Analyse de la perte de chance sérieuse d’obtenir le marché : le contrôle minutieux de l’analyse des offres conduit par le juge du fond

Catégorie

Contrats publics

Date

January 2013

Temps de lecture

3 minutes

CAA Versailles 18 octobre 2012 Société de construction entretien réhabilitation du patrimoine (CERP), req. n° 10VE03119

 

Le 17 mars 2006, la commune de Cormeilles-en-Parisis a engagé une procédure d’appel d’offres ouvert pour l’attribution d’un marché public de travaux de construction d’un groupe scolaire et d’un équipement de petite enfance. Le 19 mai 2006, la commission d’appel d’offres a retenu l’offre de la société SNRB. 

La société CERP, dont l’offre a été rejetée, a saisi le juge administratif d’une demande d’indemnisation de sa perte d’une chance sérieuse d’obtenir le contrat, en contestant l’appréciation portée par la commune sur son offre et celle de la société SNRB.

Rappelons que depuis une jurisprudence ETO Guadeloupe et société Biwater[1], récemment confirmée[2], il appartient au juge « de vérifier d’abord si l’entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché  […] dans l’affirmative, l’entreprise n’a droit à aucune indemnité […] dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu’elle a engagés pour présenter son offre […] il convient ensuite de rechercher si l’entreprise avait des chances sérieuses d’emporter le marché […] dans un tel cas, l’entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner […]».

En première instance, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé la décision de rejet de l’offre de la société CERP au motif que la commune n’avait pas porté à la connaissance des candidats les sous-critères et leur pondération. Cependant, elle a considéré que la société CERP justifiait seulement qu’elle n’était pas dépourvue de toute chance d’obtenir le marché, et a ainsi limité son indemnisation au remboursement des frais engagés pour présenter une offre, soit 4 000 EUR[3].

La cour administrative d’appel censure ce jugement, d’abord parce que le juge fonde son appréciation sur un rapport d’analyse des offres communiqué 3 jours avant l’audience publique, et qu’il n’a pas transmis à la société CERP, méconnaissant en cela le principe du contradictoire.

Mais plus encore, la cour se livre à une appréciation détaillée des offres, critère par critère, aux fins d’évaluer les chances du requérant d’obtenir le marché.

Certes, depuis l’arrêt « Pradeau et Morin », le Conseil d’Etat oblige les juges du fond amenés à se prononcer sur l’existence ou non d’une perte de chance d’obtenir le marché à exposer les considérations de fait qui motivent cette appréciation, en leur interdisant notamment de se borner à invoquer le résultat de l’instruction[4].

La cour satisfait pleinement à cette exigence, en faisant exactement le travail d’analyse d’une commission d’appel d’offres, corrigeant les erreurs manifestes qu’elle relève dans l’appréciation de chaque sous-critère, en les justifiant de manière particulièrement détaillée.

La cour indique par exemple que l’importance d’un poste « frais d’entreprise générale » ne peut être retenu à l’avantage d’une offre, tandis qu’une estimation moindre de la quantité de béton et de coffrages nécessaires justifiée par la proposition d’une technique alternative permettant une réduction des coûts de 130 000 EUR n’est pas un élément à retenir en défaveur d’une offre.

Par ailleurs, si le juge n’est pas en mesure, malgré plusieurs mesures d’instruction, de contrôler que l’appréciation portée par la commission d’appel d’offre sur un sous-critère, celui-ci doit être regardé comme « neutralisé pour l’examen du mérite comparé des deux offres ». 

La cour conclut cette analyse en affirmant que l’offre technique de la société CERP aurait dû recevoir des notes similaires à celle de l’attributaire, tandis que la requérante a proposé un prix nettement inférieur, et qu’elle aurait donc dû obtenir une note supérieure sur le critère du prix. Partant, le marché aurait dû lui être attribué, ce qui établit sans conteste l’existence d’une perte de chance d’obtenir le marché.

La cour indemnise donc la société appelante de l’intégralité du manque à gagner résultant de son éviction irrégulière de l’attribution du marché, soit près de 250 000 EUR. Il convient de souligner que la société appelante avait justifié de manière détaillée les modalités de calcul du bénéfice escompté de l’exécution du marché, en détaillant sa marge propre et celle des travaux sous-traités.

 


 

  1. CE 18 juin 2003 Groupement d’entreprises solidaires ETPO Guadeloupe, Société Biwater et Société Aqua TP req n° 249630
  2. CE 8 février 2010 Commune de la Rochelle req. n° 314075
  3. TA de Cergy-Pontoise Société CERP req. n°0606650
  4. CE 27 octobre 2010 Société Pradeau et Morin req. n° 318023

Partager cet article

3 articles susceptibles de vous intéresser