Sursis à exécution d’un arrêt ayant prononcé une injonction de délivrer un certificat de permis de construire tacite

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

October 2017

Temps de lecture

4 minutes

CE 2 octobre 2017 Commune de Bouc Bel Air,req. n° 410792

Aux termes des dispositions de l’article R. 821-5 du code de justice administrative, le juge de cassation peut, à la demande de l’auteur du pourvoi, sursoir à l’exécution d’une décision rendue en dernier ressort à la double condition 1)Ces conditions sont cumulatives, si l’une des deux n’est pas remplie, le Conseil d’Etat ne peut ordonner le sursis à exécution, v. en ce sens : CE 14 oct. 2009 Commune de Saint-Lunaire, req. n° 327150). que :

– l’exécution de cette décision risque d’entrainer des conséquences difficilement réparables ;
– les moyens invoqués contre cette décision paraissent, en l’état de l’instruction, sérieux et de
nature à justifier, outre l’annulation de la décision juridictionnelle, l’infirmation de la solution retenue par les juges du fond.

Dans une décision du 2 octobre 2017 (Commune de Bouc Bel Air, req. n° 410792), le Conseil d’Etat a fait application de ces dispositions au cas d’une injonction de délivrance d’un certificat de permis de construire tacite.

En l’espèce, deux particuliers avaient sollicité du maire de la commune de Bouc Bel Air, dans le département des Bouches-du-Rhône, la délivrance d’un permis de construire un ensemble de sept immeubles comprenant quatre-vingt-onze logements. Le refus de délivrance de ce permis a été annulé par un jugement du 22 décembre 2014 du tribunal administratif de Marseille. L’appel de la commune a été rejeté par un arrêt du 23 mars 2017 de la cour administrative d’appel de Marseille qui a jugé que les particuliers étaient bénéficiaires d’un permis de construire tacite depuis le 12 janvier 2014 et, en conséquence, a enjoint la commune de leur délivrer un certificat de permis de construire tacite.

Parallèlement saisi en cassation, le Conseil d’Etat devait se prononcer sur la demande de sursis à exécution de la commune contre la décision des juges d’appel. Dans sa décision du 2 octobre 2017, le Conseil d’Etat fait droit à cette demande en retenant que les deux conditions posées par l’article R. 821-5 étaient, en l’espèce, remplies.

I – Sur les conséquences difficilement réparables de la délivrance sur injonction d’un certificat de permis de construire tacite

Sur le fondement de l’article R. 821-5 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat a déjà pu juger qu’un arrêt, en tant qu’il annule un refus de délivrer un permis de construire n’était pas susceptible d’entrainer des conséquences difficilement réparables 2)CE 9 nov. 2011 Commune de Challex, req. n° 352438..

De même, il a estimé que l’arrêt rejetant une requête tendant à la réformation d’un jugement annulant un permis de construire ne risquait pas d’entrainer, pour son bénéficiaire, des conséquences difficilement réparables de nature à ce qu’il soit sursis à l’exécution de cet arrêt 3) CE 28 déc. 2012 SCI de l’Ermitage, req. n° 361414..

En revanche, il regarde la condition des « conséquences difficilement réparables » comme satisfaite lorsqu’une décision juridictionnelle enjoint l’autorité compétente de délivrer un permis de construire initialement refusé puisque cette délivrance a pour effet d’autoriser le commencement des travaux 4) CE 28 juil. 2011 Commune de Grosrouvre, req. n° 350395 – CE 9 nov. 2011 Commune de Challex, req. n° 352438..

Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat étend cette solution au cas où, au terme de sa décision, la juridiction enjoint à l’autorité compétente de délivrer un certificat de permis de construire, comme est en droit de le demander le bénéficiaire d’un permis tacite en vertu de l’article R. 424-13 du code de l’urbanisme.

Il juge ainsi que :

« l’arrêt attaqué juge que Mme C…et Mme B…sont titulaires d’un permis de construire tacite depuis le 12 février 2014 et enjoint en conséquence à la commune de Bouc Bel Air de délivrer aux intéressées un certificat de permis de construire tacite ; qu’il permet ainsi d’engager les travaux projetés concernant l’édification de sept bâtiments comportant quatre-vingt-onze logements ; que, par suite, l’exécution de cet arrêt risquerait d’entraîner des conséquences difficilement réparables ».

C’est ce qui a donc amené le Conseil d’Etat à considérer que l’injonction de délivrance du certificat en exécution de l’arrêt de la cour administrative d’appel risquerait d’entrainer des conséquences difficilement réparables.

II – Sur l’existence d’un moyen sérieux de nature à justifier l’infirmation de la décision d’annulation du refus de permis de construire

Il appartient au demandeur au pourvoi qui sollicite le sursis à exécution de la décision attaquée de présenter un 5)Si l’article R. 821-5 du code de justice administrative emploie le pluriel (« les moyens »), le Conseil d’Etat admet que le sursis à exécution puisse être prononcé si un seul moyen apparait sérieux, v. en ce sens CE 28 juil. 2011 Commune de Grosrouvre, préc. ou plusieurs moyens sérieux et de nature à justifier, outre l’annulation de la décision juridictionnelle, l’infirmation de la solution retenue par les juges du fond.

Le moyen sérieux est un moyen qui « met en cause d’une façon crédible le bien-fondé de la décision juridictionnelle contestée », se situant « à mi-chemin entre le moyen de nature à faire naître un doute sérieux de l’article L. 521-1 du code de justice administrative et le moyen fondé retenu par le juge » 6)Grands arrêts du contentieux administratif, 5ème édition, 2016, Dalloz, p. 558..

Dans le contentieux du sursis à exécution en matière de permis de construire, rares sont les décisions dans lesquelles le Conseil d’Etat a considéré qu’un moyen était sérieux et de nature à justifier l’infirmation de la solution des juges du fond.

En l’espèce, s’il n’appartenait pas au Conseil d’Etat de se prononcer sur le bien-fondé du moyen présenté par la commune de Bouc Bel Air, il entrait en revanche dans son office de déterminer si ledit moyen était susceptible d’entrainer, outre la cassation de l’arrêt, l’infirmation de la solution retenue par la Cour dans ce litige.

En retenant que la commune de Bouc Bel Air se prévalait également d’un tel moyen, le Conseil d’Etat a en conséquence ordonné le sursis à exécution de la décision d’appel.

L’arrêt énonce en effet que :

« le moyen tiré de ce que la cour administrative d’appel de Marseille a entaché son arrêt d’une erreur de droit en jugeant que le délai d’instruction par le préfet du recours administratif dirigé contre l’avis de l’architecte des bâtiments de France n’était pas suspendu dans l’attente de la réception des pièces complémentaires demandées paraît, en l’état de l’instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l’annulation de l’arrêt attaqué, l’infirmation de la solution retenue par les juges du fond ».

En définitive, si cette solution n’est pas novatrice, elle a toutefois le mérite d’étoffer un contentieux jusqu’ici assez peu fourni et d’étendre le champ d’application du sursis à exécution au cas de la délivrance sur injonction d’un certificat de permis tacite.

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1. Ces conditions sont cumulatives, si l’une des deux n’est pas remplie, le Conseil d’Etat ne peut ordonner le sursis à exécution, v. en ce sens : CE 14 oct. 2009 Commune de Saint-Lunaire, req. n° 327150).
2. CE 9 nov. 2011 Commune de Challex, req. n° 352438.
3. CE 28 déc. 2012 SCI de l’Ermitage, req. n° 361414.
4. CE 28 juil. 2011 Commune de Grosrouvre, req. n° 350395 – CE 9 nov. 2011 Commune de Challex, req. n° 352438.
5. Si l’article R. 821-5 du code de justice administrative emploie le pluriel (« les moyens »), le Conseil d’Etat admet que le sursis à exécution puisse être prononcé si un seul moyen apparait sérieux, v. en ce sens CE 28 juil. 2011 Commune de Grosrouvre, préc.
6. Grands arrêts du contentieux administratif, 5ème édition, 2016, Dalloz, p. 558.

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