Contrats administratifs entre personnes privées : abandon de la jurisprudence Entreprise Peyrot sur les marchés de travaux des concessionnaires d’autoroute

Catégorie

Contrats publics

Date

March 2015

Temps de lecture

11 minutes

TC 9 mars 2015 Mme R. c/ Société Autoroutes du Sud de la France, req. n° 3984

Une page (du GAJA 1)M. Long, P. Weil, G. Braibant, P. Delvolvé et B. Genevois, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, Dalloz.) se tourne !

Le Tribunal des conflits vient en effet d’abandonner la jurisprudence Entreprise Peyrot du 8 juillet 1963 par laquelle il avait jugé que les marchés de travaux passés avec des sociétés privées par les sociétés d’économie mixte concessionnaires de l’Etat pour la construction et l’exploitation des autoroutes étaient, bien qu’étant conclus entre deux personnes privées, des contrats administratifs au motif « que la construction des routes nationales a le caractère de travaux publics et appartient par nature à l’Etat [et] qu’elle est traditionnellement exécutée en régie directe » 2)TC 8 juillet 1963 SARL « Entreprise Peyrot » c/ SAEM Société de l’Autoroute Estérel Côte d’Azur, req. n° 01804 : Rec. CE p. 787 ; GAJA 19e éd., 2013, n° 80, p. 552..

    1 Le principe : un contrat entre personnes privées est un contrat de droit privé

La notion de contrat administratif (soumis au droit public et relevant du juge administratif) présuppose en principe que l’une des parties au contrat soit une personne publique (critère organique) ; si ce n’est pas une condition suffisante, et qu’il faudra également s’attacher au contenu ou à l’objet du contrat (critère matériel 3)Tel que la participation à l’exécution du service public ou la présence d’une clause exorbitante du droit commun, dont la définition a été récemment rénovée (TC 15 octobre 2014 SA AXA France IARD, req. n° 3963) ; cf. http://www.adden-leblog.com/?p=6169.), c’est une condition sine qua non.

En conséquence, un contrat conclu entre deux personnes privées est en principe un contrat de droit privé (soumis au droit privé et relevant du juge judiciaire), et il est à cet égard normalement indifférent qu’il ait pour objet l’exécution de travaux publics 4)CE 16 mars 1966 Société des eaux de Marseille, req. n° 65551 : Rec. CE p. 1019 – CE 21 juillet 1972 Société « Entreprise Ossude », req. n° 78563 : Rec. CE p. 562 – TC 25 juin 1973 SEMVI, req. n° 1981 : Rec. CE p. 846 – TC 24 novembre 1997 Société De Castro c/ Bourcy et Sole, req. n° 03060 : Rec. CE p. 540 – TC 17 décembre 2001 Société Rue impériale de Lyon c/ société Lyon Parc Auto, req. n° 3262 : Rec. CE p. 760 ; BJCP 2002/21, p. 127, concl. Bachelier, obs. RS. ou encore qu’il se réfère au code des marchés publics ou à un cahier des clauses administratives générales ou qu’il comporte une clause exorbitante du droit commun 5)CE 14 novembre 1973 Société du canal de Provence et d’aménagement de la région provençale, req. n° 86219, Rec. p. 924 ; TC 26 mars 1990 Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), req. n° 02596 ; CE 9 février 1994 Société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône, req. n° 126485, Rec. p. 63 ; TC 17 décembre 2001, préc.
.

    2 Les exceptions : la loi ; le mandat administratif ; la personne transparente ; Peyrot et sa postérité
    2.1 Contrats administratifs par détermination de la loi

Il est arrivé au législateur de qualifier d’administratif tel ou tel type de contrat, indépendamment du fait qu’il peut être conclu entre deux personnes privées : une exception bien connue et ancienne concerne les contrats portant occupation du domaine public conclus entre les concessionnaires de service public et les sous-occupants 6)Article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques (issu de l’article L. 84 du code du domaine de l’Etat, lui-même issu du décret-loi du 17 juin 1938). ; une autre plus récente les contrats de concession de travaux 7)Ordonnance n° 2009-864 du 15 juillet 2009 relative aux contrats de concession de travaux publics..

    2.2 Les contrats conclus « pour le compte » d’une personne publique ou par une personne privée transparente

D’autres exceptions, jurisprudentielles, sont apparues, fondées, pour leur part, sur l’idée ou la notion de « mandat administratif », distinct du mandat stricto sensu du code civil (celui-ci étant toutefois naturellement possible) ou du mandat de maîtrise d’ouvrage délégué prévu par la loi n° 85-704 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privé 8)TC 15 novembre 1999 SA Hartley Guyane, req. n° 03151. Cf. l’article 4-IV de la loi MOP.. Bien qu’en amont n’existe aucun mandat exprès, les caractéristiques et stipulations de certains contrats ont ainsi pu conduire le juge à les regarder comme ayant été conclus par une personne privée pour le compte d’une personne publique située en arrière-plan :

    – marchés de travaux de voiries et réseaux dans une zone d’aménagement attribués par une SEM 9)CE Sect. 30 mai 1975 Société d’équipement de la région montpelliéraine, req. n° 86738 : Rec. CE p. 326 : construction de voies publiques dans une zone à urbaniser en priorité selon un cahier des charges et avec les subventions versées aux collectivités publiques, les voies étant remises dès leur achèvement à la commune qui était substituée à la SEM pour la garantie décennale – TC 7 juillet 1975 Commune d’Agde, req. n° 02013, Rec. CE p. 798 : réseaux – CE Sect. 27 novembre 1987 Société provençale d’équipement, req. n° 38318 : Rec. CE p. 384 : idem. ;
    – marchés de travaux attribués par une société chargée de la construction d’une centrale nucléaire 10)TC 10 mai 1993 Société Wanner Isofi Isolation, req. n° 02840 : Rec. CE p. 399. ;
    – promesse de convention d’occupation domaniale conclue par une filiale à 100% de la SNCF chargée de commercialiser les emplacements d’une gare 11)TC 16 octobre 2006 EURL Pharmacie de la gare Saint Charles, req. n° C3514 : Rec. CE p. 369. ;
    – contrats des exploitants d’aéroports confiant à des tiers des mission d’inspection et de filtrage des passagers, personnels et bagages 12)CE 3 juin 2009 Société Aéroports de Paris, req. n° 323594 : Rec. CE p. 216..

Une autre exception, relativement proche, est celle où la personne privée contractant avec une autre personne privée pour l’exécution d’une mission de service public a été regardée comme « transparente » 13)CE 21 mars 2007 Commune de Boulogne-Billancourt, req. n° 281796 : Rec. CE p. 130 : jugeant « que lorsqu’une personne privée est créée à l’initiative d’une personne publique qui en contrôle l’organisation et le fonctionnement et qui lui procure l’essentiel de ses ressources, cette personne privée doit être regardée comme transparente et les contrats qu’elle conclut pour l’exécution de la mission de service public qui lui est confiée sont des contrats administratifs ». – Voir aussi TC 4 juillet 2011 Herry c/ Institut national polytechnique de Grenoble, req. n° C3772..

    2.3 La jurisprudence Entreprise Peyrot et les travaux routiers

La jurisprudence Entreprise Peyrot procède pour sa part d’un autre raisonnement. La loi du 18 avril 1955 avait autorisé l’Etat à concéder, notamment à des sociétés d’économie mixte, la construction et l’exploitation des autoroutes, ces sociétés concluant ensuite, pour les besoins de l’exécution de leur concession, divers contrats et notamment des marchés de travaux avec d’autres entreprises. Au lieu de voir dans ces marchés de travaux des contrats de droit privé car conclus entre deux personnes privées, le Tribunal des conflits a décidé qu’il s’agissait de contrats administratifs en raison de leur objet, nonobstant la qualité de personne privée ou publique du concessionnaire les attribuant 14)« que la construction des routes nationales a le caractère de travaux publics et appartient par nature à l’Etat ; qu’elle est traditionnellement exécutée en régie directe ; que, par suite, les marchés passés par le maître de l’ouvrage pour cette exécution sont soumis aux règles du droit public ; Considérant qu’il doit en être de même pour les marchés passés par le maître de l’ouvrage pour la construction d’autoroutes dans les conditions prévues par la loi du 18 avril 1955 sans qu’il y ait lieu de distinguer selon que la construction est assurée de manière normale directement par l’Etat, ou à titre exceptionnel par un concessionnaire agissant en pareil cas pour le compte de l’Etat, que ce concessionnaire soit une personne morale de droit public, ou une société d’économie mixte, nonobstant la qualité de personne morale de droit privé d’une telle société »..

La jurisprudence Peyrot a été ensuite étendue :

    – aux tunnels routiers 15)CE 24 avril 1968 Société concessionnaire française pour la construction et l’exploitation du tunnel routier sous le Mont-Blanc, req. n° 70188 : Rec. CE p. 256 – TC 12 novembre 1984 Société d’économie mixte du tunnel de Sainte-Marie-aux-Mines, req. n° 02356 : Rec. CE p. 666. ;
    – aux ouvrages d’art de franchissement d’un fleuve 16)CE 1er avril 2009 Société des autoroutes du sud de la France, req. n° 315586. ;
    – aux logements de fonction construits aux abords immédiats de l’autoroute et permettant au personnel d’entretien de celle-ci d’intervenir en urgence 17)CE 23 décembre 2011 Société Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (SAPRR), req. n° 340348 : Rec. CE p. 1001. ;
    – aux réseaux de fibres optiques intégrés dans l’autoroute 18)CE 12 janvier 2011 Société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France, req. n° 332136 : RJEP, n° 29, note Terneyre. ;
    – aux travaux d’insonorisation permettant de lutter contre le bruit engendré par l’autoroute, y compris sur un immeuble privé voisin 19)TC 4 novembre 1996 Espinosa c/ Escota, req. n° 02990 : Rec. CE p. 553. ;
    – et, au plan organique, aux sociétés concessionnaires d’autoroutes à capitaux entièrement privés 20)CE Sect. 3 mars 1989 Société des autoroutes de la région Rhône-Alpes, req. n° 79532 : Rec. CE p. 69, concl. Guillaume..
    3 Les critiques et la réaffirmation progressive du principe

Ces dernières années, la jurisprudence est venue réaffirmer l’idée qu’un contrat entre personnes privées est normalement de droit privé, en jugeant ainsi :

    – qu’un contrat dans lequel l’Etat n’assure pas la direction technique des actions de construction et ne bénéficie d’une remise des ouvrages qu’au terme du contrat, et dans lequel il ne joue donc pas le rôle de maître d’ouvrage, ne peut être un mandat de maîtrise d’ouvrage déléguée ; le contrat conclu, en aval, par son cocontractant privé avec une autre personne privée est donc de droit privé 21)CE 17 juin 2009, SAEMN Bibracte, req. n° 297509 : Rec. CE p. 667-825 ; BJCP 2009/66, p. 379, concl. Boulouis, obs. R.S.. ;
    – que la concession d’aménagement ayant pour objet la réalisation à la fois d’ouvrages destinés à être remis dès leur achèvement à la collectivité concédante et d’ouvrages destinés à être loués ou vendus à des tiers constitue non un mandat (pour les premiers) et une concession (pour les seconds) mais une concession dans son ensemble, ceci avec la même conséquence quant aux contrats ensuite conclus par le concessionnaire 22)CE 11 mars 2011 Communauté agglomération du Grand Toulouse et SEM Colomiers, req. n° 330722 : BJCP p. 222, concl. Boulouis, obs. R.S. ; RJEP 2011, étude 4, note Llorens. ;
    – que la société titulaire d’une telle convention d’aménagement, ayant un double objet, « ne peut, en l’absence de conditions particulières, être regardée comme un mandataire agissant pour le compte de la » personne publique et que les contrats qu’elle passe, « pour les opérations de construction de la [ZAC], qu’elles aient ou non le caractère d’opérations de travaux publics, sont des contrats de droit privé » 23)TC 15 octobre 2012 Société Port Croisade, req. n° C3853. ;
    – que la société titulaire d’une concession de travaux et de service public (en vertu de laquelle elle est rémunérée par les résultats de l’exploitation tandis que la personne publique ne prend possession de l’ouvrage qu’à son expiration) est présumée agir pour son propre compte et non « pour le compte d’une personne publique » lorsqu’elle contracte ensuite 24)TC 9 juillet 2012 Société Compagnie des eaux et de l’ozone (CEO), req. n° C3834 : Rec. CE p. 653. ;
    – et qu’il en va de même de la personne privée « chargée par une personne publique d’exploiter un ouvrage public », qui ne peut davantage, lorsqu’elle « conclut avec d’autres entreprises un contrat en vue de la réalisation de travaux sur cet ouvrage, […] être regardée, en l’absence de conditions particulières, comme agissant pour le compte de la personne publique propriétaire de l’ouvrage » 25)TC 16 juin 2014 Société d’exploitation de la Tour Eiffel, req. n° 3944..

Parallèlement, la jurisprudence Peyrot a fait l’objet de critiques, le professeur Philippe Terneyre ayant par exemple souligné qu’il n’y a pas de raison de considérer les travaux routiers comme appartenant par nature à l’Etat et pas les travaux ferroviaires, que les concessionnaires d’autoroutes n’ont jamais été les mandataires de l’Etat, y compris dans les années 60, et qu’ils sont désormais « des sociétés européennes du secteur privé, très fortement capitalisées, qui, après une concurrence féroce, négocient pied à pied avec l’Etat (sous l’extrême vigilance des prêteurs) leurs contrats » 26)Philippe Terneyre, Pourquoi les marchés de travaux des sociétés concessionnaires d’autoroutes conclus avec des entreprises privées devraient-ils relever « par nature » de la compétence de la juridiction administrative ?, RJEP juin 2011, n° 29.. Plus récemment, Bertrand Dacosta y a vu « une jurisprudence désormais contestable tant au regard de ses justifications que de ses résultats pratiques » 27)Conclusions sur CE 14 novembre 2014 Société des Autoroutes du Sud de la France, req. n° 374557 : AJDA 2014, p. 2479..

    4 Le revirement de jurisprudence

Saisi d’un litige portant sur la résiliation de la convention qui aurait lié un artiste à une société concessionnaire d’autoroute et qui aurait porté sur l’implantation sur une aire de repos d’une œuvre monumentale à la réalisation de laquelle la société était tenue de consacrer une part du coût des travaux, le Tribunal des conflits a finalement abandonné, dans une décision du 9 mars 2015, la jurisprudence Peyrot.

Il juge ainsi « qu’une société concessionnaire d’autoroute qui conclut avec une autre personne privée un contrat ayant pour objet la construction, l’exploitation ou l’entretien de l’autoroute ne peut, en l’absence de conditions particulières, être regardée comme ayant agi pour le compte de l’Etat ; que les litiges nés de l’exécution de ce contrat ressortissent à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire ».

Dans ses conclusions, le rapporteur public rappelle l’arrêt Société Compagnie des eaux et de l’ozone (CEO) du 9 juillet 2012 instituant une présomption selon laquelle le concessionnaire privé est regardé comme agissant pour son propre compte et estime opportun l’abandon de la jurisprudence Peyrot, pour « constituer un bloc de compétence en faveur du juge judiciaire pour tous les contrats passés par les sociétés concessionnaires d’autoroute, en dehors de la concession elle-même ».

    5 Les conséquences du revirement

Si les contrats de travaux passés par les sociétés concessionnaires d’autoroute avec des personnes privées ne sont plus administratifs, ils relèveront du juge judiciaire et ne seront plus soumis aux règles générales applicables aux contrats administratifs (telles que celles permettant une modification unilatérale ou une résiliation unilatérale). De même l’interdiction pour le titulaire du marché de travaux d’invoquer l’exception d’inexécution 28)Toutefois récemment assouplie (CE 8 octobre 2014 Société Grenke location, req. n° 370644) ; voir http://www.adden-leblog.com/?p=6057. disparaîtra. Le recours à l’arbitrage deviendra également possible.

En revanche, cela ne change rien en ce qui concerne les règles de publicité et de mise en concurrence de ces contrats de travaux, la seule différence étant le cas échéant le juge compétent pour en connaître. Rappelons à cet égard que :

    – si la concession d’autoroute conclue en amont s’analyse comme une concession de travaux au motif que son objet principal serait la réalisation de travaux, ce qui devrait être en principe le cas 29)CE 16 mars 2010, avis n° 383668 : DA 2011, n° 83, note Proot., les marchés de travaux passés par le concessionnaire privé qui n’est pas un pouvoir adjudicateur soumis au code des marchés publics ou à l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 seront soumis au titre III de l’ordonnance n° 2009-864 du 15 juillet 2009 relative aux contrats de concession de travaux publics et, en vertu de l’article 12-II-3° de celle-ci, aux articles 28 à 32 du décret n° 2010-406 du 26 avril 2010 relatif aux contrats de concession de travaux publics et portant diverses dispositions en matière de commande publique ;
    – si – les travaux ne constituant pas son objet principal – elle s’analyse en une délégation de service public (ou au regard du droit de l’Union en une concession de services), alors les dispositions susmentionnées ne sont pas applicables (et il en va de même de celles de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 et de son décret n° 2005-1742 du 30 décembre 2005 si le concessionnaire n’est donc pas un pouvoir adjudicateur en relevant) et aucune obligation de publicité ne pèsera sur le concessionnaire.

De la même manière, si ce concessionnaire est un concessionnaire de travaux soumis à l’ordonnance n° 2009-864 du 15 juillet 2009 précitée, ses marchés de travaux seront toujours soumis aux référés précontractuel et contractuel, y compris, en vertu de l’article 16 de l’ordonnance, si ce concessionnaire n’est pas un pouvoir adjudicateur. Mais le juge compétent sera donc désormais le juge judiciaire.

De même, les travaux réalisés resteront des travaux publics, puisque réalisés dans un but d’intérêt général pour le compte d’une personne publique, à savoir la personne publique concédante à qui ils feront retour 30)CE 10 juin 1921 Commune de Monségur, rec. N° 45681 : Rec. CE p. 573 – CE 7 août 2008 Société anonyme de gestion des eaux de Paris (SAGEP), req. n° 289329 : Rec. CE p. 965 ; BJCP 2009/62, p. 40, concl. Glaser, obs. C.M. ; RLCT 10/2008, n° 19, note Glaser ; DA 2009, n° 77, note Glaser..

    6 La modulation dans le temps du revirement

Enfin, pour éviter que le changement de qualification des contrats fasse « ainsi perdre aux concessionnaires leurs pouvoirs d’exécution sur leurs cocontractants sans qu’ils aient pu introduire les clauses de substitution nécessaires », le rapporteur public a proposé au Tribunal de moduler dans le temps le revirement de jurisprudence, ce que celui-ci a fait pour la première fois.

Le Tribunal juge à cet effet « que la nature juridique d’un contrat s’appréciant à la date à laquelle il a été conclu, ceux qui l’ont été antérieurement par une société concessionnaire d’autoroute sous le régime des contrats administratifs demeurent régis par le droit public et les litiges nés de leur exécution relèvent des juridictions de l’ordre administratif ». Il ne dit donc pas expressément que la solution qu’il consacre ne vaut que pour les contrats conclus à compter de sa lecture, mais c’est bien cela qui est jugé, puisque l’on tient compte, pour déterminer la nature juridique du contrat, de l’état du droit à la date de sa conclusion et qu’antérieurement à la décision du Tribunal des conflits l’état du droit jurisprudentiel impliquait que les contrats en cause soient administratifs. Il étend ce faisant au changement de l’état du droit jurisprudentiel une solution déjà consacrée en cas de changement de la nature du contractant lié à sa transformation en vertu d’un texte 31)TC 16 octobre 2006 Caisse centrale de réassurance c/ Mutuelle des Architectes Français, req. n° C3506 : à propos des contrats conclus par un établissement public transformé en société anonyme..

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References   [ + ]

1. M. Long, P. Weil, G. Braibant, P. Delvolvé et B. Genevois, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, Dalloz.
2. TC 8 juillet 1963 SARL « Entreprise Peyrot » c/ SAEM Société de l’Autoroute Estérel Côte d’Azur, req. n° 01804 : Rec. CE p. 787 ; GAJA 19e éd., 2013, n° 80, p. 552.
3. Tel que la participation à l’exécution du service public ou la présence d’une clause exorbitante du droit commun, dont la définition a été récemment rénovée (TC 15 octobre 2014 SA AXA France IARD, req. n° 3963) ; cf. http://www.adden-leblog.com/?p=6169.
4. CE 16 mars 1966 Société des eaux de Marseille, req. n° 65551 : Rec. CE p. 1019 – CE 21 juillet 1972 Société « Entreprise Ossude », req. n° 78563 : Rec. CE p. 562 – TC 25 juin 1973 SEMVI, req. n° 1981 : Rec. CE p. 846 – TC 24 novembre 1997 Société De Castro c/ Bourcy et Sole, req. n° 03060 : Rec. CE p. 540 – TC 17 décembre 2001 Société Rue impériale de Lyon c/ société Lyon Parc Auto, req. n° 3262 : Rec. CE p. 760 ; BJCP 2002/21, p. 127, concl. Bachelier, obs. RS.
5. CE 14 novembre 1973 Société du canal de Provence et d’aménagement de la région provençale, req. n° 86219, Rec. p. 924 ; TC 26 mars 1990 Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), req. n° 02596 ; CE 9 février 1994 Société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône, req. n° 126485, Rec. p. 63 ; TC 17 décembre 2001, préc.
6. Article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques (issu de l’article L. 84 du code du domaine de l’Etat, lui-même issu du décret-loi du 17 juin 1938).
7. Ordonnance n° 2009-864 du 15 juillet 2009 relative aux contrats de concession de travaux publics.
8. TC 15 novembre 1999 SA Hartley Guyane, req. n° 03151. Cf. l’article 4-IV de la loi MOP.
9. CE Sect. 30 mai 1975 Société d’équipement de la région montpelliéraine, req. n° 86738 : Rec. CE p. 326 : construction de voies publiques dans une zone à urbaniser en priorité selon un cahier des charges et avec les subventions versées aux collectivités publiques, les voies étant remises dès leur achèvement à la commune qui était substituée à la SEM pour la garantie décennale – TC 7 juillet 1975 Commune d’Agde, req. n° 02013, Rec. CE p. 798 : réseaux – CE Sect. 27 novembre 1987 Société provençale d’équipement, req. n° 38318 : Rec. CE p. 384 : idem.
10. TC 10 mai 1993 Société Wanner Isofi Isolation, req. n° 02840 : Rec. CE p. 399.
11. TC 16 octobre 2006 EURL Pharmacie de la gare Saint Charles, req. n° C3514 : Rec. CE p. 369.
12. CE 3 juin 2009 Société Aéroports de Paris, req. n° 323594 : Rec. CE p. 216.
13. CE 21 mars 2007 Commune de Boulogne-Billancourt, req. n° 281796 : Rec. CE p. 130 : jugeant « que lorsqu’une personne privée est créée à l’initiative d’une personne publique qui en contrôle l’organisation et le fonctionnement et qui lui procure l’essentiel de ses ressources, cette personne privée doit être regardée comme transparente et les contrats qu’elle conclut pour l’exécution de la mission de service public qui lui est confiée sont des contrats administratifs ». – Voir aussi TC 4 juillet 2011 Herry c/ Institut national polytechnique de Grenoble, req. n° C3772.
14. « que la construction des routes nationales a le caractère de travaux publics et appartient par nature à l’Etat ; qu’elle est traditionnellement exécutée en régie directe ; que, par suite, les marchés passés par le maître de l’ouvrage pour cette exécution sont soumis aux règles du droit public ; Considérant qu’il doit en être de même pour les marchés passés par le maître de l’ouvrage pour la construction d’autoroutes dans les conditions prévues par la loi du 18 avril 1955 sans qu’il y ait lieu de distinguer selon que la construction est assurée de manière normale directement par l’Etat, ou à titre exceptionnel par un concessionnaire agissant en pareil cas pour le compte de l’Etat, que ce concessionnaire soit une personne morale de droit public, ou une société d’économie mixte, nonobstant la qualité de personne morale de droit privé d’une telle société ».
15. CE 24 avril 1968 Société concessionnaire française pour la construction et l’exploitation du tunnel routier sous le Mont-Blanc, req. n° 70188 : Rec. CE p. 256 – TC 12 novembre 1984 Société d’économie mixte du tunnel de Sainte-Marie-aux-Mines, req. n° 02356 : Rec. CE p. 666.
16. CE 1er avril 2009 Société des autoroutes du sud de la France, req. n° 315586.
17. CE 23 décembre 2011 Société Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (SAPRR), req. n° 340348 : Rec. CE p. 1001.
18. CE 12 janvier 2011 Société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France, req. n° 332136 : RJEP, n° 29, note Terneyre.
19. TC 4 novembre 1996 Espinosa c/ Escota, req. n° 02990 : Rec. CE p. 553.
20. CE Sect. 3 mars 1989 Société des autoroutes de la région Rhône-Alpes, req. n° 79532 : Rec. CE p. 69, concl. Guillaume.
21. CE 17 juin 2009, SAEMN Bibracte, req. n° 297509 : Rec. CE p. 667-825 ; BJCP 2009/66, p. 379, concl. Boulouis, obs. R.S..
22. CE 11 mars 2011 Communauté agglomération du Grand Toulouse et SEM Colomiers, req. n° 330722 : BJCP p. 222, concl. Boulouis, obs. R.S. ; RJEP 2011, étude 4, note Llorens.
23. TC 15 octobre 2012 Société Port Croisade, req. n° C3853.
24. TC 9 juillet 2012 Société Compagnie des eaux et de l’ozone (CEO), req. n° C3834 : Rec. CE p. 653.
25. TC 16 juin 2014 Société d’exploitation de la Tour Eiffel, req. n° 3944.
26. Philippe Terneyre, Pourquoi les marchés de travaux des sociétés concessionnaires d’autoroutes conclus avec des entreprises privées devraient-ils relever « par nature » de la compétence de la juridiction administrative ?, RJEP juin 2011, n° 29.
27. Conclusions sur CE 14 novembre 2014 Société des Autoroutes du Sud de la France, req. n° 374557 : AJDA 2014, p. 2479.
28. Toutefois récemment assouplie (CE 8 octobre 2014 Société Grenke location, req. n° 370644) ; voir http://www.adden-leblog.com/?p=6057.
29. CE 16 mars 2010, avis n° 383668 : DA 2011, n° 83, note Proot.
30. CE 10 juin 1921 Commune de Monségur, rec. N° 45681 : Rec. CE p. 573 – CE 7 août 2008 Société anonyme de gestion des eaux de Paris (SAGEP), req. n° 289329 : Rec. CE p. 965 ; BJCP 2009/62, p. 40, concl. Glaser, obs. C.M. ; RLCT 10/2008, n° 19, note Glaser ; DA 2009, n° 77, note Glaser.
31. TC 16 octobre 2006 Caisse centrale de réassurance c/ Mutuelle des Architectes Français, req. n° C3506 : à propos des contrats conclus par un établissement public transformé en société anonyme.

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