La candidature d’une personne publique à un marché public selon le Conseil d’Etat

Catégorie

Contrats publics

Date

January 2015

Temps de lecture

5 minutes

CE Ass. 30 décembre 2014 société Armor SNC, req. n° 355563

Le Conseil d’Etat offre une nouvelle grille de lecture sur les conditions dans lesquelles une collectivité territoriale ou un EPCI peut se porter candidate à un marché public passé par une autre personne publique, revenant ainsi sur la jurisprudence département de l’Aisne 1) CE 10 juillet 2009 département de l’Aisne, req. n° 324156 et 324232 : Rec. CE p. 829-841 ; BJCP 2009/67, p. 444, concl. Lénica, obs. C.M. ; Contrats-Marchés publ. 2009 n° 270, note Eckert..

Rappelons tout d’abord que par un avis du 8 décembre 2000 2) CE avis 8 novembre 2000 Société Jean-Louis Bernard Consultants, req. n° 222208 : Rec. CE p. 492, concl. Bergeal ; BJCP 2001/15, p. 118, concl. ; AJDA 2000 p. 987, chron. Guyomar et Collin – CE 16 octobre 2000 Compagnie méditerranéenne d’exploitation des services d’eau, req. n° 212054 : Rec. CE p. 422 ; RFDA 2001, p. 106, BJCP 2001/15, p. 105, concl. Bergeal., le Conseil d’Etat avait déjà admis que les personnes publiques puissent se porter candidates à un marché public :

    « Aucun texte ni aucun principe n’interdit, en raison de sa nature, à une personne publique, de se porter candidate à l’attribution d’un marché public ou d’un contrat de délégation de service public. Aussi la personne qui envisage de conclure un contrat dont la passation est soumise à des obligations de publicité et de mise en concurrence, ne peut elle refuser par principe d’admettre à concourir une personne publique ».

Pour ne pas fausser la concurrence, le Conseil d’Etat émettait toutefois, dans ce même avis, des conditions tenant à ce que la personne publique candidate ne puisse bénéficier, pour déterminer le prix de son offre, d’un avantage découlant des ressources qui lui sont attribuées au titre de sa mission de service public.

Puis, dans la décision précitée département de l’Aisne, le Conseil d’Etat avait admis qu’une collectivité locale puisse candidater à un marché public, sans qu’il soit nécessaire qu’elle justifie de l’existence d’un intérêt public à cet effet 3) « Considérant que, pour annuler la procédure de passation des lots n° 3, 4 et 6 du marché relatif aux prélèvements et analyses du contrôle sanitaire des eaux pour les directions départementales de l’action sanitaire et sociale du Nord et du Pas-de-Calais, le juge des référés du tribunal administratif de Lille s’est fondé sur ce que le DEPARTEMENT DE L’AISNE, dont la candidature de son Laboratoire départemental d’analyse et de recherche avait été retenue pour l’attribution de ces lots, ne justifiait pas d’un intérêt public local à réaliser des prestations d’analyse des eaux sur le territoire des départements du Nord et du Pas-de-Calais ;
Considérant que, dès lors qu’il ne s’agit pas de la prise en charge par le DEPARTEMENT DE L’AISNE d’une activité économique mais uniquement de la candidature d’un de ses services, dans le respect des règles de la concurrence, à un marché public passé par des services de l’Etat, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a commis une erreur de droit en subordonnant la légalité de cette candidature à l’existence d’un intérêt public ».
.

C’est sur cette décision que le Conseil d’Etat revient aujourd’hui.

En effet, saisi d’un pourvoi introduit par la société Armor SNC, candidate évincée contestant l’attribution d’un marché public à un département, le Conseil d’Etat juge que les collectivités territoriales ou leurs EPCI ne peuvent candidater à un marché public que si leur candidature répond à un intérêt public local :

    « Hormis celles qui leur sont confiées pour le compte de l’Etat, les compétences dont disposent les collectivités territoriales ou leurs établissements publics de coopération s’exercent en vue de satisfaire un intérêt public local ; que si aucun principe ni aucun texte ne fait obstacle à ce que ces collectivités ou leurs établissements publics de coopération se portent candidats à l’attribution d’un contrat de commande publique pour répondre aux besoins d’une autre personne publique, ils ne peuvent légalement présenter une telle candidature que si elle répond à un tel intérêt public, c’est à dire si elle constitue le prolongement d’une mission de service public dont la collectivité ou l’établissement public de coopération a la charge, dans le but notamment d’amortir des équipements, de valoriser les moyens dont dispose le service ou d’assurer son équilibre financier, et sous réserve qu’elle ne compromette pas l’exercice de cette mission ; qu’une fois admise dans son principe, cette candidature ne doit pas fausser les conditions de la concurrence ; qu’en particulier, le prix proposé par la collectivité territoriale ou l’établissement public de coopération doit être déterminé en prenant en compte l’ensemble des coûts directs et indirects concourant à sa formation, sans que la collectivité publique bénéficie, pour le déterminer, d’un avantage découlant des ressources ou des moyens qui lui sont attribués au titre de ses missions de service public et à condition qu’elle puisse, si nécessaire, en justifier par ses documents comptables ou tout autre moyen d’information approprié »;

Le Conseil d’Etat ajoute que :

    « ces règles s’appliquent enfin sans préjudice des coopérations que les personnes publiques peuvent organiser entre elles, dans le cadre de relations distinctes de celles d’opérateurs intervenant sur un marché concurrentiel ».

Au cas d’espèce, le Conseil d’Etat annule l’arrêt en jugeant qu’ « en ne recherchant pas, pour écarter le moyen tiré de ce que le département de la Charente-Maritime ne pouvait légalement déposer une offre dans le cadre d’un marché public exécuté en dehors de ses limites territoriales sans se prévaloir d’un intérêt public local, si la candidature de ce département constituait le prolongement de l’une de ses missions de service public, la cour administrative d’appel de Nantes a commis une erreur de droit » et renvoie l’affaire devant la cour administrative de Nantes.

En résumé, pour qu’une collectivité territoriale ou un EPCI puisse candidater à un « contrat de commande publique », les conditions suivantes doivent être réunies :

► Tout d’abord, la candidature doit répondre à un intérêt public local, ce qui sera le cas lorsqu’elle est le « prolongement d’une mission de service public dont la collectivité ou l’établissement public de coopération a la charge, dans le but notamment d’amortir des équipements, de valoriser les moyens dont dispose le service ou d’assurer son équilibre financier, et sous réserve qu’elle ne compromette pas l’exercice de cette mission » ;

► Puis, une fois que la candidature a été admise dans son principe, celle-ci ne doit pas fausser les conditions de la concurrence, notamment concernant la fixation du prix 4) CE avis 8 novembre 2000 Société Jean-Louis Bernard Consultants, req. n° 222208 : Rec. CE p. 492, concl. Bergeal ; BJCP 2001/15, p. 118, concl. ; AJDA 2000 p. 987, chron. Guyomar et Collin..

Cette décision semble s’inscrire dans la lignée de la jurisprudence Ordre des avocats au barreau de Paris 5) CE Ass. 31 mai 2006 Ordre des avocats au barreau de Paris, req. n° 275531 : Rec. CE p. 272 ; AJDA 2006 p. 1592, chron. Landais et Lenica ; RFDA 2006 p. 1048, concl. Casas ; BJCP 2006/47, p. 295, concl. Casas, note RS. qui admettait la prise en charge d’une activité économique par une personne publique à conditions de respecter la liberté de commerce et de l’industrie et le droit de la concurrence, notamment en agissant dans la limite de ses compétences et en justifiant d’un intérêt public.

Enfin, cet arrêt est à rapprocher également de la récente confirmation par la réponse ministérielle de l’impossibilité pour les régies communales ou intercommunales de se porter candidat aux marchés publics de transports scolaires en-dehors du territoire de la collectivité dont elle est l’émanation 6) Rep. min. n° 56638, JOAN 9 décembre 2014, page 10370, concernant le cas particulier des transports scolaires. et, également, de l’arrêt récent de la CJUE sur cette même problématique de la candidature d’une personne publique à un marché public 7) CJUE 18 décembre 2014 Azienda Ospedaliero-Universitaria di Careggi-Firenze c/ Data Medical Service srl, aff. C-568/13 : arrêt commenté sur le blog..

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References   [ + ]

1. CE 10 juillet 2009 département de l’Aisne, req. n° 324156 et 324232 : Rec. CE p. 829-841 ; BJCP 2009/67, p. 444, concl. Lénica, obs. C.M. ; Contrats-Marchés publ. 2009 n° 270, note Eckert.
2. CE avis 8 novembre 2000 Société Jean-Louis Bernard Consultants, req. n° 222208 : Rec. CE p. 492, concl. Bergeal ; BJCP 2001/15, p. 118, concl. ; AJDA 2000 p. 987, chron. Guyomar et Collin – CE 16 octobre 2000 Compagnie méditerranéenne d’exploitation des services d’eau, req. n° 212054 : Rec. CE p. 422 ; RFDA 2001, p. 106, BJCP 2001/15, p. 105, concl. Bergeal.
3. « Considérant que, pour annuler la procédure de passation des lots n° 3, 4 et 6 du marché relatif aux prélèvements et analyses du contrôle sanitaire des eaux pour les directions départementales de l’action sanitaire et sociale du Nord et du Pas-de-Calais, le juge des référés du tribunal administratif de Lille s’est fondé sur ce que le DEPARTEMENT DE L’AISNE, dont la candidature de son Laboratoire départemental d’analyse et de recherche avait été retenue pour l’attribution de ces lots, ne justifiait pas d’un intérêt public local à réaliser des prestations d’analyse des eaux sur le territoire des départements du Nord et du Pas-de-Calais ;
Considérant que, dès lors qu’il ne s’agit pas de la prise en charge par le DEPARTEMENT DE L’AISNE d’une activité économique mais uniquement de la candidature d’un de ses services, dans le respect des règles de la concurrence, à un marché public passé par des services de l’Etat, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a commis une erreur de droit en subordonnant la légalité de cette candidature à l’existence d’un intérêt public ».
4. CE avis 8 novembre 2000 Société Jean-Louis Bernard Consultants, req. n° 222208 : Rec. CE p. 492, concl. Bergeal ; BJCP 2001/15, p. 118, concl. ; AJDA 2000 p. 987, chron. Guyomar et Collin.
5. CE Ass. 31 mai 2006 Ordre des avocats au barreau de Paris, req. n° 275531 : Rec. CE p. 272 ; AJDA 2006 p. 1592, chron. Landais et Lenica ; RFDA 2006 p. 1048, concl. Casas ; BJCP 2006/47, p. 295, concl. Casas, note RS.
6. Rep. min. n° 56638, JOAN 9 décembre 2014, page 10370, concernant le cas particulier des transports scolaires.
7. CJUE 18 décembre 2014 Azienda Ospedaliero-Universitaria di Careggi-Firenze c/ Data Medical Service srl, aff. C-568/13 : arrêt commenté sur le blog.

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