Articulation entre les articles L. 511-1 et L. 411-2 du code de l’environnement pour les situations où le risque d’atteinte aux espèces protégées est avérée mais n’est pas d’une ampleur ou d’une nature telle qu’il justifie le refus d’une autorisation ICPE

Catégorie

Environnement

Date

December 2024

Temps de lecture

5 minutes

CE 20 décembre 2024 Association Les Robins des mâts et autres, req. n° 473862 : Rec. CE Tables

Par une décision du 20 décembre 2024, le Conseil d’Etat est venu préciser l’articulation entre la police des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) qui repose notamment sur le respect des intérêts protégés par l’article L. 511-1 du code de l’environnement, et parmi lesquels figurent la conservation d’espèces protégées, et la police des dérogations dites « espèces protégées » de l’article L. 411‑2 du même code, dans des hypothèses où le risque d’atteinte aux espèces protégées est suffisamment caractérisé sans pour autant qu’il ne justifie un refus de l’autorisation ICPE.

Par un arrêté du 29 novembre 2017, le préfet de la Nièvre a accordé une autorisation unique à la société RES, devenue Q Energy France, pour l’implantation et l’exploitation d’un parc éolien composé de huit éoliennes et trois postes de livraison, sur le territoire des communes de Saint‑Quentin‑sur‑Nohain et Saint‑Laurent‑l’Abbaye. Le projet se situe en particulier au sein du couloir principal de migration de la grue cendrée, espèce protégée.

L’association Les Robins des mâts a saisi le tribunal administratif de Dijon afin d’obtenir l’annulation de ladite autorisation. Malgré de vaines tentatives de régularisation relatives au vice tiré du défaut d’autonomie de l’autorité environnementale ayant émis un avis sur le projet, le tribunal administratif de Dijon a prononcé l’annulation de l’autorisation, puis des arrêtés de régularisation par trois jugements successifs.

Saisie en appel par l’association Les Robins des mâts et d’autres requérants, la cour administrative d’appel de Lyon a annulé les jugements du tribunal administratif de Dijon puis a annulé l’autorisation ICPE en tant que n’avait pas été mis en œuvre le régime de la dérogation espèces protégées en ce qui concerne la grue cendrée. Par cette annulation partielle, la cour a ainsi refusé de retenir l’illégalité fondée sur l’article L. 511-1 du code de l’environnement au motif qu’aucun impact particulièrement significatif n’était caractérisé pour l’avifaune migratrice.

La société pétitionnaire Q Energy France se pourvoit ainsi en cassation contre l’arrêt en tant qu’il annule partiellement l’autorisation. L’association Les Robins des mâts se pourvoit également en cassation au motif que la cour aurait dû annuler totalement l’autorisation, en ce que le projet méconnaît les dispositions de l’article L. 511‑1 du code de l’environnement.

En effet, les dispositions de cet article conditionnent la délivrance des autorisations d’exploiter des installations classées au fait que les mesures qu’elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients des intérêts qui y sont mentionnés et parmi lesquels figurent la protection de la nature et de l’environnement. A ce titre, il incombe à l’autorité de police des ICPE de protéger ces intérêts en édictant le cas échéant les prescriptions nécessaires.

Or, le Conseil d’Etat avait déjà eu l’occasion de juger que lorsqu’il définit lesdites prescriptions complémentaires, le préfet doit vérifier si le projet ne nécessite pas la délivrance d’une dérogation au titre de l’article L. 411‑2 1)CE 8 juillet 2024 LPO req n° 471174 . Cet article prévoit que l’autorité administrative compétente autorise les porteurs de projet à déroger aux interdictions de destruction et de perturbation des espèces protégées sous la triple condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et que le projet poursuive l’un des cinq motifs limitativement énumérés, notamment le fait que le projet répond à une raison impérative d’intérêt public majeur.

Plus encore, dans le récent arrêt Gourvillette commenté sur ce blog 2)CE 6 novembre 2024 Ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et autres req n° 477317, la Haute juridiction a précisé que s’il résulte de l’instruction, et notamment des éléments relatifs aux atteintes portées à la conservation des espèces protégées et des possibilités de les éviter, réduire ou compenser, le juge administratif peut annuler une autorisation sur le seul fondement de l’article L. 511-1, ce dernier faisant office de filtre à grosses mailles, sans même envisager la possibilité d’une dérogation au titre de l’article L. 411‑2. Selon les conclusions du rapporteur public sur l’affaire commentée, « Implicitement mais nécessairement, le juge considère alors qu’il est inutile d’envisager l’instruction d’une dérogation qui n’a, compte tenu de l’ampleur des incidences sur les espèces protégées mettant en cause leur état de conservation, aucun espoir d’aboutir. Tel était le cas, dans l’affaire Gourvillette, pour un parc éolien entraînant, par effet d’effarouchement, la perte de l’un des derniers territoires de reproduction de la région considérée pour une espèce d’oiseau classée en danger critique d’extinction, ce qui condamnait le choix de la zone d’implantation sans qu’aucune mesure d’évitement, de réduction ou de compensation ne puisse y remédier ». Cette censure sans régularisation n’a toutefois vocation qu’à sanctionner les situations « anormales » ou particulièrement graves pour la protection des espèces protégées.

En effet, certaines situations « intermédiaires » existent, pour lesquelles le Conseil d’Etat énonce dans l’arrêt commenté une précision s’agissant de l’articulation entre les articles L. 511‑1 et L. 411‑2 :

Le Conseil d’Etat rappelle tout d’abord le principe de l’arrêt Gourvillette, selon lequel Les autorisations environnementales ne peuvent être accordées qu’à la condition que les mesures qu’elles comportent permettent de prévenir les dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement, au nombre desquels figure la protection de la nature et de l’environnement. Ainsi, le juge peut prononcer l’annulation d’une autorisation environnementale au motif qu’elle porte atteinte à la conservation d’espèces protégées, qui est au nombre des intérêts protégés par l’article L. 511-1 du code de l’environnement, sans mettre en œuvre les pouvoirs qu’il tient de l’article L. 181-18 du code de l’environnement en vue de permettre au pétitionnaire de solliciter une dérogation au titre de l’article L. 411-2 du même code, s’il résulte de l’instruction, et notamment des éléments relatifs aux atteintes portées à la conservation de ces espèces et des possibilités de les éviter, réduire ou compenser, qu’aucune prescription complémentaire n’est susceptible d’assurer la conformité de l’exploitation à l’article L. 511-1 du code de l’environnement.

Le Conseil d’Etat précise toutefois que les articles L. 411-1 et L. 411-2 mettent en place un régime spécifique de protection des espèces protégées qui ne se confond pas avec les intérêts protégés de manière générale par l’article L. 511-1 du code de l’environnement. Dès lors, un risque d’atteinte portée à des espèces protégées peut apparaître suffisamment caractérisé pour que le projet nécessite l’octroi d’une dérogation sur le fondement de l’article L. 411‑2 du code de l’environnement, sans pour autant être d’une nature et d’une ampleur telles qu’il porterait, sans qu’aucune prescription complémentaire puisse l’empêcher, une atteinte à la conservation de ces espèces justifiant d’opposer un refus sur le fondement de l’article L. 511‑1 du même code.

Il s’agit d’une solution adaptée aux situations intermédiaires où une annulation fondée sur l’article L. 511‑1 aurait été disproportionnée, bien que l’obtention d’une dérogation demeure nécessaire pour assurer la protection des espèces protégées.

En l’espèce, au regard des effectifs d’oiseaux recensés sur la zone ainsi que des mesures d’évitement et de réduction prévues, la Cour avait considéré en appel que le projet ne portait pas atteinte aux intérêts protégés par les dispositions de l’article L. 511‑1. En revanche, la Cour avait considéré qu’une dérogation au titre de l’article L. 411‑2 était nécessaire s’agissant de la grue cendrée. Le Conseil d’Etat valide cette interprétation de la cour.

Le Conseil d’Etat annule néanmoins partiellement l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon en ce qu’elle a entaché son arrêt d’une insuffisance de motivation en omettant de se prononcer sur une partie des moyens soulevés en appel s’agissant de plusieurs espèces de chiroptères.

 

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References   [ + ]

1. CE 8 juillet 2024 LPO req n° 471174
2. CE 6 novembre 2024 Ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et autres req n° 477317

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