Référé précontractuel : précisions sur l’irrégularité de la méthode d’appréciation des offres

Catégorie

Contrats publics

Date

June 2024

Temps de lecture

4 minutes

CE 7 juin 2024 Communauté d’agglomération Quimper Bretagne Occidentale et Société RATP Développement, req.°489404 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

A l’occasion d’un arrêt rendu le 7 juin 2024, le Conseil d’Etat s’est penché sur la régularité de la méthode d’évaluation des offres lors de la passation d’un contrat de délégation de service public qui se fonde sur la moyenne pondérée des rangs de classement des offres au regard de chacun des critères d’attribution.

En l’espèce, la communauté d’agglomération Quimper Bretagne Occidentale a lancé un avis d’appel public à la concurrence en vue du renouvellement d’une délégation de service public. Deux sociétés, la société Transdev et la société Keolis, ont saisi le juge des référés afin que la décision rejetant leur offre soit annulée ainsi que l’ensemble de la procédure tendant à la passation du contrat.

Le 31 octobre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Rennes a annulé la procédure de passation. Il a estimé que « la méthode d’évaluation des offres utilisée par l’autorité délégante était entachée d’irrégularité au motif que la notation exclusivement fondée sur le classement des offres sur chaque critère ne permettait pas de garantir que l’offre présentant le meilleur avantage économique global soit choisie ». En conséquence, la communauté d’agglomération Quimper Bretagne Occidentale et la société RATP Développement forme un pourvoi en cassation contre cette ordonnance.

La problématique principale abordée par le Conseil d’Etat est la suivante : une méthode d’appréciation des offres fondée sur la moyenne pondérée des rangs de classement des offres au regard de chacun des critères d’attribution est-elle irrégulière, en ce qu’elle ne permet pas de retenir l’offre présentant le meilleur avantage économique ?

La réponse est oui, pour les motifs suivants.

Dans un premier temps, le Conseil d’Etat a recherché si la notation fondée sur le classement des offres sur chaque critère était susceptible de léser les candidats évincés. Il estime alors que le juge des référés a commis une erreur de droit et a méconnu son office « en se fondant, pour accueillir le recours des sociétés Keolis et Transdev, sur ce que les sociétés avaient nécessairement été lésées par un tel manquement, sans rechercher si, eu égard aux appréciations portées par cette autorité sur leurs offres, ces sociétés n’étaient pas, en tout hypothèse, insusceptibles de se voir attribuer le contrat litigieux ».

Sur cette question, il convient de se référer à l’article L.°551-10 du code de justice administrative qui dispose que « Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat ou à entrer au capital de la société d’économie mixte à opération unique et qui sont susceptibles d’être lésées par le manquement invoqué, ainsi que le représentant de l’Etat dans le cas où le contrat doit être conclu par une collectivité territoriale, un groupement de collectivités territoriales ou un établissement public local ». De ce fait, l’une des conditions de recevabilité du référé-précontractuel est la démonstration de la lésion de la société évincée. En l’état, la jurisprudence mentionne que «  le juge des référés précontractuels [doit] rechercher si l’entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente » 1)Conseil d’Etat 3 octobre 2008 Syndicat mixte intercommunal de réalisation et de gestion pour l’élimination des ordures ménagère du    secteur de la Sarthe, req°305420.

Ainsi, par cet arrêt le Conseil d’Etat précise le fait que le juge doit, pour évaluer la lésion du requérant, rechercher si l’entreprise aurait pu se voir ou non attribuer le contrat litigieux au regard de la méthode de notation des offres utilisée par l’autorité délégante.

Dans un deuxième temps, le Conseil d’Etat a examiné la régularité de la méthode d’évaluation des offres.

Afin d’évaluer la régularité de la méthode d’évaluation des offres, il s’est fondé sur les articles L. 3124-5 et R. 3124-6 du code de la commande publique ainsi que sur son arrêt du 22 mars 2022 2)CE 3/05/2022, Commune de Saint-Cyr-mer, req.°459678 qui posait comme principe que :

« L’autorité concédante définit librement la méthode d’évaluation des offres au regard de chacun des critères d’attribution qu’elle a définis et rendus publics. Elle peut ainsi déterminer tant les éléments d’appréciation pris en compte pour son évaluation des offres que les modalités de leur combinaison. Une méthode d’évaluation est toutefois entachée d’irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, les éléments d’appréciation pris en compte pour évaluer les offres au titre de chaque critère d’attribution sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l’évaluation ou si les modalités d’évaluation des critères d’attribution par combinaison de ces éléments sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure offre ne soit pas la mieux classée, ou, au regard de l’ensemble des critères, à ce que l’offre présentant le meilleur avantage économique global ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que l’autorité concédante, qui n’y est pas tenue, aurait rendu publique, dans l’avis d’appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode d’évaluation ».

La méthode litigieuse ici consistait à « 10 d’appréciation puis à attribuer à chaque offre une note correspondant à la moyenne des rangs de classement obtenu sur chaque critère, pondérée par le coefficient associé à chaque critère. L’offre retenue est celle ayant obtenus sur chaque critère, pondérée par le coefficient associé à chaque critère » (cons.10).

Le Conseil d’Etat a alors jugé qu’ « en faisant ainsi le choix, alors même qu’elle n’était en rien tenue de traduire en notes chiffrées l’appréciation qu’elle portait sur la valeur respective des offres, d’un mode d’attribution de la concession litigieuse fondé sur la moyenne pondérée des rangs de classement des offres au regard de chacun des critères d’attribution, alors que le classement ne reflète que très imparfaitement les écarts de valeur entre les offres, l’autorité concédante a retenu une méthode d’évaluation susceptible de conduire à ce que, au regard de l’ensemble des critères, l’offre présentant le meilleur avantage économique global ne soit pas choisie ».

Le Conseil d’Etat termine son raisonnement en mentionnant que « dès lors que les offres de ces deux sociétés étaient mieux classées, sur l’un au moins des critères d’appréciation, que celle de la société RATP Développement retenue par l’autorité concédante, l’utilisation de cette méthode d’évaluation est susceptible de les avoir lésées » (cons. 11) et « eu égard à la nature et à la portée du manquement constaté, qui affecte le règlement de la consultation, les sociétés Keolis et Transdev sont fondées à demander l’annulation de la procédure contestée dans son intégralité » (cons.12).

Ainsi par cet arrêt, le Conseil d’Etat a apporté d’utiles précisions pour les acheteurs sur ce que pouvait être une méthode de notation irrégulière.

 

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