, par ailleurs, les sociétés requérantes ne démontrent pas que l’exécution du marché implique l’accès et des modifications du code source du logiciel dont un partie n’est pas libre (« en Opensource ») ni que ses concurrents bénéficient d’un tel accès au code source ou d’un droit de le modifier ; qu’ainsi, il n’apparait pas non plus que les spécifications techniques précisées dans les documents de la consultation ont pour effet d’éliminer tout candidat n’ayant pas accès au code source de la version « Network » du logiciel de messagerie Zimbra ou avantageraient des concurrents des sociétés requérantes ayant passé un accord commercial avec la société propriétaire de cette version »

Ainsi, et de manière parallèle à l’arrêt région Picardie, le juge estime que la mise en concurrence pour l’attribution d’un marché de services portant sur un logiciel sous licence propriétaire en possession du pouvoir adjudicateur n’est pas en l’espèce faussée 4) Bien évidemment, le cas examiné par le TA de Paris est à distinguer de celui où la protection de droits exclusifs (droits de propriété intellectuelle) impliquerait la passation d’un marché public négocié sans publicité ni mise en concurrence en application de l’article 35-II-8 du CMP (cf. notamment concl. N. Boulouis : conclusions de sur CE 19 septembre 2007 communauté d’agglomération de Saint-Étienne Métropole, req. n° 296192)..
Il s’agit, en effet, moins d’acquérir une solution informatique (logique de fourniture) 5) D’ailleurs, le Guide précité (nbp n° 3) précisait à ce sujet que dès lors que « l’appel d’offres porte sur une solution, il n’y a aucune justification à exiger a priori un logiciel particulier, que celui-ci soit libre ou propriétaire » – cf. également : Réponse ministérielle du 16 juillet 2013, JO p. 7586 (Q. n° 27651) : sur le rappel d’une approche globale en matière de « politique logicielle » qui implique de mettre à « égalité » le propriétaire et « l’open source » « afin de répondre au mieux aux besoins des métiers »., que des prestations de services sur une solution déjà en possession de la personne publique (logique de service).

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1. CE 30 septembre 2011 région Picardie, req. n° 350431.
2. Et préalablement acquise par elle si on en croit la rédaction de l’arrêt.
3. On rappellera que la qualification de logiciel libre ne fait pas l’objet d’une définition légale. Aussi, on estime que pour revêtir une telle « appellation », il doit garantir les caractéristiques suivantes :
« – La liberté d’exécuter le programme, pour tous les usages.
– La liberté d’étudier le fonctionnement du programme, et de l’adapter à ses besoins. Pour ceci l’accès au code source est une condition requise.
– La liberté de redistribuer des copies, avec ou sans contrepartie financière.
– La liberté d’améliorer le programme et de publier ses améliorations, pour en faire profiter toute la communauté. Pour ceci l’accès au code source est une condition requise » (Guide pratique d’usage des logiciels libres dans les administrations, œuvre collective, sous la direction de T. Aimé, DGI – ministère du budget, des comptes publics et de la fonction publique).
4. Bien évidemment, le cas examiné par le TA de Paris est à distinguer de celui où la protection de droits exclusifs (droits de propriété intellectuelle) impliquerait la passation d’un marché public négocié sans publicité ni mise en concurrence en application de l’article 35-II-8 du CMP (cf. notamment concl. N. Boulouis : conclusions de sur CE 19 septembre 2007 communauté d’agglomération de Saint-Étienne Métropole, req. n° 296192).
5. D’ailleurs, le Guide précité (nbp n° 3) précisait à ce sujet que dès lors que « l’appel d’offres porte sur une solution, il n’y a aucune justification à exiger a priori un logiciel particulier, que celui-ci soit libre ou propriétaire » – cf. également : Réponse ministérielle du 16 juillet 2013, JO p. 7586 (Q. n° 27651) : sur le rappel d’une approche globale en matière de « politique logicielle » qui implique de mettre à « égalité » le propriétaire et « l’open source » « afin de répondre au mieux aux besoins des métiers ».

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