Règles de publicité applicables aux BEA : une réponse ministérielle incomplète

Catégorie

Contrats publics

Date

September 2012

Temps de lecture

5 minutes

Réponse ministérielle en date du 28 août 2012 à la question n° 485 de Marie-Jo Zimmerman  

Vient d’être publiée au Journal Officiel de l’Assemblée Nationale une réponse du ministère de l’Intérieur à une question parlementaire de Mme Marie-Jo Zimmerman sur la procédure de publicité et de mise en concurrence à respecter dans le cas où une commune souhaite confier à un groupement d’entreprises la mission de réaliser un bâtiment destiné à abriter un service municipal en ayant pour cela recours au bail emphytéotique administratif (BEA)[1].

La réponse ministérielle consacre l’essentiel de son propos à rappeler que les autorisations d’occupation domaniale ne sont soumises ni par le droit interne ni par le droit communautaire au respect d’une procédure de publicité et de mise en concurrence[2], qui reste purement facultative, pour n’évoquer qu’à la fin de la question les nouvelles dispositions réglementaires imposant aux BEA le respect d’une procédure de publicité et de mise en concurrence lorsque le montage contractuel est susceptible de recevoir la qualification d’un contrat de la commande publique au sens du droit interne[3].

Pourtant, la question ne portait pas exactement sur le recours au BEA en sa seule qualité de technique contractuelle d’occupation du domaine public constitutive de droits réels, mais, comme le permet la jurisprudence[4], en sa qualité de mécanisme de préfinancement par le titulaire du BEA d’un bien immobilier à réaliser au bénéfice de la commune. Le BEA est alors accordé au preneur à charge pour lui d’une part de construire l’immeuble sur le domaine public, et d’autre part de le mettre à la disposition de la commune une fois achevé, par le biais d’une convention de location en retour.

La question précise ainsi qu’il s’agit d’un bien destiné à l’accueil d’un service municipal, et il ne peut être exclu que la commune ait choisi d’énoncer des spécifications techniques à respecter par le groupement titulaire du BEA pour la réalisation de cet immeuble.

On ne peut alors manquer de regretter que  la réponse ministérielle obère le sujet de la qualification communautaire de marché de travaux[5], qui vise « […] la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur. […] ». Le droit communautaire ne tient pas compte de la circonstance que la personne publique n’exerce pas la maîtrise d’ouvrage des bâtiments à réaliser[6], mais s’attache à identifier si la personne publique a précisé les besoins auxquels les ouvrages à construire devaient répondre. Ainsi, une convention de location de halls d’exposition a pu se voir requalifiée de marché de travaux au sens du droit communautaire, parce que la personne publique avait sollicité la construction de ces halls selon des spécifications techniques précisées par ses soins[7].

Si le BEA devrait continuer d’échapper à la qualification de marché public au sens du code français, faute pour la personne publique d’exercer la maîtrise d’ouvrage sur l’immeuble à réaliser, il ne peut être exclu qu’il corresponde à la qualification communautaire de marché de travaux, notamment si la personne publique énonce des spécifications auxquelles l’immeuble à construire doit répondre.

Dans ce cas, les règles énoncées par la directive 2004/18/CE, et notamment les délais de publication des avis ainsi que ceux des présentations des candidatures et des offres s’appliqueront si le montant du contrat dépasse 5 000 000 EUR HT. A l’inverse, en deçà des seuils d’application des règles de la directive, la personne publique se verra simplement tenue de respecter le principe de transparence, en suivant une procédure de publicité et de mise en concurrence adaptée à son marché, et librement définie par ses soins[8].

 


[1]              Articles L. 1311-2 et suivants du CGCT

[2]              CE Sect. 3 décembre 2010 Ville de Paris et Association Paris Jean Bouin, req. n° 338272 et 338527.

[3]              Article R. 1311-2 du CGCT, introduit par le décret n° 2011-2065 du 30 décembre 2011 relatif aux règles de passation des baux emphytéotiques administratifs, en application de la nouvelle rédaction de l’article L. 1311-2 du CGCT issue de l’article 96 la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (« […] Les conclusions de baux mentionnées aux alinéas précédents sont précédées, le cas échéant, d’une mise en concurrence et de mesures de publicité, selon des modalités fixées par décret en Conseil d’Etat […]) :

« Lorsque l’un des baux emphytéotiques administratifs mentionnés à l’article L. 1311-2 est accompagné d’une convention non détachable constituant un marché public au sens de l’article 1er du code des marchés publics, une délégation de service public au sens de l’article L. 1411-1 du présent code, un contrat de partenariat au sens de l’article L. 1414-1 ou un contrat de concession de travaux publics au sens de l’article L. 1415-1, sa conclusion est précédée des mesures de publicité et de mise en concurrence prévues par les dispositions applicables à ce contrat.

L’obligation mentionnée à l’alinéa précédent s’applique également aux baux qui comportent des clauses s’analysant comme une convention non détachable présentant les caractéristiques des contrats mentionnés à cet alinéa. »

[4]              Un tel montage n’est pas soumis au code des marchés publics français parce que la personne publique n’assume pas la fonction de maître d’ouvrage de l’immeuble.

CE 25 février 1994 SOFAP Marignan, req. n° 144641, publié au Recueil Lebon : « […] Considérant qu’il suit de là que, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal administratif, le bail dont s’agit constitue, conformément à sa désignation, un bail emphytéotique dont la passation est autorisée par les dispositions précitées de l’article 13 de la loi du 5 janvier 1988 ;

Considérant d’autre part que, dans l’opération ainsi entreprise, la ville de Lille n’assurera pas la direction technique des actions de construction, ne deviendra propriétaire des ouvrages qu’au terme du bail, et ne jouera ainsi ni pendant la réalisation desdits ouvrages ni avant le terme fixé, le rôle de maître d’ouvrage ; que par suite l’opération en vue de laquelle a été passé le bail contesté ne présente pas, même si une partie des ouvrages répond aux besoins de la ville de Lille, le caractère d’une opération de travaux publics ; que c’est par suite à tort que le tribunal administratif s’est, pour annuler la délibération autorisant la passation du bail, fondé sur ce que ladite opération constituait en réalité un marché de travaux publics et ne pouvait être réalisée sur le fondement de l’article 13 de la loi du 5 janvier 1988 […] »

[5]              Dans le cadre d’un tel montage de BEA en mécanisme de préfinancement, la qualification de concession de travaux est souvent écartée en raison des modalités de paiement prévues : en effet, la personne publique paie des loyers annuels dont le montant est préétabli, et qui correspondent en réalité à un prix dont le paiement est échelonné pendant toute la durée de la location. Le critère du risque d’exploitation du titulaire du BEA, indispensable pour qualifier le contrat de concession, apparaît alors difficile à identifier.

[6]              CJCE 18 janvier 2007 Jean Auroux e.a. c/ commune de Roanne, aff. C-220/05.

[7]              CJCE 29 octobre 2009 Commission des Communautés Européennes c/ République fédérale d’Allemagne, aff. C-536/07 : la ville de Cologne avait conclu un « contrat de bail portant sur la location d’un terrain avec quatre halls d’exposition », par lequel la société GKM-GbR lui accordait la jouissance d’un terrain et des bâtiments qu’elle s’engageait à y construire, conformément « aux prescriptions spécifiées relatives à leur dimensions, à leur nature et à leur aménagement » (défini dans le dossier de permis de construire), et l’arrêt souligne que « les ouvrages ont été réalisés conformément aux spécifications très détaillées explicitées par la ville de Cologne. Il ressort de ce contrat et de ses annexes que lesdites spécifications, qui se rapportent à un descriptif précis des bâtiments à construire, vont bien au-delà des exigences habituelles d’un locataire à l’égard d’un nouvel immeuble […] ».

[8]              CJCE 7 décembre 2000 Telaustria, aff. C-324/98.

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