Trop de précautions tuent la sécurité juridique

Catégorie

Contrats publics

Date

May 2012

Temps de lecture

4 minutes

CE 9 mai 2012 Commune de Saint-Maur-les-Fosses, req. n° 355756

Dans cette affaire, l’annulation de la procédure de passation d’un marché de travaux pour l’amélioration du réseau d’eau potable a été confirmée, la Commune ayant pêché par excès de précaution.

La collectivité avait en effet lancé un appel d’offres ouvert, auquel la société Bâtiment Industrie Réseaux avait répondu. Toutefois, cette société a rapidement été avertie que son offre était rejetée, en raison des liens qu’elle entretenait avec un membre du conseil municipal. Effectivement, l’une des conseillères municipales avait des liens de parenté avec le président de cette société, et était même actionnaire de cette société. Cette élue avait participé à la première délibération de la procédure, celle qui en décidait le lancement, avant toute remise des offres par les candidats.

A n’en pas douter, de tels liens entre une personne investie d’un mandat électif et une société doivent effectivement faire l’objet d’un examen attentif lorsqu’est en cause l’attribution d’un marché public.

D’abord, il est exact que la commission d’appel d’offres ne doit comporter aucun membre qui pourrait personnellement être intéressé par la décision prise par elle. Le juge administratif transpose dans le droit des marchés publics, l’article L. 2541-17 du Code général des collectivités territoriales au terme duquel sont illégales les délibérations et décisions auxquelles a pris part un membre du conseil intéressé à l’affaire qui en fait l’objet[1].

Ensuite, le délit de prise illégale d’intérêt est effectivement sanctionné lourdement par l’article L. 432-12 du code pénal :

« Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75000 euros d’amende. […] ».

Enfin, l’article L. 432-14 du code pénal interdit à toute personne investie d’un mandat électif de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public, sous peine d’une amende de 30 000 euros et de deux ans d’emprisonnement..

Toutefois, et cela avait déjà été jugé par le Conseil d’Etat, le simple fait qu’une élue ayant délibéré sur le principe du lancement de la procédure de publicité et de mise en concurrence ait des liens avec l’une des sociétés qui candidate à l’attribution du marché ensuite ne suffit pas à entacher d’illégalité la délibération[2].

Mais plus encore, dans cette affaire, ladite élue n’avait pas siégé à la commission d’appel d’offres pour l’attribution de ce marché, et n’avait aucunement pris part au choix de l’entreprise attributaire. Au demeurant, il n’était pas allégués que les travaux objets du marché n’auraient pas présenté un caractère d’utilité, ni même que l’élue ait exercé une influence particulière sur le choix du lancement de la procédure.

Dès lors, en excluant d’office la société Bâtiment Industrie Réseaux de la procédure, au seul motif de ses liens avec une élue municipale, la collectivité a méconnu le principe d’égalité de traitement des candidats. D’ailleurs, la logique des textes veut davantage que l’élue détentrice des intérêts litigieux s’abstienne d’elle-même de siéger tant lors de la commission d’appel d’offres qu’au moment de la délibération autorisant la signature du marché, plutôt que l’entreprise soit sanctionnée du fait de tels liens, alors que cette dernière ne maîtrise pas le fonctionnement interne d’une collectivité.

Les collectivités doivent bien entendu rester attentives aux risques présentés par les accointances diverses et variées que les élus peuvent entretenir avec les entreprises privées – mais la précaution ne doit pas se transformer en une restriction excessive de l’accès aux marchés publics.


[1] CE 8 juin 1994 Mas c/ Commune de Saint-Geniez-D’olt, req. n° 141026, Mas : RD imm. 1994, p. 656, chron. F. Llorens et Ph. Terneyre : « […] Considérant que la règle énoncée par l’article L.121-35 du code des communes, cité plus haut, est applicable à la commission d’appel d’offres qui constitue une commission du conseil municipal investie d’un pouvoir de décision ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. Y…, détenteur de parts de la société à responsabilité limitée Y… qui a été déclarée attributaire du lot “maçonnerie”, était membre de la commission d’appel d’offres chargée de désigner les titulaires des marchés concourant à la réalisation de l’opération en cause ; que, même s’il a siégé lors dela séance d’ouverture des plis et non à celle qui a achevé la sélection des offres, sa présence dans les travaux de la commission d’appel d’offres a vicié la décision arrêtée par celle-ci au regard du lot “maçonnerie” […] »

[2] Même arrêt : « […] Considérant qu’aux termes de l’article L.121-35 du code des communes : “Sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part des membres du conseil intéressés à l’affaire qui en fait l’objet …” ; que la délibération attaquée, prise le 6 juillet 1989 par le conseil municipal de Saint Geniez d’Olt, a pour objet de décider de recourir à des marchés par appel d’offres pour la réalisation des travaux d’extension d’une base de canoë kayak, de désigner les membres de la commission d’appel d’offres et d’autoriser le maire à signer les pièces des marchés à intervenir ; que si ont pris part à l’adoption de la délibération deux conseillers municipaux qui se sont vu par la suite attribuer deux marchés concourant à l’opération et un conseiller municipal chargé par la commune de l’élaboration du projet en tant qu’architecte, cette circonstance ne conduit pas à les faire regarder comme “intéressés à l’affaire” qui a fait l’objet de la délibération attaquée, laquelle se bornait à organiser administrativement l’appel d’offres sans influer sur le choix des titulaires des marchés à intervenir ; qu’ainsi la participation de ces trois personnes à la délibération n’a pas entaché celle-ci d’illégalité […] »

 

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