Résurgence de la jurisprudence SCI La Tilleulière appliquée à un retrait de permis de construire devenu définitif avant l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions du code de l’urbanisme issues de la loi ELAN

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

November 2019

Temps de lecture

4 minutes

CE 6 novembre 2019 SAS Severini Pierres et Loisirs, req. n° 417552

1          Le contexte du pourvoi

Par un arrêté du 18 août 2016, le maire de Parempuyre (Gironde) a délivré un permis de construire à la SAS Severini Pierres et Loisirs pour la construction d’un ensemble de 74 logements.

Sept particuliers ont alors demandé au tribunal administratif de Bordeaux d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté et la décision de rejet de leur recours gracieux qu’ils avaient formé contre celui-ci.

Par un arrêté du 24 mai 2017 devenu définitif, le maire de Parempuyre a délivré à la société Severini Pierres et Loisirs un nouveau permis de construire portant sur le même terrain que celui sur lequel avait été autorisée la construction de l’ensemble immobilier par l’arrêté du 18 août 2016.

Par un jugement du 23 novembre 2017 1)Req. n° 1605397., le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l’arrêté attaqué du 18 août 2016.

La SAS Severini Pierres et Loisirs s’est pourvue en cassation contre ce jugement 2)A priori sur le fondement de l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative (CJA), selon lequel : « Les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d’habitation ou contre les permis d’aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d’une des communes mentionnées à l’article 232 du code général des impôts et son décret d’application […] », dès lors que la commune de Parempuyre fait partie de la liste des communes dans lesquelles s’applique le décret n° 2013-392 du 10 mai 2013 relatif au champ d’application de la taxe annuelle sur les logements vacants instituée par l’article 232 du code général des impôts (CGI)..

C’est dans ce cadre que le Conseil d’État a été amené à se prononcer sur les effets contentieux de la délivrance d’un second permis de construire sur un terrain déjà couvert par un premier permis.

2          La décision du Conseil d’État

Le Conseil d’État commence par rappeler qu’aux termes de l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme dans sa rédaction applicable au litige soumis aux juges du fond :

«  […] le permis de construire ou d’aménager ou de démolir, tacite ou explicite, ne peuvent être retirés que s’ils sont illégaux et dans le délai de trois mois suivant la date de ces décisions. Passé ce délai, la décision de non-opposition et le permis ne peuvent être retirés que sur demande expresse de leur bénéficiaire ».

En l’espèce, le Conseil d’État considère que la délivrance d’un nouveau permis de construire antérieurement à l’introduction du pourvoi de la société Severini Pierres et Loisirs a, nécessairement eu pour effet, sur la demande de son bénéficiaire, de rapporter le permis de construire accordé par l’arrêté du 18 août 2016.

Il en conclut que, dès la date à laquelle il a été enregistré, le pourvoi de la société Severini Pierres et Loisirs tendant à l’annulation du jugement du 23 novembre 2017 du tribunal administratif de Bordeaux était dépourvu d’objet, et en conséquence, irrecevable.

Partant, le pourvoi de la SAS Severini Pierres et Loisirs est rejeté.

3          Analyse

La Haute-Juridiction fait ainsi application de sa jurisprudence antérieure, selon laquelle la délivrance d’un nouveau permis de construire à un même bénéficiaire sur un même terrain a nécessairement pour effet de rapporter le permis initial 3)CE 3 février 1982 Vicqueneau, req. n° 23224, mentionné aux Tables du Rec. CE. ; et, dès lors que le nouveau permis acquiert un caractère définitif, les conclusions aux fins d’annulation deviennent sans objet 4)CE 7 avril 2010 SCI La Tilleulière, req. n° 311694 : mentionné aux Tables du Rec. CE et CE 23 juin 2014 Société Castel Invest, req. n° 366498 : mentionné aux Tables du Rec. CE. en matière de référé suspension..

Dans ses conclusions sur l’affaire, M. Guillaume Odinet, rapporteur public, a indiqué qu’au regard des travaux préparatoires à l’adoption de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement (ENL), la référence de l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme au retrait du permis sur demande explicite de son bénéficiaire au-delà d’un délai de retrait de trois mois ne faisait pas obstacle à son retrait implicite causé par la délivrance d’un nouveau permis 5)Une partie de la doctrine autorisée voyait alors la jurisprudence Société Castel Invest postérieure à 2006 comme une jurisprudence isolée..

Une telle interprétation s’avère en pratique problématique, notamment pour les porteurs de projets qui, disposant d’un permis de construire sur une parcelle donnée, souhaitaient solliciter un second permis (en raison par exemple d’une évolution du projet), puisqu’il n’est pas possible de faire cohabiter deux permis sur un même terrain, sans compter l’atteinte excessive qu’elle porte au droit de propriété.

Pour remédier définitivement à cette difficulté, l’article 58 de la loi du 23 novembre 2018 dite « ELAN » a complété l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme d’un second alinéa suivant lequel :

« La délivrance antérieure d’une autorisation d’urbanisme sur un terrain donné ne fait pas obstacle au dépôt par le même bénéficiaire de ladite autorisation d’une nouvelle demande d’autorisation visant le même terrain. Le dépôt de cette nouvelle demande d’autorisation ne nécessite pas d’obtenir le retrait de l’autorisation précédemment délivrée et n’emporte pas retrait implicite de cette dernière. ».

Le rapporteur public a en ce sens clairement conclu que :

« Ce n’est, en vérité, que la loi du 23 novembre 2018 qui a remis en cause votre jurisprudence – il est vrai mal inspirée – en ajoutant un nouvel alinéa à l’article L. 424-5. ».

Le nouvel article L. 424-5 précise que le titulaire d’une première autorisation d’urbanisme n’a pas à en solliciter le retrait avant d’en demander une seconde.

Cette mesure permet ainsi aux opérateurs de pouvoir, s’ils le souhaitent, bénéficier de deux autorisations d’urbanisme sur un même terrain sans risquer que la seconde demande soit interprétée comme un retrait implicite de la première autorisation obtenue.

Mais, comme l’a relevé le rapporteur public dans ses conclusions sur la présente affaire, les dispositions issues de la loi ELAN, applicables à partir du 25 novembre 2018, ne s’appliquent pas en l’espèce, dès lors qu’en application de la jurisprudence SCI La Tilleulière, le retrait du premier permis était, à la date de son entrée en vigueur, définitif.

Ce caractère définitif ayant été acquis avant l’introduction du pourvoi, celui était privé d’objet avant même que d’être enregistré, le rendant ainsi irrecevable.

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References   [ + ]

1. Req. n° 1605397.
2. A priori sur le fondement de l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative (CJA), selon lequel : « Les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d’habitation ou contre les permis d’aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d’une des communes mentionnées à l’article 232 du code général des impôts et son décret d’application […] », dès lors que la commune de Parempuyre fait partie de la liste des communes dans lesquelles s’applique le décret n° 2013-392 du 10 mai 2013 relatif au champ d’application de la taxe annuelle sur les logements vacants instituée par l’article 232 du code général des impôts (CGI).
3. CE 3 février 1982 Vicqueneau, req. n° 23224, mentionné aux Tables du Rec. CE.
4. CE 7 avril 2010 SCI La Tilleulière, req. n° 311694 : mentionné aux Tables du Rec. CE et CE 23 juin 2014 Société Castel Invest, req. n° 366498 : mentionné aux Tables du Rec. CE. en matière de référé suspension.
5. Une partie de la doctrine autorisée voyait alors la jurisprudence Société Castel Invest postérieure à 2006 comme une jurisprudence isolée.

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