« Il court, il court le délai du déféré…mais à partir de quand ? Tentative de précisions par le Conseil d’Etat du point de départ du déféré préfectoral contre une décision implicite ».

Catégorie

Droit administratif général, Urbanisme et aménagement

Date

October 2013

Temps de lecture

5 minutes

CE 23 octobre 2013 SARL Prestig’Immo, req. n° 344454 : Mentionné au Rec. CE

 

Le 23 octobre dernier, le Conseil d’Etat est venu préciser les modalités de calcul du délai de déféré préfectoral pouvant être exercé à l’encontre d’une autorisation de construire implicite.

 

Dans son considérant de principe, il indique:

 

« Considérant, en premier lieu, que, pour juger que le déféré préfectoral dirigé contre la décision tacite, acquise le 3 janvier 2008, par laquelle le maire de La Boisse ne s’était pas opposé à la déclaration préalable déposée par la SARL Prestig’Immo le 3 décembre 2007, n’était pas tardif, le tribunal administratif de Lyon a relevé que le maire, qui avait omis de transmettre au préfet la déclaration de travaux dans le délai prévu par l’article R. 423-7 du code de l’urbanisme, ne lui avait transmis cette déclaration ainsi que le dossier s’y rapportant que le 16 janvier 2008 et que, par suite, le délai de recours n’avait couru à l’égard du préfet qu’à compter de cette date, postérieure à celle de la décision tacite ; qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu’en statuant ainsi, alors même que l’avis de dépôt de la déclaration préalable aurait fait l’objet d’un affichage en mairie et que la décision tacite aurait été affichée sur le terrain par le pétitionnaire dès le 4 janvier 2008, le tribunal administratif n’a pas commis d’erreur de droit ».

 

Cette solution s’inscrit dans la continuité de nombreuses décisions des juges du fond qui sont régulièrement amenés à se prononcer sur le point de départ du déféré préfectoral.

 

Rappelons que sont obligatoirement soumis au contrôle de légalité « le permis de construire et les autres autorisations d’utilisation du sol et le certificat d’urbanisme délivrés par le maire ou le président de l’établissement public de coopération intercommunale, lorsqu’il a reçu compétence dans les conditions prévues aux articles L. 422-1 et L. 422-3 du code de l’urbanisme »[1].

 

Or, en application de l’article L. 2131-3 du CGCT, le préfet « ne peut les déférer au tribunal administratif, dans un délai de deux mois à compter de leur communication, que si sa demande a été présentée dans le délai de deux mois à compter de la date à laquelle les actes sont devenus exécutoires ».

 

En principe, un acte devient exécutoire à compter de cette transmission au préfet[2]. Mais ce n’est par définition pas le cas pour les autorisation ou décisions de non-opposition implicites qui deviennent directement exécutoires à la date à laquelle elles sont acquises[3].

 

Quid, dans ce cas, du point de départ du déféré préfectoral et de l’application de l’article L. 2131-3 du CGCT?

 

En effet, les décisions implicites demeurent soumises au contrôle de légalité du préfet. Toutefois, le préfet ne peut exercer un tel contrôle que s’il a eu connaissance de l’autorisation tacitement délivrée. A ce titre, les juges du fond rappellent régulièrement que « le délai pendant lequel le préfet peut déférer le permis court à compter de la date à laquelle il a pu ainsi avoir connaissance de l’autorisation accordée »[4].

 

La détermination du point du départ du délai n’est donc pas aisée.

 

En application des dispositions de l’article R. 423-7 du code de l’urbanisme, les déclarations préalables et demandes de permis de construire doivent obligatoirement être transmises au représentant de l’Etat dans le délai d’une semaine à compter de leur dépôt.

 

Dans ces conditions, il appartient aux services préfectoraux de calculer à compter de cette réception, la date à laquelle une décision tacite pourrait intervenir et d’obtenir de ce fait le point de départ dans lequel le préfet pourrait exercer un déféré préfectoral.

 

Cette situation, déjà peu lisible pour le pétitionnaire, se complique si le préfet sollicite la transmission d’informations complémentaires.

 

En effet, il est de jurisprudence constante pour les juges du fond que « le point de départ de ce délai [pour exercer un déféré préfectoral] peut d’ailleurs être prorogé jusqu’à la date de transmission du dossier complet de la demande si le représentant de l’Etat en a besoin pour exercer pleinement son contrôle de légalité »[5].

 

Le juge des référés Grenoblois précise de manière explicite dans une ordonnance du 29 août 2012 « qu’en cas de permis tacite délivré par le maire au nom de la commune, ce dernier est tenu de soumettre au préfet, pour contrôle de légalité, l’autorisation tacite délivrée et qu’eu égard au caractère tacite de la décision, cette obligation ne peut être remplie que par la transmission de l’entier dossier de demande de permis de construire ; qu’ainsi le délai de recours de deux mois dont dispose le préfet pour exercer le contrôle de légalité de l’acte ne peut courir qu’à compter de la date à laquelle l’entier dossier de permis de construire lui a été transmis dans les conditions précédemment exposées »[6].

 

Dans la présente décision le Conseil d’Etat confirme les modalités de calcul des juges du fond et souligne l’importance, pour déterminer le point de départ du délai du déféré, de la transmission initiale du dossier de demande. Un simple affichage en mairie de l’avis de dépôt puis de la décision implicite sur le terrain ne saurait faire courir le délai de déféré préfectoral à l’encontre du préfet.

 

La Haute juridiction fait donc droit à une approche pragmatique au détriment d’une interprétation littérale de l’article L. 2131-3 du CGCT.

 

En pratique, le schéma est donc le suivant :

 

1/ Dépôt de la demande en mairie par le pétitionnaire ;

2/ La transmission de la demande au préfet ouvre le délai à l’issue duquel le préfet est censé avoir connaissance de la décision implicite[7]. Il disposera alors d’un nouveau délai de deux mois pour exercer un déféré ;

3/ Toute demande d’informations complémentaires proroge ce délai. Un nouveau délai de deux mois court à compter de la réception des documents ou de la décision implicite de refus de transmission[8].

 

En conclusion, le bénéficiaire d’une décision tacite ne peut savoir avec certitude à partir de quand son autorisation ne peut plus faire l’objet d’un déféré préfectoral. Comme l’indiquait déjà Patrice Cornille, c’est la confirmation que « le préfet ne peut être considéré comme un « tiers » quand on prétend disserter des progrès de la sécurisation des autorisations d’urbanisme »[9]. « Sécuriser les autorisations d’urbanisme » en encadrant le recours des tiers, n’était-ce pas pourtant un des objectifs de l’ordonnance du 18 juillet dernier[10] ?


[1]              Article L. 2131-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT)

[2]              Article L. 424-7 du code de l’urbanisme : « Lorsque l’autorité compétente est le maire au nom de la commune ou le président de l’établissement public de coopération intercommunale, le permis est exécutoire, lorsqu’il s’agit d’un arrêté, à compter de sa notification au demandeur et de sa transmission au préfet dans les conditions définies aux articles L. 2131-1 et L. 2131-2 du code général des collectivités territoriales ».

[3]              L. 424-8 du code de l’urbanisme

[4]              Voir notamment pour un exemple récent CAA Marseille 6 juin 2013 SARL Château de Courtine, req. n° 10MA03704

[5]              CAA Bordeaux 26 mai 2011 Préfet de la Haute Garonne, req. n°11BX00491

[6]              TA Grenoble Ord 29 août 2012 Préfet de la Drôme, req. n° 1204406 confirmée par TA Grenoble 5 août 2013 Préfet de la Drôme, req. n° 1204405

[7]              1 mois pour les déclarations préalables et au moins 2 mois pour les permis de construire (selon le délai d’instruction nécessité par le projet)

[8]              V. notamment CE 31 mars 1989 Commune de Septèmes-les Vallons, req. n° 80272 : Rec. CE p.102

[9]              Patrice Cornille « Pas de permis tacite en cas d’avis défavorable de l’architecte des bâtiments de France », Construction et Urbanisme 2011, n° 106

[10]             Ordonnance du 18 juillet 2013 n° 2013-638 relative au contentieux de l’urbanisme

Partager cet article

3 articles susceptibles de vous intéresser