Application de la théorie de la domanialité publique globale à un bar-restaurant implanté dans une ancienne gare de téléphérique

Catégorie

Domanialité publique

Date

December 2014

Temps de lecture

6 minutes

CE 19 novembre 2014 Régie municipale « Espaces Cauterets », req. n° 366276

Le Conseil d’Etat confirme, à l’occasion d’un litige opposant le gestionnaire des équipements d’un domaine public skiable avec l’exploitant d’un bar-restaurant implanté à l’intérieur d’une ancienne gare d’arrivée de téléphérique, la pérennité de la théorie de la domanialité publique globale :

    « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les locaux exploités par la société Hôtelière Bigourdane se situent dans l’enceinte d’un ensemble immobilier accueillant l’ancienne gare d’arrivée du téléphérique du domaine du Lys ainsi que les locaux des services techniques et des services de secours ; que cet ensemble immobilier a été affecté au service public des remontées mécaniques et spécialement aménagé à cet effet ;
    (…) Considérant, d’autre part, que, ainsi qu’il a été dit, l’ensemble immobilier accueillant l’ancienne gare d’arrivée du téléphérique du domaine du Lys a été affecté au service public des remontées mécaniques et a fait l’objet d’un aménagement spécial ; que tous les locaux compris dans l’enceinte de cet ensemble immobilier, éléments d’une organisation d’ensemble contribuant à l’utilité générale de cet équipement, ont été incorporés dans le domaine public dont la régie municipale ” Espace Cauterets ” est le gestionnaire ; qu’en l’absence de tout acte de déclassement, il en est encore ainsi à la date de la présente décision
    ».

La domanialité publique globale est une construction jurisprudentielle selon laquelle, « lorsqu’une emprise foncière déterminée est, à titre principal ou essentiel, affectée [à un service public, voire à l’usage direct du public] et remplit les conditions pour appartenir au domaine public, la globalité de cette emprise est considérée comme entrant dans ledit domaine » 1) C. Chamard-Heim, F. Melleray, R. Noguellou et Ph. Yolka Les grandes décisions en droit administratif des biens, obs. sous CE avis 13 juin 1989, n° 345012, éd. 2013, p.70., y compris ceux de ses éléments qui, pris isolément, ne remplissent pas les critères de la domanialité publique.

Cette solution présente, concrètement, l’avantage d’éviter de faire de cette emprise bien identifiée « une mosaïque de parcelles enchevêtrées qui relèveraient les unes du domaine public, les autres du domaine privé, et dont la gestion deviendrait pratiquement impossible » 2) Y. Galmot, concl. sur CE Section 5 février 1965 Société lyonnaise des transports, RD publ. 1965.493, spéc. p. 498, cité par F. Melleray « Précisions sur le domaine public », AJDA 2013, p. 1789..

Appliquée, entre autres, pour des terrains compris dans l’enceinte d’un port 3) CE Section 19 octobre 1956 Société Le Béton, req. n° 20180 : Rec. CE p. 375., pour un bar-restaurant établi dans un aéroport 4) CE 25 mars 1988 Demereau, req. n° 81279 : Rec. CE p. 778., pour des locaux commerciaux situés sous une gare 5) CE 2 octobre 1987 SA Le Sully d’Auteuil, req. n° 54020 : mentionné aux Rec. CE p. 726., ou encore pour les voies de desserte à l’intérieur de l’enceinte d’un hôpital 6) CE avis 29 avril 1977, n° 319305., cette construction jurisprudentielle n’a toutefois pas été reprise dans le Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P), à l’exception de dispositions spécifiques aux ports maritimes et fluviaux 7) Cf. art. L. 2111-6 et L. 2111-10 du CG3P. et aux aéroports 8) Cf. art. L. 2111-16 du CG3P..

C’est la raison pour laquelle un débat s’est développé concernant le maintien de la théorie de la domanialité publique globale après l’entrée en vigueur de la partie législative du CG3P le 1er juillet 2006.

Tandis qu’une partie de la doctrine interprétait le silence du CG3P et de son rapport de présentation comme une remise en cause implicite de la théorie jurisprudentielle 9) Notamment : E. Fatôme La consistance du domaine public immobilier : évolution et questions ?, AJDA 2006.1087, p. 1093., une autre considérait au contraire que la discrétion du nouveau texte était sans incidence sur cette construction 10) Notamment : Ch. Maugue et G. Bachelier « Genèse et présentation du code général de la propriété des personnes publiques » AJDA 2006.1073, p. 1078. Pour une présentation synthétique du débat, voir C. Chamard-Heim, F. Melleray, R. Noguellou et Ph. Yolka, Les grandes décisions en droit administratif des biens, précité, p. 75..

Ces doutes ont en grande partie été levés à la suite de l’avis rendu par le Conseil d’Etat le 19 juillet 2012 à propos du domaine national de Chambord 11) CE Ass. avis 19 juillet 2012 Domaine national de Chambord, n° 386715..

Saisies de questions relatives à la possibilité de soumettre l’ensemble des biens composant le domaine de Chambord au régime de la domanialité publique, notamment sur le fondement de la théorie de la domanialité publique globale, les formations administratives du Conseil d’Etat ont estimé que « le domaine national de Chambord est un ensemble immobilier d’un seul tenant (…) [appartenant] dans sa globalité au domaine public de l’Etat ».

Dans cet avis, le Conseil d’Etat a également précisé que les immeubles à usage commercial implantés dans le domaine ne pouvaient être regardés comme relevant de l’article L. 2111-2 du CG3P, c’est-à-dire comme faisant partie du domaine public en tant qu’accessoire indissociable, dans la mesure où « aucune des deux conditions cumulatives prévues par cet article n’est remplie ». Il réaffirmait, de la sorte, la distinction entre la théorie de la domanialité publique globale et celle de la domanialité publique par accessoire.

Il demeurait toutefois une certaine incertitude quant au maintien de la domanialité publique globale tenant, d’une part, à la nature même de l’avis – lequel ne saurait préjuger les solutions pouvant être retenues par le juge administratif – et, d’autre part, au caractère « exceptionnel » de « l’ensemble historique » de Chambord, qui pouvait faire regarder cette position comme une solution d’espèce.

Dans une décision du 25 septembre 2013 12) CE 25 septembre 2013 SARL Safran Port Edouard Herriot, req. n° 348587., le Conseil d’Etat a confirmé au contentieux cette position à propos de terrains implantés dans un port fluvial. Après avoir rappelé que pour rechercher si une dépendance relève du domaine public, il incombe au juge administratif d’appliquer les règles en vigueur à la date à laquelle l’incorporation a eu lieu et de vérifier si, au jour il statue, aucun acte formel de déclassement n’est intervenu 13) Voir également CE 3 octobre 2012 Commune de Port Vendres, req. n° 353915., la Haute Juridiction indiquait que la circonstance que la cour se soit fondée, pour retenir une telle qualification, sur les dispositions des articles L. 2111-7 et L. 2111-10 du CG3P, inapplicables à la date d’incorporation de la dépendance en cause dans le domaine public, était sans incidence dès lors que lesdites « dispositions reprennent en substance l’état du droit en vigueur lors de cette incorporation ».

Et, par la décision commentée, le Conseil d’Etat réitère cette solution, toujours à propos de dépendances incorporées dans le domaine public antérieurement à l’entrée en vigueur du CG3P mais dans un domaine non expressément repris par le code.

En l’espèce, les locaux exploités pour le bar-restaurant et la cabane de restauration rapide sont situés dans un bâtiment qui avait été spécialement affecté au service public des remontées mécaniques et relevait du domaine public à ce titre.

Faisant application de la théorie de la domanialité publique globale, le Conseil d’Etat intègre ces locaux au domaine public, alors même que, pris isolément, ils ne satisfont ni les critères d’appartenance au domaine public en tant que telle (en l’occurrence, affectation à un service public et aménagement spécial à cet effet), ni ceux de l’appartenance au domaine public par accessoire (lien physique et fonctionnel).

A cet égard, la lecture de l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Bordeaux 14) CAA Bordeaux 20 décembre 2012 Régie municipale « Espaces Cauterets », req. n° 11BX03303. dans cette affaire apporte un éclairage supplémentaire.

La cour avait en effet écarté l’intégration au domaine public des locaux litigieux et par suite, la compétence des juridictions de l’ordre administratif, au motif, notamment, que ces derniers « n’ont jamais été affectés ni à l’usage direct du public ni [au] service public [des remontées mécaniques du domaine skiable] » et « qu’ils ne sauraient être regardés comme un accessoire des équipements publics » dès lors qu’ils « sont situés au niveau supérieur du bâtiment séparé (…), qu’ils disposent de deux accès particuliers (…) ne desservant que les locaux exploités par la société Hôtelière Bigourdane à l’exclusion de tout autre équipement propre au domaine skiable… » et « ne sont d’aucune utilité pour le service public », son raisonnement pouvant se réclamer de précédentes solutions du Conseil d’Etat 15) CE Section 28 décembre 2009 SARL Brasserie du Théâtre, req. n° 290937, qui avait par ailleurs écarté, en l’espèce, l’application de la théorie de la domanialité publique globale. Voir aussi CE 24 janvier 1990 Boulier, req. n° 101154 : pour une partie d’immeuble regardée comme divisible de celle abritant un service public.. Elle n’avait en revanche pas envisagé l’hypothèse d’une incorporation en vertu de la domanialité publique globale.

En énonçant que « tous les locaux compris dans l’enceinte de cet ensemble immobilier, éléments d’une organisation d’ensemble contribuant à l’utilité générale de cet équipement, ont été incorporés dans le domaine public », le Conseil d’Etat confirme donc que la théorie de la domanialité publique globale est toujours vivace et autonome de la domanialité publique par accessoire.

Partager cet article

References   [ + ]

1. C. Chamard-Heim, F. Melleray, R. Noguellou et Ph. Yolka Les grandes décisions en droit administratif des biens, obs. sous CE avis 13 juin 1989, n° 345012, éd. 2013, p.70.
2. Y. Galmot, concl. sur CE Section 5 février 1965 Société lyonnaise des transports, RD publ. 1965.493, spéc. p. 498, cité par F. Melleray « Précisions sur le domaine public », AJDA 2013, p. 1789.
3. CE Section 19 octobre 1956 Société Le Béton, req. n° 20180 : Rec. CE p. 375.
4. CE 25 mars 1988 Demereau, req. n° 81279 : Rec. CE p. 778.
5. CE 2 octobre 1987 SA Le Sully d’Auteuil, req. n° 54020 : mentionné aux Rec. CE p. 726.
6. CE avis 29 avril 1977, n° 319305.
7. Cf. art. L. 2111-6 et L. 2111-10 du CG3P.
8. Cf. art. L. 2111-16 du CG3P.
9. Notamment : E. Fatôme La consistance du domaine public immobilier : évolution et questions ?, AJDA 2006.1087, p. 1093.
10. Notamment : Ch. Maugue et G. Bachelier « Genèse et présentation du code général de la propriété des personnes publiques » AJDA 2006.1073, p. 1078. Pour une présentation synthétique du débat, voir C. Chamard-Heim, F. Melleray, R. Noguellou et Ph. Yolka, Les grandes décisions en droit administratif des biens, précité, p. 75.
11. CE Ass. avis 19 juillet 2012 Domaine national de Chambord, n° 386715.
12. CE 25 septembre 2013 SARL Safran Port Edouard Herriot, req. n° 348587.
13. Voir également CE 3 octobre 2012 Commune de Port Vendres, req. n° 353915.
14. CAA Bordeaux 20 décembre 2012 Régie municipale « Espaces Cauterets », req. n° 11BX03303.
15. CE Section 28 décembre 2009 SARL Brasserie du Théâtre, req. n° 290937, qui avait par ailleurs écarté, en l’espèce, l’application de la théorie de la domanialité publique globale. Voir aussi CE 24 janvier 1990 Boulier, req. n° 101154 : pour une partie d’immeuble regardée comme divisible de celle abritant un service public.

3 articles susceptibles de vous intéresser