Résiliation d’un marché public et jurisprudence commune de Béziers : gare au choix du fondement des demandes indemnitaires !

Catégorie

Contrats publics

Date

December 2012

Temps de lecture

4 minutes

CAA Nantes 19 octobre 2012 société APIC, req. n° 11NT01174

Décidemment, les contrats de mobilier urbain semblent être une source intarissable du contentieux contractuel[1].

La commune de Ver-sur-Mer avait confié à la société APIC, par convention en date du 15 juillet 1996 conclue pour une durée de 9 ans tacitement renouvelable pour une durée de 3 ans, « l’implantation et l’entretien, sur des emplacements mis gratuitement à sa disposition, de cinq mobiliers d’informations municipales et de trois abribus, en échange du droit pour la société d’apposer de la publicité sur ceux-ci ».

Le 8 septembre 2003, « deux nouveaux contrats d’une durée initiale de 12 ans sont intervenus dans les mêmes conditions » pour un abribus et deux mobiliers d’informations municipales.

Enfin, par deux nouvelles conventions du 11 février 2008, la commune a accordé à la société APIC la gestion de quatre abribus et sept mobiliers d’informations municipales, « pour la même durée et dans les mêmes conditions ».

Par courrier en date du 9 février 2009, le maire de la commune a prononcé la résiliation de l’ensemble de ces contrats « au motif que ceux-ci avaient été signés en méconnaissance de l’article 28 du code des marchés publics et par une personne non habilitée en l’absence de délibération du conseil municipal ».

En d’autres termes, l’absence de mesure de publicité et de mise en concurrence, ainsi que l’incompétence du signataire des conventions en cause étaient mise en avant pour fonder la résiliation.

Souhaitant obtenir réparation des préjudices causés par cette résiliation, la société APIC a saisi le tribunal administratif de Caen qui, par un jugement du 22 février 2011, a rejeté sa demande.

La cour administrative d’appel de Nantes ne va pas se montrer plus clémente.

En premier lieu, la cour écarte l’existence d’un quelconque droit à indemnisation concernant la première convention, le terme de cette dernière (reconduction comprise) étant intervenu avant la résiliation litigieuse.

En second lieu, concernant les contrats ultérieurs, la cour va rappeler les principes issus de la jurisprudence commune de Béziers[2][3]:

« considérant que lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l’exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ; qu’ainsi, lorsque le juge est saisi d’un litige relatif à l’exécution d’un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d’office, aux fins d’écarter le contrat pour le règlement du litige ; que, par exception, il en va autrement lorsque, eu égard d’une part à la gravité de l’illégalité et d’autre part aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat ».

Le principe de loyauté des relations contractuelles permet notamment d’éviter qu’une personne publique invoque une irrégularité qu’elle a elle-même commise, au stade de la passation du contrat, en vue de ne pas honorer ses obligations contractuelles.

Paradoxalement, l’application de cette jurisprudence va, en l’espèce, permettre à la commune d’échapper à une condamnation.

Tout d’abord, la cour va relever que les vices en question, « qui ne concernent pas le contenu des contrats et n’ont pas entaché les conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, ne sauraient être regardés, (…), comme d’une gravité telle qu’ils s’opposeraient à ce que le litige soit réglé sur le fondement des dits contrats » de sorte que c’est à tort que « les premiers juges ont écarté les conventions conclues le 11 février 2008 au motif que les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence entachaient celles-ci de nullité ».

La cour considère ainsi que le litige devait être tranché sur le seul terrain contractuel.

Ensuite, la cour va relever que les demandes indemnitaires faites devant elle par la société APIC ne reposaient pas sur un fondement contractuel[4], mais sur celui de l’enrichissement sans cause et de la responsabilité quasi-délictuelle de la commune[5].

Le juge d’appel va ainsi rejeter la requête de la société APIC.

Cette décision invite les entreprises à se montrer extrêmement vigilantes lors de la formulation de leurs demandes indemnitaires :

►        On rappellera, tout d’abord, que lorsque le juge, saisi d’un litige engagé sur le terrain de la responsabilité contractuelle, est conduit à écarter le contrat en raison de sa nullité, les cocontractants peuvent poursuivre le litige en invoquant pour la première fois en appel, des moyens fondés sur une cause juridique nouvelle telle que la responsabilité extra-contractuelle[6].

Toutefois, le Conseil d’Etat est venu préciser que « de tels moyens ne peuvent être soulevés au-delà du délai d’appel, lorsque la nullité du contrat a été constatée par le juge de première instance »[7].

►        Ensuite, et ce que semble avoir omis de faire la société APIC, il est primordial de fonder ses demandes indemnitaires tant sur le terrain contractuel, que sur le terrain extra-contractuel[8], lorsque la question de la nullité du contrat vient à être discutée.

L’appréciation de la nullité différant d’un juge à l’autre (notamment dans une période où les implications de la jurisprudence commune de Béziers ne sont pas toutes réellement fixées), il s’agit pour le requérant de préserver ses intérêts.


[1] Cf. encore récemment : CAA Paris 17 octobre 2012 société CBS Outdoor, req. n° 09PA03922 : « L’exploitation des colonnes Morris n’est pas un service public » (commentaire au sein du présent blog).

[2] CE Ass. 28 décembre 2009 Commune de Béziers, req. n° 304802 : publié au rec. CE – cf. également notamment : CE 12 janvier 2011 Manoukian, req. n° 338551 : publié au rec. CE.

[4] Les contrats fixent, en règle générale, les modalités d’indemnisation en cas de résiliation (cf. par exemple : article 33 CCAG-FCS, arrêté du 19 janvier 2009 « portant approbation du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services ») – Et sur les règles d’indemnisation contractuelle en cas de résiliation cf. : CE 22 juin 2012 Chambre de commerce et d’industrie de Montpellier, req. n° 348676 – CE 4 mai 2011 CCI de Nîmes, req. n° 334280.

[5] Fondements de l’indemnisation en cas de nullité du contrat (cf. par exemple : CE 10 avril 2008 société Decaux, req. n° 244950 : publié au Rec. CE – CAA Lyon 22 mars 2012 société CTR, req. n° 11LY01404).

[6] CE 20 octobre 2000 Citécable Est, req. n° 196553.

[7] CE 9 décembre 2011 commune d’Alès, req. n° 342283.

[8] Par le biais d’une demande dite « principale » et d’une demande dite « subsidiaire ».

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