Quand le juge pallie un vide juridique pour permettre la régularisation d’un permis de construire vicié par l’avis de l’autorité environnementale

Catégorie

Environnement, Urbanisme et aménagement

Date

June 2019

Temps de lecture

7 minutes

CE 27 mai 2019 Ministre d’État, ministre de la cohésion des territoires, req. n° 420554 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

Par huit arrêtés du 12 janvier 2012, le préfet de la région Auvergne a délivré à la société MSE La Tombelle des permis de construire pour l’implantation de six éoliennes et de deux postes de livraison sur le territoire des communes de Courçais et Viplaix (Allier).

Ces huit arrêtés ont fait l’objet d’un recours en annulation introduit par une association de protection de l’environnement auquel la cour administrative d’appel de Lyon a fait droit 1)    La requête de l’association a d’abord été rejetée par le tribunal administratif de Clermont-Ferrand par un jugement du 28 juin 2013 (req. n° 1201224) avant d’être accueillie par la cour administrative d’appel de Lyon par un arrêt du 28 octobre 2014 (req. n° 13LY02395). Saisi en cassation, le Conseil d’État avait par une décision du 20 janvier 2016 (recq. n° 386624) annulé cet arrêt pour des motifs tenant à la régularité du rapport et des conclusions du commissaire enquêteur et renvoyé l’affaire devant la cour. Par un arrêt du 13 mars 2018 (req.n°16LY00400), la cour administrative d’appel de Lyon a de nouveau annulé, sur renvoi du Conseil d’État, le jugement et les huit arrêtés du préfet de la région Auvergne du 12 janvier 2012..

Saisi en cassation par le ministre de la cohésion des territoires et la société pétitionnaire, le Conseil d’État a été amené à se prononcer sur les modalités de régularisation du permis de construire en cas d’illégalité de l’avis de l’autorité environnementale.

1        L’apport de la décision sur le plan procédural : une demande de PCM et l’intervention d’une décision juridictionnelle ne justifient pas la réouverture de l’instruction

(a)       Avant d’en venir au fond de l’affaire, sur le plan purement procédural, le Conseil d’État précise, en premier lieu, que la production d’un mémoire faisant état de ce qu’une demande de permis modificatif, ayant pour objet de régulariser le permis attaqué, a été déposée auprès de l’autorité compétente ne peut être regardée comme une circonstance nouvelle susceptible d’exercer une influence sur le jugement de l’affaire et justifier, en conséquence, la réouverture de l’instruction.

Selon la Haute juridiction, seule la production après la clôture de l’instruction, d’un permis modificatif délivré à une date telle que la partie qui l’invoque n’était pas en mesure d’en faire état avant la clôture de l’instruction et valant mesure de régularisation du permis de construire attaqué, doit être regardée comme une circonstance nouvelle susceptible d’exercer une influence sur le jugement de l’affaire, dont le juge doit tenir compte à peine d’irrégularité de sa décision.

(b)       En second lieu, le Conseil d’État précise que l’intervention de sa décision 2)req. n° 400559, ayant fait l’objet d’un article au sein de notre blog. du 6 décembre 2017 précisant la portée de la directive du 13 décembre 2011 que la cour a d’ailleurs adopté pour faire droit à un moyen de la société pétitionnaire, ne constitue pas non plus une circonstance nouvelle justifiant la réouverture de l’instruction.

2          Les apports de la décision au fond

Sur le fond, l’apport de la décision commentée est triple :

(a)       Le rappel de la nécessaire autonomie devant exister entre l’autorité environnementale et celle qui délivre l’autorisation

Le Conseil d’État rappelle tout d’abord que l’obligation de séparation des fonctions qui s’impose au sein des autorités compétentes en matière d’environnement s’applique aux projets publics et privés au sens de la directive 85/337/CEE du 27 juin 1985 3)Directive 85/337/CEE du Conseil du 27 juin 1985 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement..

Le Conseil d’État se fonde ensuite sur un arrêt 4)Aff. C-474/10 de la CJUE du 20 octobre 2011 pour rappeler que les dispositions de l’article 7 de la directive du 27 juin 1985 « ne font pas obstacle à ce que l’autorité publique compétente pour autoriser un projet ou en assurer la maîtrise d’ouvrage soit en même temps chargée de la consultation en matière environnementale, elles imposent cependant que, dans une telle situation, une séparation fonctionnelle soit organisée au sein de cette autorité, de manière à ce qu’une entité administrative, interne à celle-ci, dispose d’une autonomie réelle, impliquant notamment qu’elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée et de donner un avis objectif sur le projet concerné ».

Cette position n’est pas inédite et n’est qu’une réaffirmation de ce qu’a jugé le Conseil d’État notamment dans deux décisions des 6 et 28 décembre 2017 censurant le rôle du préfet de région pour l’évaluation environnementale de certains projet 5)Voir sur ces décisions notre article http://www.adden-leblog.com/2018/01/31/evaluation-environnementale-haro-sur-le-prefet/.

En l’espèce, le préfet de région était à la fois l’auteur de l’avis rendu le 20 juin 2011 en qualité d’autorité environnementale et l’autorité compétente qui a délivré les permis de construire attaqués.

En conséquence, c’est à bon droit que la cour administrative d’appel de Lyon a estimé que la circonstance que l’avis a été préparé et rédigé par les services de la DREAL au sein de la division “mission évaluation environnementale” alors que les permis de construire avaient été instruits par les services de la direction départementale des territoires de l’Allier ne permettait pas de considérer que l’avis ainsi émis par le préfet de région a été rendu par une autorité disposant d’une autonomie effective dans des conditions garantissant son objectivité.

La cour a ensuite jugé que, dans les circonstances de l’espèce, l’avis versé au dossier d’enquête publique avait été rendu dans des conditions qui méconnaissaient les exigences de la directive et qui n’avaient pas permis une bonne information de l’ensemble des personnes intéressées par l’opération et que ce vice a été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision, entrainant, par suite, l’illégalité des permis de construire attaqués.

Le Conseil d’État considère donc que la cour a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, n’a ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis ni commis une erreur de droit.

(b)       Sur les modalités de régularisation d’une autorisation prise après avis émis par une autorité environnementale non autonome : la possibilité pour le juge de désigner une autorité qu’il estime présenter les garanties d’objectivité requises nonobstant l’existence d’un vide juridique à la date à laquelle il est censé statuer

S’agissant de la régularisation du vice de légalité entachant les permis de construire attaqués, le Conseil d’État transpose la solution récemment adoptée en matière d’autorisation environnementale 6)CE avis 27 septembre 2018 req. n° 420119, publié au recueil Lebon ayant fait l’objet d’un article au sein de notre blog. au cas d’un permis de construire, en vertu de laquelle l’avis entaché d’un vice de procédure doit être à nouveau sollicité puis porté à la connaissance du public.

Après avoir rappelé les modalités de la procédure de sursis à statuer fixée par l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, il précise l’étendue des pouvoirs du juge en ce qui concerne les modalités de la régularisation :

« Ces dispositions permettent au juge, lorsqu’il constate un vice qui entache la légalité du permis de construire attaqué mais qui peut être régularisé par une décision modificative, de rendre un jugement avant dire droit par lequel il fixe un délai pour cette régularisation et sursoit à statuer sur le recours dont il est saisi. Le juge peut préciser, par son jugement avant dire droit, les modalités de cette régularisation. Un vice de procédure, dont l’existence et la consistance sont appréciées au regard des règles applicables à la date de la décision attaquée, doit en principe être réparé selon les modalités prévues à cette même date. Si ces modalités ne sont pas légalement applicables, notamment du fait de l’illégalité des dispositions qui les définissent, il appartient au juge de rechercher si la régularisation peut être effectuée selon d’autres modalités, qu’il lui revient de définir en prenant en compte les finalités poursuivies par les règles qui les ont instituées et en se référant, le cas échéant, aux dispositions en vigueur à la date à laquelle il statue ».

En l’espèce, le Conseil d’État renvoie à l’arrêt 7)Cf. Note 5 du 6 décembre 2017, ayant annulé le décret du 28 avril 2016 portant réforme de l’autorité environnementale en tant qu’il maintient, au IV de l’article R. 122-6 du code de l’environnement, la désignation du préfet de région en qualité d’autorité compétente de l’Etat en matière d’environnement, en méconnaissance des objectifs énoncés par la directive du 13 décembre 2011 ((                Paragraphe 1 de l’article 6 de la directive concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement ). Il considère ainsi :

  • d’une part, que le vice de procédure résultant de ce que l’avis de l’autorité environnementale a été rendu par le préfet de région, en qualité d’autorité environnementale, dans un cas où il était par ailleurs compétent pour autoriser le projet, peut être réparé par la consultation, sur le projet en cause, à titre de régularisation, d’une autorité présentant les garanties d’objectivité requises.
  • d’autre part, que le juge peut notamment prévoir que l’avis sera rendu par la mission régionale de l’autorité environnementale (MRae) du Conseil général de l’environnement et du développement durable créée par le décret du 28 avril 2016, considérant que cette mission, en tant qu’entité administrative de l’État séparée de l’autorité compétente pour autoriser un projet, dispose d’une autonomie réelle la mettant en mesure de donner un avis objectif sur les projets qui lui sont soumis dans le cadre de sa mission d’autorité environnementale.

Cette possibilité de désigner la MRae est ouverte au juge alors même qu’un vice de procédure, dont l’existence et la consistance sont appréciées au regard des règles applicables à la date de la décision attaquée, doit en principe être réparé selon les modalités prévues à cette même date et qu’en l’espèce à la date de ce vice le législateur désignait bien le préfet de région comme étant l’autorité environnementale compétente. Selon le Conseil d’État, le fait que ces modalités désignant le préfet de région n’étaient pas légalement applicables, notamment du fait de l’illégalité des dispositions qui les définissent, autorise le juge à rechercher si la régularisation peut être effectuée selon d’autres modalités, qu’il lui revient de définir en prenant en compte les finalités poursuivies par les règles qui les ont instituées et en se référant, le cas échéant, aux dispositions en vigueur à la date à laquelle il statue.

En l’espèce, le Conseil d’État relève que la cour administrative d’appel de Lyon a donc commis une erreur de droit en considérant que le vice de légalité entachant les permis de construire attaqués impliquait qu’un nouvel avis soit rendu par l’autorité environnementale, puis qu’une nouvelle enquête publique soit organisée, et en a déduit que ce vice n’était pas susceptible d’être régularisé par un permis de construire modificatif.

(c)          Une régularisation qui implique nécessairement une consultation du public à géométrie toutefois variable

Enfin, le Conseil d’État décrit la « marche à suivre » de cette régularisation qui implique :

  • une nouvelle procédure de consultation d’une autorité environnementale autonome ; et que
  • son nouvel avis soit porté à la connaissance du public, étant précisé que :
  • si le nouvel avis diffère substantiellement de celui qui a été porté à la connaissance du public durant l’enquête publique dont les permis de construire ont fait l’objet, une enquête publique complémentaire devra être organisée à titre de régularisation, selon les modalités prévues par les articles L. 123-14 et R. 123-23 du code de l’environnement,
  • si aucune modification substantielle n’est apportée à l’avis, l’information du public sur le nouvel avis de l’autorité environnementale devra prendre la forme d’une publication sur internet, dans les conditions prévues à l’article R. 122-7 du code de l’environnement.

Dans ces conditions, le Conseil d’État fait donc application des dispositions de l’article L. 600-5-1 précité pour sursoir à statuer sur la requête présentée par l’association requérantes jusqu’à l’expiration du délai de trois mois ou de six mois si une nouvelle enquête publique est nécessaire, à compter de la notification de son arrêt.

Gageons que le prochain mode d’emploi du Conseil d’État concernera le point de savoir si le nouvel avis de l’autorité environnementale est ou non substantiellement différent de l’avis initial !

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References   [ + ]

1.     La requête de l’association a d’abord été rejetée par le tribunal administratif de Clermont-Ferrand par un jugement du 28 juin 2013 (req. n° 1201224) avant d’être accueillie par la cour administrative d’appel de Lyon par un arrêt du 28 octobre 2014 (req. n° 13LY02395). Saisi en cassation, le Conseil d’État avait par une décision du 20 janvier 2016 (recq. n° 386624) annulé cet arrêt pour des motifs tenant à la régularité du rapport et des conclusions du commissaire enquêteur et renvoyé l’affaire devant la cour. Par un arrêt du 13 mars 2018 (req.n°16LY00400), la cour administrative d’appel de Lyon a de nouveau annulé, sur renvoi du Conseil d’État, le jugement et les huit arrêtés du préfet de la région Auvergne du 12 janvier 2012.
2. req. n° 400559, ayant fait l’objet d’un article au sein de notre blog.
3. Directive 85/337/CEE du Conseil du 27 juin 1985 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement.
4. Aff. C-474/10
5. Voir sur ces décisions notre article http://www.adden-leblog.com/2018/01/31/evaluation-environnementale-haro-sur-le-prefet/
6. CE avis 27 septembre 2018 req. n° 420119, publié au recueil Lebon ayant fait l’objet d’un article au sein de notre blog.
7. Cf. Note 5

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