Conditions de la domanialité publique du mur situé à l’aplomb de la voie publique

Catégorie

Domanialité publique, Droit administratif général

Date

May 2015

Temps de lecture

5 minutes

CE 15 avril 2015, req. n° 369339

Le mur longeant la voie publique est au juriste ce que l’amour est au poète : une inépuisable source de réflexions !

    1 Le mur, la voie et la personne publique

Le domaine public d’une personne publique est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public 1) Article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, entré en vigueur au 1er juillet 2006. Et, avant cette entrée en vigueur, voir : CE 8 avril 2013 Association ATLALR, req. n° 363738. Font toutefois également partie du domaine public les biens des personnes publiques qui, concourant à l’utilisation d’un bien appartenant au domaine public, en constituent un accessoire indissociable 2) Article L. 2111-2 du code général de la propriété des personnes publiques., cette dernière hypothèse recouvrant en réalité deux critères cumulatifs : indissociabilité physique et complémentarité fonctionnelle.

Quelle que soit l’hypothèse, un bien ne peut faire partie du domaine public que s’il est la propriété d’une collectivité publique 3) CE 27 mai 1964 Sieur Chervet, req. n° 59923-59924 : Rec. CE p. 300 – CE Sect. 8 mai 1970 Société Nobel-Bozel, req. n°69324 : Rec. CE p. 312 – CE 6 novembre 1970 Consorts Bertrand, req. n° 76461 : Rec. CE p. 655 ; voir aussi, désormais, l’article L. 2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques..

De longue date, les murs de soutènement, dès lors qu’ils soutiennent des voies publiques, ont été regardés par la jurisprudence comme constituant des accessoires de ces voies et comme appartenant en conséquence au domaine public 4) CE 3 mars 1926 Ville de Pontivy c/ Mineurs Dalido, req. n° 85742 : Rec. CE p. 244 : « le mur de soutènement faisait partie intégrante de cette voie » – CE Sect. 28 mars 1969 Dames Février et Gâtelet, req. n° 72678 : Rec. CE p. 189 : « l’ouvrage litigieux est, en réalité, constitue par deux murs superposés, l’un qui assure le soutènement de la route située en surplomb et la sécurité des usagers et l’autre, édifié au-dessus, et qui forme clôture ; […] le mur de soutènement dont il s’agit constitue une dépendance de la voie publique dont il est un accessoire indispensable ; que, dans ces conditions, ce mur fait partie du domaine public ». ; pour peu, du moins, qu’ils puissent également être regardés comme appartenant à une personne publique 5) CE Sect. 8 mai 1970 Société Nobel-Bozel, req. n°69324 : Rec. CE p. 312 : le mur longeant la voie publique, mais implanté par un particulier, sur un terrain situé en contrebas de ladite voie et lui appartenant, n’appartient pas à une collectivité publique et ne fait donc pas partie du domaine public. – CE 29 juin 1990 Marquassuzaa, req. n° 770 : Rec. CE p. 188 – CE Sect. 12 mai 2004 Commune de La Ferté-Milon, req. n° 192595 : « le mur de soutènement d’une voie publique ne saurait constituer une dépendance du domaine public dès lors que cette construction est édifiée sur une parcelle appartenant à une personne privée »..

A cet égard, si la question de l’appartenance d’un bien au domaine public relève de la compétence du juge administratif, la question – préalable – de l’appartenance de ce bien à une personne publique relève, en principe, du juge judiciaire. Toutefois, il est jugé que le premier n’a pas à renvoyer au second la question de la propriété tant que sont pas invoqués des titres de propriété privés dont l’examen soulèverait une difficulté sérieuse 6) CE Sect. 16 novembre 1960 Commune du Bugue, req. n° 44537 : Rec. CE p. 627 : jugeant « qu’il appartient au juge administratif de se prononcer sur l’existence, l’étendue et les limites du domaine public, même en l’absence d’acte administratif délimitant ledit domaine, sauf à renvoyer à l’autorité judiciaire la solution d’une question préjudicielle de propriété lorsque, à l’appui de la contestation, sont invoqués des titres privés dont l’examen soulève une difficulté sérieuse » – CE 23 janvier 2012 Département des Alpes-Maritimes, req. n° 334360..

En l’absence de titre privé, « en attribuant la propriété au propriétaire de la parcelle [longeant la voie] ou à tiers » 7) CE 23 janvier 2012 Département des Alpes-Maritimes, req. n° 334360., le mur de soutènement est regardé comme « une dépendance nécessaire [du] chemin public dont il constitue un accessoire indispensable » 8) CE Sect. 16 novembre 1960 Commune du Bugue, req. n° 44537 : Rec. CE p. 627..

Bien plus, il en va de même du mur de clôture éventuellement édifié sur le mur de soutènement, soit en considération du fait que ce mur de clôture est également utile « pour assurer la circulation des usagers du chemin » 9) CE Sect. 16 novembre 1960 Commune du Bugue, req. n° 44537 : Rec. CE p. 627., soit en considération de son seul emplacement 10) CE Sect. 28 mars 1969 Dames Février et Gâtelet, req. n° 72678 : Rec. CE p. 189.. Du reste, même un local édifié dans un mur de soutènement constituant un accessoire du domaine public routier relève également du domaine public routier 11) TC 8 décembre 2014 Commune de Falicon, req. n° C3971.. En revanche, lorsque, des deux murs superposés, c’est le mur de soutènement qui est le mur supérieur, celui du dessous constituant la façade d’une habitation troglodyte, seul le premier est regardé comme appartenant à une personne publique et comme constituant une dépendance de la voie publique 12) CE 1er décembre 1978 Commune de Crissay-sur-Manse, req. n°97563 : Rec. CE p. 808..

    2 Le mur situé à l’aplomb de la voie publique et l’arrêt du 15 avril 2015

Si le mur soutenant la voie publique peut aisément être regardé, en l’absence de titres de propriété, comme un accessoire de la voie et comme appartenant donc au domaine public, l’hypothèse du mur situé à l’aplomb de la voie publique et la surplombant est moins évidente.

Si le mur n’a d’autre fonction que de maintenir les terres qui surplombent la voie publique, il ne peut être regardé comme une dépendance de cette dernière 13) CE 6 octobre 1978 Syndicat des co-propriétaires de la résidence du Val-de-Sèvres, req. n° 05670 : Rec. CE p. 807 : « le mur, qui surplombe la voie susmentionnée et a pour fonction de maintenir les terres du domaine dont le syndicat est propriétaire, n’a pas le caractère d’une dépendance de ladite voie ».. S’il a pour fonction de maintenir un talus situé en surplomb mais que celui-ci forme l’assiette d’une voie publique, il est regardé comme un accessoire indispensable de cette dernière 14) CE 23 mai 1980 Ville de Falaise, req. n° 04639 : Rec. CE p. 721..

Et lorsque le mur a à la fois pour objet de maintenir les terres surplombant la voie publique et d’assurer la sécurité des usagers de la voie, notamment en évitant la chute de matériaux sur celle-ci, il doit être considéré (toujours dans l’hypothèse d’une absence de titres en attribuant la propriété à un tiers) comme un accessoire de la voie et donc comme la propriété de la personne publique 15) CE 23 janvier 2012 Département des Alpes-Maritimes, req. n° 334360 : « qu’il résulte ainsi de l’instruction que, si le mur en litige a pour objet de maintenir les terres de la parcelle AY 17, il a également celui de retenir les chutes de matériaux provenant de cette propriété et d’en protéger les usagers de la voie départementale ; que ce mur doit, par suite, être regardé comme accessoire de la route départementale et, en l’absence de titre en attribuant la propriété au propriétaire de la parcelle AY 17 ou à un tiers, comme appartenant au domaine public du Département des Alpes-Maritimes, alors même qu’il n’aurait pas été construit par ce dernier »..

C’est cette dernière solution que l’arrêt du 15 avril 2015 vient confirmer et systématiser, en jugeant par une formule de principe :

    « qu’en l’absence de titre en attribuant la propriété aux propriétaires des parcelles en bordure desquelles il est édifié ou à des tiers, un mur situé à l’aplomb d’une voie publique et dont la présence évite la chute de matériaux qui pourraient provenir des fonds qui la surplombent doit être regardé comme un accessoire de la voie publique, même s’il a aussi pour fonction de maintenir les terres des parcelles qui la bordent ».

Ainsi que le relève un premier commentateur : « L’intérêt de la présente décision est de fournir un élément d’appréciation objectif, qui est la vocation de l’ouvrage. Et implicitement, en cas de vocations multiples, de privilégier l’intérêt pour le domaine public » 16) Lucienne Erstein, JCP A, 27 avril 2015, act. 376..

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References   [ + ]

1. Article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, entré en vigueur au 1er juillet 2006. Et, avant cette entrée en vigueur, voir : CE 8 avril 2013 Association ATLALR, req. n° 363738
2. Article L. 2111-2 du code général de la propriété des personnes publiques.
3. CE 27 mai 1964 Sieur Chervet, req. n° 59923-59924 : Rec. CE p. 300 – CE Sect. 8 mai 1970 Société Nobel-Bozel, req. n°69324 : Rec. CE p. 312 – CE 6 novembre 1970 Consorts Bertrand, req. n° 76461 : Rec. CE p. 655 ; voir aussi, désormais, l’article L. 2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques.
4. CE 3 mars 1926 Ville de Pontivy c/ Mineurs Dalido, req. n° 85742 : Rec. CE p. 244 : « le mur de soutènement faisait partie intégrante de cette voie » – CE Sect. 28 mars 1969 Dames Février et Gâtelet, req. n° 72678 : Rec. CE p. 189 : « l’ouvrage litigieux est, en réalité, constitue par deux murs superposés, l’un qui assure le soutènement de la route située en surplomb et la sécurité des usagers et l’autre, édifié au-dessus, et qui forme clôture ; […] le mur de soutènement dont il s’agit constitue une dépendance de la voie publique dont il est un accessoire indispensable ; que, dans ces conditions, ce mur fait partie du domaine public ».
5. CE Sect. 8 mai 1970 Société Nobel-Bozel, req. n°69324 : Rec. CE p. 312 : le mur longeant la voie publique, mais implanté par un particulier, sur un terrain situé en contrebas de ladite voie et lui appartenant, n’appartient pas à une collectivité publique et ne fait donc pas partie du domaine public. – CE 29 juin 1990 Marquassuzaa, req. n° 770 : Rec. CE p. 188 – CE Sect. 12 mai 2004 Commune de La Ferté-Milon, req. n° 192595 : « le mur de soutènement d’une voie publique ne saurait constituer une dépendance du domaine public dès lors que cette construction est édifiée sur une parcelle appartenant à une personne privée ».
6. CE Sect. 16 novembre 1960 Commune du Bugue, req. n° 44537 : Rec. CE p. 627 : jugeant « qu’il appartient au juge administratif de se prononcer sur l’existence, l’étendue et les limites du domaine public, même en l’absence d’acte administratif délimitant ledit domaine, sauf à renvoyer à l’autorité judiciaire la solution d’une question préjudicielle de propriété lorsque, à l’appui de la contestation, sont invoqués des titres privés dont l’examen soulève une difficulté sérieuse » – CE 23 janvier 2012 Département des Alpes-Maritimes, req. n° 334360.
7. CE 23 janvier 2012 Département des Alpes-Maritimes, req. n° 334360.
8, 9. CE Sect. 16 novembre 1960 Commune du Bugue, req. n° 44537 : Rec. CE p. 627.
10. CE Sect. 28 mars 1969 Dames Février et Gâtelet, req. n° 72678 : Rec. CE p. 189.
11. TC 8 décembre 2014 Commune de Falicon, req. n° C3971.
12. CE 1er décembre 1978 Commune de Crissay-sur-Manse, req. n°97563 : Rec. CE p. 808.
13. CE 6 octobre 1978 Syndicat des co-propriétaires de la résidence du Val-de-Sèvres, req. n° 05670 : Rec. CE p. 807 : « le mur, qui surplombe la voie susmentionnée et a pour fonction de maintenir les terres du domaine dont le syndicat est propriétaire, n’a pas le caractère d’une dépendance de ladite voie ».
14. CE 23 mai 1980 Ville de Falaise, req. n° 04639 : Rec. CE p. 721.
15. CE 23 janvier 2012 Département des Alpes-Maritimes, req. n° 334360 : « qu’il résulte ainsi de l’instruction que, si le mur en litige a pour objet de maintenir les terres de la parcelle AY 17, il a également celui de retenir les chutes de matériaux provenant de cette propriété et d’en protéger les usagers de la voie départementale ; que ce mur doit, par suite, être regardé comme accessoire de la route départementale et, en l’absence de titre en attribuant la propriété au propriétaire de la parcelle AY 17 ou à un tiers, comme appartenant au domaine public du Département des Alpes-Maritimes, alors même qu’il n’aurait pas été construit par ce dernier ».
16. Lucienne Erstein, JCP A, 27 avril 2015, act. 376.

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