Inscription au titre des monuments historiques et immeuble par nature

Catégorie

Droit administratif général

Date

December 2014

Temps de lecture

7 minutes

Un récent arrêt rendu dans le cadre d’un recours dirigé contre un arrêté du préfet de la région Franche-Comté prononçant l’inscription au titre des monuments historiques de la totalité d’un pavillon de jardin et de ses panneaux de bois peints comportant des décors a donné l’occasion au juge administratif – une fois n’est pas coutume – de faire usage des dispositions du code civil relatives à la distinction entre meubles et immeubles 1) CE 28 novembre 2014, req. n° 361063..

Issu, pour sa partie législative, de l’ordonnance n° 2004-178 du 20 février 2004, le code du patrimoine 2) Son article L. 1 énonce à cet égard que : « Le patrimoine s’entend, au sens du présent code, de l’ensemble des biens, immobiliers ou mobiliers, relevant de la propriété publique ou privée, qui présentent un intérêt historique, artistique, archéologique, esthétique, scientifique ou technique ». a codifié la célèbre loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques. Il reprend à cet égard la distinction que celle-ci opérait entre le classement et l’inscription, de même qu’il distingue également selon que le bien devant faire l’objet de l’un ou l’autre est un immeuble ou un meuble.

    1 – L’intérêt historique ou artistique justifiant l’inscription

S’agissant des immeubles, l’article L. 621-1 du code du patrimoine énonce ainsi que : « Les immeubles dont la conservation présente, au point de vue de l’histoire ou de l’art, un intérêt public sont classés comme monuments historiques en totalité ou en partie par les soins de l’autorité administrative […] » 3) Il précise à cet égard que : « Sont notamment compris parmi les immeubles susceptibles d’être classés au titre des monuments historiques : a) Les monuments mégalithiques, les terrains qui renferment des stations ou gisements préhistoriques ; b) Les immeubles dont le classement est nécessaire pour isoler, dégager, assainir ou mettre en valeur un immeuble classé au titre des monuments historiques », cependant que l’article L. 621-3 ajoute aux immeubles classés ceux figurant sur la liste publiée au Journal officiel du 18 avril 1914 et ceux ayant fait l’objet d’arrêtés ou de décrets de classement conformément aux dispositions de la loi du 30 mars 1887..

Et l’article L. 621-25 dispose pour sa part que : « Les immeubles ou parties d’immeubles publics ou privés qui, sans justifier une demande de classement immédiat au titre des monuments historiques, présentent un intérêt d’histoire ou d’art suffisant pour en rendre désirable la préservation peuvent, à toute époque, être inscrits, par décision de l’autorité administrative, au titre des monuments historiques […] » 4) Il ajoute que : « Peut être également inscrit dans les mêmes conditions tout immeuble nu ou bâti situé dans le champ de visibilité d’un immeuble déjà classé ou inscrit au titre des monuments historiques », cependant que l’article L. 621-26 prévoit que : « Sont notamment compris parmi les immeubles susceptibles d’être inscrits au titre des monuments historiques les monuments mégalithiques, les stations préhistoriques ainsi que les terrains qui renferment des champs de fouilles pouvant intéresser la préhistoire, l’histoire, l’art ou l’archéologie ».. Il s’agit là de ce que l’on appelait autrefois, jusqu’en 2005, l’inscription sur l’inventaire supplémentaire des monuments historiques 5) Article 2 al. 4 de la loi du 31 décembre 1913 et article L. 621-25 du code du patrimoine, dans sa rédaction antérieure à sa modification par l’article 11 de l’ordonnance n° 2005-1128 du 8 septembre 2005 relative aux monuments historiques et aux espaces protégés..

Les décisions de classement ou d’inscription sont naturellement soumises au contrôle du juge administratif, de même d’ailleurs que celles rejetant une demande de classement ou d’inscription. Ainsi le juge contrôle-t-il, en cas de classement (ou d’ouverture d’une instance de classement 6) L’instance de classement est une procédure temporaire et d’urgence prévue à l’article L. 621-7 et permettant d’appliquer pour une durée d’un an maximum les effets du classement à un immeuble (présentant des caractéristiques lui permettant de prétendre au classement) dont la conservation est menacée.) l’existence d’un intérêt public s’attachant à la conservation de l’immeuble 7) CE 22 mars 1999 Commune d’Aix-en-Provence, req. n° 163916. et, en cas de simple inscription, l’existence d’un intérêt suffisant 8) CE 7 février 1992, Ministre de la culture, de la communication, des grands travaux et du bicentenaire, req. n° 110704 – CAA Nantes 28 décembre 2007 Société civile immobilière (SCI) de la Mauvoisinnière, req. n° 07NT00476 – CAA Nancy 27 février 2012 SA Grande Brasserie Patrie Schutzenberger, req. n° 10NC00813..

Ce contrôle du juge est toutefois dissymétrique : s’il n’exerce qu’un contrôle restreint (c’est-à-dire limité à l’erreur manifeste d’appréciation) en cas de refus de classement ou d’inscription 9) CE 14 octobre 1983 Mme Van Egmont Florian, req. n° 02563 : Rec. CE p. 413 – TA Lyon 12 avril 2007 Association ARCO, req. n° 05-04.134., il exerce en revanche un contrôle normal sur les décisions portant classement ou inscription 10) CE 25 mars 1998 SCI Villa Saint- Jacques, req. n° 161124..

Au cas présent, le juge du fond avait naturellement vérifié que le bien dont le préfet de région avait prononcé l’inscription présentait un intérêt d’art ou d’histoire suffisant et le Conseil d’Etat contrôle à son tour qu’il n’a ni commis erreur de droit (en faisant usage de critères erronés) ni erreur de qualification juridique (en retenant un intérêt suffisant pour un bien qui n’en aurait en réalité pas eu) :

    « 7. Considérant, en premier lieu, que la cour a estimé que le bâtiment ayant fait l’objet de l’inscription au titre des monuments historiques, érigé au XVIIème siècle, qui avait la destination d’un pavillon de plaisance, était en bon état de conservation, avait conservé sa forme et ses caractéristiques architecturales originales, propres à la ville de Montbéliard, et demeurait représentatif d’une histoire locale particulière, en dépit des modifications intervenues à plusieurs reprises et de la dépose des panneaux de bois peints à laquelle les propriétaires avaient procédé ; que la cour a également relevé que les panneaux de bois peints étaient incorporés à la couverture du pavillon et avaient été déposés afin de préserver leur état ; que, la cour, qui a procédé à une appréciation de l’intérêt d’histoire ou d’art du bâtiment au sens des dispositions de l’article L. 621-25 du code du patrimoine et en a déduit que cet intérêt avait un caractère suffisant, n’a pas commis d’erreur de droit et n’a pas donné aux faits ainsi énoncés une qualification juridique erronée ».

Mais la difficulté était ailleurs.

    2 – Notion d’immeuble par nature et procédure applicable

Depuis 1913, on peut classer ou inscrire aussi bien des meubles que des immeubles, mais tant les critères que la procédure diffèrent.

Les articles L. 621-1 et L. 621-25 du code du patrimoine ne concernent en effet que les immeubles.

Pour les meubles, l’article L. 622-1 régit leur classement, en prévoyant que : « Les objets mobiliers, soit meubles proprement dits, soit immeubles par destination, dont la conservation présente, au point de vue de l’histoire, de l’art, de la science ou de la technique, un intérêt public peuvent être classés au titre des monuments historiques par décision de l’autorité administrative […] » ; et l’article L. 622-20 leur inscription, en disposant que : « Les objets mobiliers, soit meubles proprement dits, soit immeubles par destination qui, sans justifier une demande de classement immédiat, présentent, au point de vue de l’histoire, de l’art, de la science ou de la technique, un intérêt suffisant pour en rendre désirable la préservation, peuvent, à toute époque, être inscrits au titre des monuments historiques. Les objets mobiliers appartenant à une personne privée ne peuvent être inscrits qu’avec son consentement ».

Dans le cas d’une inscription d’un meuble au titre des monuments historiques, il est donc requis le consentement du propriétaire, ce que ne prévoient pas les dispositions relatives à l’inscription des immeubles, qui se bornent pour l’essentiel à prévoir son information 11)Articles L. 621-25 à L. 621-29 et R. 621-53 à 621-59. L’article L. 621-27 al. 1er prévoit notamment que : « L’inscription au titre des monuments historiques est notifiée aux propriétaires et entraînera pour eux l’obligation de ne procéder à aucune modification de l’immeuble ou partie de l’immeuble inscrit, sans avoir, quatre mois auparavant, avisé l’autorité administrative de leur intention et indiqué les travaux qu’ils se proposent de réaliser »..

En l’espèce, les requérants, propriétaires indivis du pavillon, affirmaient que les décors en bois peints inscrits avec le reste du pavillon constituaient des biens mobiliers et que leur consentement aurait donc dû être obtenu par le préfet de région.

Pour rejeter cette argumentation, la Cour administrative d’appel s’était fondée sur ce que les panneaux de bois peints avaient le caractère d’immeuble par nature (relevant donc de l’article L. 621-25) et non par destination (relevant donc, au même titre que les « meubles proprement dits », de l’article L. 622-20).

La distinction est faite par le code civil : son article 516 énonce en effet que : « Tous les biens sont meubles ou immeubles », son article 517 que : « Les biens sont immeubles, ou par leur nature, ou par leur destination, ou par l’objet auquel ils s’appliquent », son article 518 que : « Les fonds de terre et les bâtiments sont immeubles par leur nature » et enfin son article 524 que : « Sont aussi immeubles par destination, tous effets mobiliers que le propriétaire a attachés au fonds à perpétuelle demeure ».

Le Conseil d’Etat valide cette analyse, en relevant :

    « qu’il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que les panneaux de bois peint comportant des décors épousaient parfaitement les formes spécifiques données à la couverture du pavillon constituée d’une voûte en arc de cloître, et avaient été spécialement conçus pour être incorporés au plafond ; qu’en en déduisant que ces panneaux avaient le caractère d’immeuble par nature, dès lors qu’ils ne pouvaient être séparés du plafond du pavillon sans porter atteinte à son intégrité, la cour a donné aux faits, qu’elle a souverainement appréciés, sans les dénaturer, une exacte qualification et n’a pas commis d’erreur de droit ».

Par le passé, une telle solution avait été retenue pour des bas-reliefs destinés à être encastrés dans la partie des murs située au-dessus des portes d’accès du grand salon d’un château 12) CE 24 février 1999 Société Transurba, req. n° 191317 : Rec. CE p. 33..

Cela étant, il ressort de l’arrêt que les panneaux de bois peints « avaient été déposés afin de préserver leur état » et cette circonstance n’a donc pas interdit au juge administratif d’y voir néanmoins un immeuble par nature. Or, une telle solution n’a rien d’évident dès lors que l’Assemblée plénière de la Cour de cassation avait pour sa part jugé il y a quelques années que « [des] fresques, immeubles par nature, [étaient] devenues des meubles du fait de leur arrachement » 13) Cass. Ass. plén. 15 avril 1988, pourvoi n° 85-10262 85-11198 : Bulletin 1988 A.P. n° 4 p. 5.. On remarquera également que le code du patrimoine envisage une telle possibilité puisque, en matière de classement, l’article L. 622-1 al. 2 prévoit que : « Les effets du classement prévus dans la présente section s’appliquent aux biens devenus meubles par suite de leur détachement d’immeubles classés en application de l’article L. 621-1, ainsi qu’aux immeubles par destination classés qui sont redevenus meubles ».

Mais peut-être les panneaux ont-il été simplement déposés de la voûte mais laissés dans le pavillon…

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References   [ + ]

1. CE 28 novembre 2014, req. n° 361063.
2. Son article L. 1 énonce à cet égard que : « Le patrimoine s’entend, au sens du présent code, de l’ensemble des biens, immobiliers ou mobiliers, relevant de la propriété publique ou privée, qui présentent un intérêt historique, artistique, archéologique, esthétique, scientifique ou technique ».
3. Il précise à cet égard que : « Sont notamment compris parmi les immeubles susceptibles d’être classés au titre des monuments historiques : a) Les monuments mégalithiques, les terrains qui renferment des stations ou gisements préhistoriques ; b) Les immeubles dont le classement est nécessaire pour isoler, dégager, assainir ou mettre en valeur un immeuble classé au titre des monuments historiques », cependant que l’article L. 621-3 ajoute aux immeubles classés ceux figurant sur la liste publiée au Journal officiel du 18 avril 1914 et ceux ayant fait l’objet d’arrêtés ou de décrets de classement conformément aux dispositions de la loi du 30 mars 1887.
4. Il ajoute que : « Peut être également inscrit dans les mêmes conditions tout immeuble nu ou bâti situé dans le champ de visibilité d’un immeuble déjà classé ou inscrit au titre des monuments historiques », cependant que l’article L. 621-26 prévoit que : « Sont notamment compris parmi les immeubles susceptibles d’être inscrits au titre des monuments historiques les monuments mégalithiques, les stations préhistoriques ainsi que les terrains qui renferment des champs de fouilles pouvant intéresser la préhistoire, l’histoire, l’art ou l’archéologie ».
5. Article 2 al. 4 de la loi du 31 décembre 1913 et article L. 621-25 du code du patrimoine, dans sa rédaction antérieure à sa modification par l’article 11 de l’ordonnance n° 2005-1128 du 8 septembre 2005 relative aux monuments historiques et aux espaces protégés.
6. L’instance de classement est une procédure temporaire et d’urgence prévue à l’article L. 621-7 et permettant d’appliquer pour une durée d’un an maximum les effets du classement à un immeuble (présentant des caractéristiques lui permettant de prétendre au classement) dont la conservation est menacée.
7. CE 22 mars 1999 Commune d’Aix-en-Provence, req. n° 163916.
8. CE 7 février 1992, Ministre de la culture, de la communication, des grands travaux et du bicentenaire, req. n° 110704 – CAA Nantes 28 décembre 2007 Société civile immobilière (SCI) de la Mauvoisinnière, req. n° 07NT00476 – CAA Nancy 27 février 2012 SA Grande Brasserie Patrie Schutzenberger, req. n° 10NC00813.
9. CE 14 octobre 1983 Mme Van Egmont Florian, req. n° 02563 : Rec. CE p. 413 – TA Lyon 12 avril 2007 Association ARCO, req. n° 05-04.134.
10. CE 25 mars 1998 SCI Villa Saint- Jacques, req. n° 161124.
11. Articles L. 621-25 à L. 621-29 et R. 621-53 à 621-59. L’article L. 621-27 al. 1er prévoit notamment que : « L’inscription au titre des monuments historiques est notifiée aux propriétaires et entraînera pour eux l’obligation de ne procéder à aucune modification de l’immeuble ou partie de l’immeuble inscrit, sans avoir, quatre mois auparavant, avisé l’autorité administrative de leur intention et indiqué les travaux qu’ils se proposent de réaliser ».
12. CE 24 février 1999 Société Transurba, req. n° 191317 : Rec. CE p. 33.
13. Cass. Ass. plén. 15 avril 1988, pourvoi n° 85-10262 85-11198 : Bulletin 1988 A.P. n° 4 p. 5.

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