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CE 16 octobre 2025, req. n° 497213
CE 16 octobre 2025, req. n° 489357
A la lumière de deux décisions du 16 octobre 2025, le Conseil d’Etat fixe le cadre et les modalités de recours dirigés à l’encontre d’un jugement prononçant un sursis à statuer dans l’attente des mesures de régularisation sur le fondement de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme. En effet, lorsque qu’une juridiction administrative du fond prononce, dans un jugement avant dire droit, un sursis à statuer dans l’attente des mesures de régularisation de l’autorisation d’urbanisme litigieuse, puis se prononce définitivement sur la légalité de ladite autorisation dans un second jugement, le Conseil d’Etat précise les modalités pour former un recours dans un tel contexte. Soit le juge administratif prononce l’annulation de l’autorisation d’urbanisme et dans ce cas, c’est bien le dernier jugement qu’il convient de contester, sans quoi le juge administratif pourrait prononcer le non-lieu à statuer des conclusions dirigées contre le premier jugement. Soit le juge administratif admet les mesures de régularisation et rejette les demandes d’annulation de l’autorisation d’urbanisme et dans ce cas, il importe peu que le recours soit formé contre le second jugement, le recours conserve son objet et il pourra être discuté du bien-fondé des mesures de régularisation quand bien même le dernier jugement deviendrait définitif.
Ces décisions ne sont pas sans rappeler une décision du 10 juillet 2023 1)CE 10 juillet 2023 Commune de Neauphle-le-Château, req. n° 463914 aux termes de laquelle la Haute juridiction a considéré au visa des dispositions de l’article L. 600-5-1 que « Lorsque le juge administratif décide de recourir à l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, le bénéficiaire de l’autorisation initiale d’urbanisme et l’autorité qui l’a délivrée peuvent contester le jugement avant dire droit en tant qu’il a jugé que cette autorisation était affectée d’un vice entachant sa légalité. Ils peuvent également contester ce jugement en tant qu’il fait application des dispositions de l’article L. 600-5-1, ces conclusions étant cependant privées d’objet à compter de la délivrance du permis destiné à régulariser le vice. L’annulation du jugement en tant qu’il a fait application des dispositions de l’article L. 600-5-1 peut cependant toujours être prononcée par voie de conséquence de son annulation en tant qu’il a jugé que l’autorisation initiale d’urbanisme était affectée d’un vice. » 2)ADDEN Avocats, « Dans quelles conditions le bénéficiaire et l’auteur d’un permis de construire peuvent-ils contester un sursis à statuer en vue de la régularisation d’un vice entachant ledit permis ? », Le Blog.
Dans la première décision commentée (req. n° 497213), par un arrêté du 25 septembre 2017, le maire d’Aix‑en‑Provence a délivré à une société civile de construction‑vente un permis de construire pour l’édification d’un ensemble immobilier comprenant soixante logements, quatre commerces et un bureau. Puis, par un second arrêté du 17 septembre 2020, le maire a accordé à la même société un permis de construire modificatif.
Saisi par des tiers, le tribunal administratif de Marseille a, par un jugement en date du 21 juin 2021, annulé les deux arrêtés précités.
Le Conseil d’Etat, saisi directement du pourvoi formé par la société pétitionnaire 3)En effet, en application des dispositions de l’article R. 811‑1‑1 du code de justice administrative, le tribunal administratif se prononce en premier et dernier ressort sur les recours contre les permis de construire comportant plus de deux logements en vertu de l’article, a annulé ledit jugement et renvoyé l’affaire au même tribunal.
C’est dans ce contexte que, par un jugement en date du 24 juin 2024, le tribunal a décidé dans un jugement avant dire droit, sur le fondement de l’article L. 600‑5‑1 du code de l’urbanisme, de surseoir à statuer jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois imparti à la société pétitionnaire et à la commune d’Aix‑en‑Provence pour lui notifier un permis de construire régularisant les vices qu’il a relevés.
Faute d’avoir été régularisé dans le délai imparti, le tribunal administratif de Marseille a décidé par un jugement du 14 janvier 2025 de mettre fin à l’instance et d’annuler les arrêtés délivrant les permis de construire litigieux.
Or, la société pétitionnaire ne s’est pas pourvue en cassation contre le dernier jugement du 14 janvier 2025, lequel est devenu définitif, mais contre le jugement, avant dire droit, du 24 juin 2024 prononçant le sursis à statuer dans l’attente d’une mesure de régularisation.
Dans ces circonstances, le Conseil d’Etat relève très clairement par un considérant de principe que « Le recours formé par le bénéficiaire ou l’auteur de l’autorisation d’urbanisme à l’encontre d’un premier jugement prononçant un sursis à statuer en vue de la régularisation de cette autorisation, en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, devient sans objet lorsque le jugement qui clôt l’instance annule cette autorisation et devient définitif. ».
Tirant les conséquences de ce principe, le Conseil d’Etat considère que les conclusions du pourvoi dirigées contre le jugement avant dire droit du 24 juin 2024 sont devenues sans objet et a prononcé le non-lieu à statuer dans la mesure où le dernier jugement du 14 janvier 2025 – qui a clos l’instance et annulé les arrêtés de permis de construire – était devenu définitif (faute d’avoir fait directement l’objet de recours).
Cette solution est à mettre en perspective avec une décision du Conseil d’Etat rendue le même jour par la Haute Juridiction (req. n° 489357).
Dans cette affaire, après avoir prononcé un sursis à statuer par un jugement du 18 septembre 2023 dans l’attente d’une mesure de régularisation du permis de construire contesté, le tribunal administratif de Marseille a par un second jugement du 24 juin 2024, constaté que le vice a été régularisé et mis fin à l’instance en rejetant la requête demandant l’annulation du permis délivré. Ce jugement est devenu définitif.
Or, la commune ayant délivré le permis et la société pétitionnaire se sont pourvues le 20 novembre 2023, parallèlement à la mesure de régularisation, en cassation contre le premier jugement du 18 septembre 2023.
Toutefois, la Haute Juridiction considère que « Lorsqu’après un premier jugement prononçant un sursis à statuer en vue de la régularisation de cette autorisation, en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, le jugement qui clôt l’instance rejette la requête, la circonstance que ce jugement devienne définitif ne prive pas d’objet le recours formé par le bénéficiaire ou l’auteur de l’autorisation d’urbanisme à l’encontre du premier jugement. »
Ainsi, à la différence de la précédente affaire, lorsqu’une juridiction administrative prononce un sursis à statuer et qu’elle décide, ensuite, de rejeter la requête tendant à l’annulation du permis de construire qui a été dument régularisé, le caractère définitif de ce dernier jugement ne prive d’objet le recours que le pétitionnaire et/ou l’autorité qui a délivré le permis sont susceptibles d’exercer à l’encontre du jugement avant-dire droit.
En définitive, l’apport combiné de ces deux décisions doit conduire les porteurs de projets et collectivités à la prudence lorsqu’ils entendent contester les mesures de régularisation prononcée dans un jugement avant-dire droit :
- Soit, le juge administratif prononce l’annulation de l’autorisation d’urbanisme et dans ce cas, c’est bien le dernier jugement qu’il convient de contester, sans quoi le juge administratif pourrait prononcer le non‑lieu à statuer des conclusions dirigées contre le premier jugement.
- Soit le juge administratif admet les mesures de régularisation et rejette les demandes d’annulation de l’autorisation d’urbanisme et dans ce cas, il importe peu que le recours soit formé contre le second jugement, le recours conserve son objet et il pourra être discuté du bien‑fondé des mesures de régularisation quand bien même le dernier jugement deviendrait définitif.
References
| 1. | ↑ | CE 10 juillet 2023 Commune de Neauphle-le-Château, req. n° 463914 |
| 2. | ↑ | ADDEN Avocats, « Dans quelles conditions le bénéficiaire et l’auteur d’un permis de construire peuvent-ils contester un sursis à statuer en vue de la régularisation d’un vice entachant ledit permis ? », Le Blog |
| 3. | ↑ | En effet, en application des dispositions de l’article R. 811‑1‑1 du code de justice administrative, le tribunal administratif se prononce en premier et dernier ressort sur les recours contre les permis de construire comportant plus de deux logements en vertu de l’article |