Codification des conditions d’absence de nécessité d’une dérogation « espèces protégées »

Catégorie

Environnement

Date

May 2025

Temps de lecture

5 minutes

Combinaison de la directive 2023/2413 RED III et de l’avis Sud-Artois par l’article 23 de la loi DDADUE

1 – Le cadre juridique préexistant

1.1 – La protection de certaines espèces et la possibilité d’y déroger

1.1.1 – Dans le droit de l’Union européenne, la protection de certaines espèces animales est notamment assurée :

  • Pour les oiseaux, par des interdictions énoncées à l’article 5 de la directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages, avec possibilité d’octroi de dérogations à celles-ci en application de son article 9 ;
  • Pour les autres espèces, par des interdictions énoncées à l’article 12 de la directive du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, avec possibilité d’octroi de dérogations à celles-ci en application de son article 16.

1.1.2 – En droit français, l’article L. 411-1 du code de l’environnement énonce le principe selon lequel la conservation de certaines espèces animales non domestiques et de leurs habitats peut être justifiée 1)De même que la conservation de sites d’intérêt géologique, d’habitats naturels, d’espèces végétales non cultivées et de leurs habitats. et énumère les interdictions en résultant, telles que les interdictions de destruction, de perturbation intentionnelle, de capture ou de transport.

Le 4° du I de l’article L. 411-2 prévoit toutefois la possibilité de déroger à ces interdictions et énumère les conditions permettant la délivrance de dérogations dites « espèces protégées ».

Il en résulte qu’une dérogation ne peut être accordée que si trois conditions cumulatives sont remplies :

  • La dérogation est justifiée par l’un des motifs limitativement énumérés, parmi lesquels figurent « l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou […] d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique […] » ;
  • Il n’existe pas, pour atteindre l’objectif poursuivi, « d’autre solution satisfaisante» (que le projet impliquant l’atteinte aux espèces ou habitats concernés) ;
  • Et, enfin, la dérogation ne nuit pas « au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ».

Les modalités d’appréciation de ces conditions ont notamment été précisées en 2020 par l’arrêt Société La Provençale du Conseil d’Etat 2)CE 3 juin 2020 Société La Provençale, req. n° 425395, pts 8-9 : Rec. CE T..

1.2 – Les cas dans lesquels une dérogation « espèces protégées » n’est pas requise

1.2.1 – L’avis Sud-Artois du Conseil d’Etat

En 2022, par son célèbre avis dit « Sud-Artois » 3)CE Sect. 9 décembre 2022 Association Sud-Artois pour la protection de l’environnement, req. n° 463563 : Rec. CE., le Conseil d’Etat a précisé les critères permettant de déterminer si l’obtention d’une dérogation « espèces protégées » est ou non nécessaire à la réalisation d’un projet :

« 4. Le système de protection des espèces résultant des dispositions citées ci-dessus, qui concerne les espèces de mammifères terrestres et d’oiseaux figurant sur les listes fixées par les arrêtés du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009, impose d’examiner si l’obtention d’une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l’espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l’applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l’état de conservation des espèces protégées présentes.

5. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation « espèces protégées » si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d’évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l’hypothèse où les mesures d’évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l’administration, des garanties d’effectivité telles qu’elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu’il apparaisse comme n’étant pas suffisamment caractérisé, il n’est pas nécessaire de solliciter une dérogation « espèces protégées ».»

Ainsi :

  • Dès lors qu’au moins un spécimen d’au moins une espèce protégée est présent dans la zone du projet, son maître d’ouvrage doit se poser la question de l’éventuelle nécessité d’une dérogation « espèces protégées » ;
  • Et cette dérogation ne sera pas nécessaire si, notamment en raison des mesures qu’il a prévues pour éviter ou réduire les incidences de son projet sur les espèces protégées, le risque d’atteinte à celles-ci n’est pas suffisamment caractérisé.

Plus récemment, le Conseil d’Etat a précisé dans deux arrêts :

  • Que les mesures prises en compte étaient également les mesures complémentaires prescrites par l’administration ou le juge administratif 4)CE 18 novembre 2024 Société Q Energy, req. n° 487701, pt 7 : Rec. CE T. ;
  • D’autre part, et tout au moins dans le cas d’un projet soumis à autorisation environnementale, que la nécessité d’une dérogation « espèces protégées » s’apprécie à tout moment et même après obtention d’une autorisation définitive 5) CE 8 juillet 2024 Ligue pour la protection des oiseaux, req. n° 471174, pt 12 : Rec. CE T..

1.2.2 – La directive 2023/2413 RED III

La directive 2023/2413 du 18 octobre 2023, dite « RED III » (pour Renewable Energy Directive) et qui est la troisième directive européenne sur les énergies renouvelables, indique, dans son considérant n° 37, que :

« La construction et l’exploitation d’installations d’énergie renouvelable peuvent occasionnellement tuer ou perturber des oiseaux et d’autres espèces protégées en vertu de la directive 92/43/CEE ou de la directive 2009/147/CE […]. Toutefois, une telle mise à mort ou de telles perturbations d’espèces protégées ne devraient pas être considérées comme intentionnelles au sens de ces directives si le projet de construction et d’exploitation de ces installations d’énergie renouvelable prévoit des mesures d’atténuation appropriées afin d’éviter une telle mort, de prévenir les perturbations, d’évaluer l’efficacité de ces mesures par un suivi approprié et, à la lumière des informations recueillies, de prendre des mesures supplémentaires nécessaires pour garantir l’absence d’incidence négative importante sur la population de l’espèce concernée. »

A cet effet, son article 1er § 7 modifie la directive 2018/2001 du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables en y ajoutant un article 16 ter « Procédure d’octroi de permis en dehors des zones d’accélération des énergies renouvelables » dont le paragraphe 2 prévoit notamment que :

« Lorsqu’un projet d’énergie renouvelable comporte les mesures d’atténuation nécessaires, toute mise à mort ou perturbation des espèces protégées en vertu de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 92/43/CEE et de l’article 5 de la directive 2009/147/CE n’est pas considérée comme intentionnelle. »

C’est ce texte que la France vient récemment de transposer.

2 – La transposition de la directive RED III par l’article 23 de la loi DDADUE

2.1 – La loi n° 2025-391 du 30 avril 2025 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes (dite « loi DDADUE ») est parue au Journal officiel du 2 mai 2025.

Elle comporte notamment un article 23 qui modifie l’article L. 411-2-1 du code de l’environnement pour y ajouter un premier alinéa ainsi rédigé :

« La dérogation mentionnée au 4° du I de l’article L. 411-2 n’est pas requise lorsqu’un projet comporte des mesures d’évitement et de réduction présentant des garanties d’effectivité telles qu’elles permettent de diminuer le risque de destruction ou de perturbation des espèces mentionnées à l’article L. 411-1 au point que ce risque apparaisse comme n’étant pas suffisamment caractérisé et lorsque ce projet intègre un dispositif de suivi permettant d’évaluer l’efficacité de ces mesures et, le cas échéant, de prendre toute mesure supplémentaire nécessaire pour garantir l’absence d’incidence négative importante sur le maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées. »

2.2 – L’étude d’impact du projet de loi indique (p. 292-294) qu’il s’agit de transposer l’article 16 ter de la directive RED III, mais ajoute toutefois que :

« La rédaction proposée reprend les termes de l’avis de la Section du contentieux [du 9 décembre 2022, Association Sud-Artois pour la protection de l’environnement], en la limitant toutefois aux seuls projets d’énergies renouvelables, afin de ne pas surtransposer l’article 16 ter de la directive RED III. Cela ne remet pas en cause, pour les autres projets, la portée générale de l’avis du 9 décembre 2022 précité. »

En réalité, il s’agit de transposer le nouvel article 16 ter de la directive 2018/2001 issu de la directive RED III.

Mais surtout, le texte du premier alinéa de l’article L. 411-2-1 ne réserve aucunement la règle qu’il énonce aux seuls projets d’énergies renouvelables et semble bien revêtir une portée générale ; notamment si on le compare au deuxième alinéa qui, lui, vise bien ce seul type de projet.

2.3 – Malgré le but affiché par l’étude d’impact de transposer la directive, la rédaction en est relativement différente et s’inspire plutôt de l’avis Sud-Artois.

Cette différence de rédaction est liée à l’avis du Conseil d’Etat sur le projet de loi, celui-ci ayant, d’une part, rappelé que « les interdictions édictées par l’article L. 411-1 du code de l’environnement ne concernent pas que des comportements intentionnels » et, d’autre part, demandé l’ajout de modalités de suivi conformément au considérant n° 37 de la directive RED III (§ 25, p. 8-9).

 

 

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References   [ + ]

1. De même que la conservation de sites d’intérêt géologique, d’habitats naturels, d’espèces végétales non cultivées et de leurs habitats.
2. CE 3 juin 2020 Société La Provençale, req. n° 425395, pts 8-9 : Rec. CE T.
3. CE Sect. 9 décembre 2022 Association Sud-Artois pour la protection de l’environnement, req. n° 463563 : Rec. CE.
4. CE 18 novembre 2024 Société Q Energy, req. n° 487701, pt 7 : Rec. CE T.
5. CE 8 juillet 2024 Ligue pour la protection des oiseaux, req. n° 471174, pt 12 : Rec. CE T.

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