Action en démolition d’un ouvrage irrégulièrement édifié ou installé : constitutionnalité sous réserve

Catégorie

Droit administratif général, Urbanisme et aménagement

Date

September 2020

Temps de lecture

5 minutes

Décision n° 2020-853 QPC du 31 juillet 2020

En 2011, un particulier a démoli le mur de clôture de son terrain et l’a reconstruit plus en retrait sans autorisation. Ce dernier a, ensuite, tenté de régulariser la situation, en déposant postérieurement une déclaration préalable de travaux à laquelle le maire de la commune s’est opposée en raison de l’avis défavorable de l’architecte des Bâtiments de France.

En 2015, ce dernier a, ensuite, déposé une demande de permis de construire une maison sur son terrain qui a été refusé pour des motifs tirés de la méconnaissance des prescriptions du plan local d’urbanisme relatives aux caractéristiques d’accès et au stationnement de véhicules.

Ce particulier a, alors, formé un recours en annulation à l’encontre de cette décision, recours qui a été rejeté par un jugement du tribunal administratif d’Orléans et confirmé par un arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes 1)Req. n° 18NT02582.. La cour a, à cette occasion, précisé qu’il n’était pas établi qu’une action civile en démolition du mur déplacé ne pouvait plus être engagée par la commune sur le fondement de l’article L. 480-14 2)« La commune ou l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme peut saisir le tribunal de grande instance en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d’un ouvrage édifié ou installé sans l’autorisation exigée par le présent livre, en méconnaissance de cette autorisation ou, pour les aménagements, installations et travaux dispensés de toute formalité au titre du présent code, en violation de l’article L. 421-8. L’action civile se prescrit en pareil cas par dix ans à compter de l’achèvement des travaux ». du code de l’urbanisme 3)La cour a ainsi justifié que le requérant ne bénéficie pas de la jurisprudence Ely du Conseil d’Etat (CE 3 mai 2011 Ely, req. n° 320545, mentionné aux tables) selon laquelle, «dans l’hypothèse où un immeuble a été édifié sans autorisation en méconnaissance des prescriptions légales alors applicables, l’autorité administrative, saisie d’une demande tendant à ce que soient autorisés des travaux portant sur cet immeuble, est tenue d’inviter son auteur à présenter une demande portant sur l’ensemble du bâtiment ; que dans l’hypothèse où l’autorité administrative envisage de refuser le permis sollicité parce que la construction dans son entier ne peut être autorisée au regard des règles d’urbanisme en vigueur à la date de sa décision, elle a toutefois la faculté, dans l’hypothèse d’une construction ancienne, à l’égard de laquelle aucune action pénale ou civile n’est plus possible, après avoir apprécié les différents intérêts publics et privés en présence au vu de cette demande, d’autoriser, parmi les travaux demandés, ceux qui sont nécessaires à sa préservation et au respect des normes, alors même que son édification ne pourrait plus être régularisée au regard des règles d’urbanisme applicables ». En effet, la cour a précisé que « le mur déplacé sans autorisation est une construction distincte de la maison faisant l’objet du refus de permis de construire litigieux et qu’il n’est d’ailleurs pas établi qu’une action civile ne pourrait plus être engagée par la commune »..

A l’occasion du pourvoi dirigé contre cet arrêt, le requérant a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité en soutenant que ces dispositions porteraient une atteinte disproportionnée au droit de propriété consacré par les articles 2 4)« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ». et 17 5)« La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ». de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. En effet, il faisait valoir qu’elles permettraient, pendant un délai de dix ans, la démolition de toute construction au seul motif qu’elle méconnaît une règle d’urbanisme, sans qu’il soit tenu compte de la bonne foi du propriétaire ou de la possibilité d’une régularisation. Selon le requérant, ces dispositions porteraient, pour les mêmes motifs et parce qu’elles peuvent conduire à la destruction d’un ouvrage constituant un domicile, une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée.

Par une décision du 29 mai 2020 6)Req. n° 436824., la Conseil d’Etat avait renvoyé la question au Conseil constitutionnel au motif que cette dernière présentait un caractère sérieux.

(i) En premier lieu, le Conseil constitutionnel a considéré que l’action en démolition, prévue par l’article L. 480-14 du code précité, « ne constitue qu’une conséquence des restrictions apportées aux conditions d’exercice du droit de propriété par les règles d’urbanisme. Elle n’a pour objet que de rétablir les lieux dans leur situation antérieure à l’édification irrégulière de la construction concernée. Il en résulte que, si la démolition d’un tel ouvrage a pour effet de priver son propriétaire de la propriété de ce bien irrégulièrement bâti, elle n’entre pas dans le champ d’application de l’article 17 de la Déclaration de 1789 ».

(ii) En deuxième lieu le Conseil constitutionnel a jugé, d’une part, que « l’action en démolition est justifiée par l’intérêt général 7)L’intérêt général attaché à une telle maîtrise avait déjà été reconnu par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000, Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, cons. 15. qui s’attache au respect des règles d’urbanisme, lesquelles permettent la maîtrise, par les collectivités publiques, de l’occupation des sols et du développement urbain », d’autre part, que l’action en démolition est assortie de garanties :

  • L’action ne peut être introduite que par les autorités compétentes en matière de plan local d’urbanisme dans un délai de dix ans à compter de l’achèvement des travaux ;
  • La démolition ne peut être prononcée que par le juge judiciaire et à l’encontre d’un ouvrage édifié ou installé sans permis de construire ou d’aménager, ou sans déclaration préalable, en méconnaissance de ce permis ou en violation des règles de fond dont le respect s’impose sur le fondement de l’article L. 421-8 8)« A l’exception des constructions mentionnées aux b et e de l’article L. 421-5, les constructions, aménagements, installations et travaux dispensés de toute formalité au titre du présent code doivent être conformes aux dispositions mentionnées à l’article L. 421-6» qui dispose que : « Le permis de construire ou d’aménager ne peut être accordé que si les travaux projetés sont conformes aux dispositions législatives et réglementaires relatives à l’utilisation des sols, à l’implantation, la destination, la nature, l’architecture, les dimensions, l’assainissement des constructions et à l’aménagement de leurs abords et s’ils ne sont pas incompatibles avec une déclaration d’utilité publique ». du code de l’urbanisme.

En conséquence, par sa décision n° 2020-853 QPC du 31 juillet 2020, le Conseil constitutionnel juge que l’action en démolition des collectivités prévue par l’article L. 480-14 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction 9)Il convient de rappeler que la loi n°2010-788 du 12   juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement a élargi le champ d’application de l’action en démolition, d’une part, en supprimant la condition tenant à la localisation de l’ouvrage au sein d’une zone présentant des risques naturels prévisibles et, d’autre part, en l’étendant à toutes les infractions d’urbanisme et notamment aux aménagements, installations et travaux. résultant de la loi du 12 juillet 2010 10)N° 2010-788. portant engagement national pour l’environnement, est conforme à la Constitution en apportant cependant une réserve d’interprétation.

En effet, le Conseil constitutionnel précise que :

« Les dispositions contestées ne sauraient, sans porter une atteinte excessive au droit de propriété, être interprétées comme autorisant la démolition d’un tel ouvrage lorsque le juge peut, en application de l’article L. 480-14, ordonner à la place sa mise en conformité et que celle-ci est acceptée par le propriétaire ».

Dès lors, le juge constitutionnel considère que « les limitations apportées par les dispositions contestées à l’exercice du droit de propriété résultant de l’article 2 de la Déclaration de 1789 sont justifiées par un motif d’intérêt général et, sous la réserve énoncée (…), proportionnées à cet objectif » et écarte, sous cette réserve, le grief tiré de la méconnaissance de cet article.

 

 

 

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1. Req. n° 18NT02582.
2. « La commune ou l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme peut saisir le tribunal de grande instance en vue de faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d’un ouvrage édifié ou installé sans l’autorisation exigée par le présent livre, en méconnaissance de cette autorisation ou, pour les aménagements, installations et travaux dispensés de toute formalité au titre du présent code, en violation de l’article L. 421-8. L’action civile se prescrit en pareil cas par dix ans à compter de l’achèvement des travaux ».
3. La cour a ainsi justifié que le requérant ne bénéficie pas de la jurisprudence Ely du Conseil d’Etat (CE 3 mai 2011 Ely, req. n° 320545, mentionné aux tables) selon laquelle, «dans l’hypothèse où un immeuble a été édifié sans autorisation en méconnaissance des prescriptions légales alors applicables, l’autorité administrative, saisie d’une demande tendant à ce que soient autorisés des travaux portant sur cet immeuble, est tenue d’inviter son auteur à présenter une demande portant sur l’ensemble du bâtiment ; que dans l’hypothèse où l’autorité administrative envisage de refuser le permis sollicité parce que la construction dans son entier ne peut être autorisée au regard des règles d’urbanisme en vigueur à la date de sa décision, elle a toutefois la faculté, dans l’hypothèse d’une construction ancienne, à l’égard de laquelle aucune action pénale ou civile n’est plus possible, après avoir apprécié les différents intérêts publics et privés en présence au vu de cette demande, d’autoriser, parmi les travaux demandés, ceux qui sont nécessaires à sa préservation et au respect des normes, alors même que son édification ne pourrait plus être régularisée au regard des règles d’urbanisme applicables ». En effet, la cour a précisé que « le mur déplacé sans autorisation est une construction distincte de la maison faisant l’objet du refus de permis de construire litigieux et qu’il n’est d’ailleurs pas établi qu’une action civile ne pourrait plus être engagée par la commune ».
4. « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ».
5. « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ».
6. Req. n° 436824.
7. L’intérêt général attaché à une telle maîtrise avait déjà été reconnu par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000, Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, cons. 15.
8. « A l’exception des constructions mentionnées aux b et e de l’article L. 421-5, les constructions, aménagements, installations et travaux dispensés de toute formalité au titre du présent code doivent être conformes aux dispositions mentionnées à l’article L. 421-6» qui dispose que : « Le permis de construire ou d’aménager ne peut être accordé que si les travaux projetés sont conformes aux dispositions législatives et réglementaires relatives à l’utilisation des sols, à l’implantation, la destination, la nature, l’architecture, les dimensions, l’assainissement des constructions et à l’aménagement de leurs abords et s’ils ne sont pas incompatibles avec une déclaration d’utilité publique ».
9. Il convient de rappeler que la loi n°2010-788 du 12   juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement a élargi le champ d’application de l’action en démolition, d’une part, en supprimant la condition tenant à la localisation de l’ouvrage au sein d’une zone présentant des risques naturels prévisibles et, d’autre part, en l’étendant à toutes les infractions d’urbanisme et notamment aux aménagements, installations et travaux.
10. N° 2010-788.

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