Compétence du juge administratif pour connaître des contrats soumis à publicité et mise en concurrence conclus par les assemblées parlementaires

Catégorie

Contrats publics, Droit administratif général

Date

September 2020

Temps de lecture

4 minutes

CE 10 juillet 2020 Société Paris Tennis, req. n° 434582 : publié au Rec. CE

En application de l’article 2 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, le Sénat est affectataire du palais du Luxembourg, de l’hôtel du Petit Luxembourg, de leurs jardins et de leurs dépendances historiques. A ce titre, la Haute-Assemblée a conclu le 12 janvier 2016 avec la Ligue de Paris de Tennis un contrat d’occupation temporaire du domaine public en vue de l’exploitation de six courts de tennis situés dans le jardin du Luxembourg, ainsi que de locaux d’accueil, de vestiaires et de sanitaires, et ce pour une durée de quinze ans.

Ce contrat ayant été conclu sans publicité ni mise en concurrence préalables, la société Paris Tennis, exerçant dans le secteur de l’enseignement de disciplines sportives et d’activités de loisirs, s’est estimée lésée. Elle a donc formé un recours tendant à l’annulation de ce contrat devant le tribunal administratif de Paris, en soutenant que le contrat devait être requalifié en délégation de service public et, à titre subsidiaire, qu’à supposer qu’il s’agisse bien d’une convention d’occupation du domaine public, celle-ci aurait dû faire l’objet d’une mise en concurrence, sur le fondement du droit de l’Union européenne.

Toutefois, par un jugement du 16 mai 2017 1)TA Paris 16 mai 2017 Société Paris Tennis, req. n° 1603843, le tribunal administratif a rejeté le recours formé par la société Paris Tennis. Puis, par un arrêt du 10 juillet 2019 2)CAA Paris 10 juillet 2019 Société Paris Tennis, req. n° 17PA02728, la cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel formé par cette dernière contre ce jugement. La société Paris Tennis s’est donc pourvue en cassation contre cet arrêt.

Les 7ème et 2ème chambres réunies ont tout d’abord réaffirmé la compétence de principe du juge administratif pour connaître des contrats conclus par les assemblées parlementaires soumis à des obligations de publicité et de mise en concurrence. Au demeurant, l’article 8 de l’ordonnance précitée du 17 novembre 1958, dans sa rédaction issue de l’article 60 de la loi n° 2003-710 du 1er août 2003 d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, ne mentionne de manière explicite, au titre des litiges en matière de contrats sur lesquels, la juridiction administrative est compétente pour se prononcer, que les litiges relatifs aux agents publics et aux marchés publics. Ce changement de rédaction opéré en 2003 par le législateur résultait d’une décision Président de l’Assemblée nationale rendue par l’Assemblée du contentieux du Conseil d’Etat le 5 mars 1999, ayant affirmé de manière explicite que « les marchés conclus par les assemblées parlementaires en vue de la réalisation de travaux publics ont le caractère de contrats administratifs » 3)CE 5 mars 1999 Président de l’Assemblée nationale, req. 163328 : publié au Rec. CE. Le Conseil d’Etat en avait conclu qu’il appartenait donc à la juridiction administrative « de connaître des contestations relatives aux décisions par lesquelles les services de ces assemblées procèdent au nom de l’Etat à leur passation » 4)Idem .

Dans le cas de l’affaire ayant donné lieu à la décision Société Paris Tennis, le Conseil d’Etat a estimé qu’il n’avait pas été dans l’intention du législateur d’exclure que le juge administratif puisse connaître d’autres contrats que ceux explicitement mentionnés par la lettre de l’article 8 de l’ordonnance précitée. Le Conseil d’Etat a d’ailleurs considéré que le législateur avait souhaité rendre compatibles les dispositions de l’ordonnance tant avec les règles fixées par la décision Président de l’Assemblée nationale précitée, qu’avec les exigences découlant du droit de l’Union européenne. Il en a donc conclu que le juge administratif pouvait connaître des contrats soumis à des obligations de publicité et de mise en concurrence conclus par les assemblées parlementaires.

Le Conseil d’Etat ayant jugé qu’aucune stipulation du contrat litigieux ne pouvait conduire à le qualifier de délégation de service public, il lui revenait d’apprécier si ledit contrat, constituant une convention d’occupation du domaine public, était soumis à une obligation de publicité et de mise en concurrence préalables.

Comme l’a relevé le Conseil d’Etat, ledit contrat a été conclu à la date du 12 janvier 2016, soit antérieurement au 1er juillet 2017, date de l’entrée en vigueur de l’article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques, issu de l’ordonnance du 19 avril 2017. Cette disposition prévoit que la délivrance d’un titre permettant à son titulaire d’occuper ou d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique doit être précédée d’une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d’impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester. Cette disposition n’était donc pas applicable à la date de signature du contrat contesté par la société Paris Tennis.

Toutefois, la société Paris Tennis avait également invoqué devant les juges du fond une méconnaissance du droit de l’Union européenne. En réponse à son moyen, la cour administrative d’appel avait estimé que le contrat litigieux ne présentait pas d’intérêt transfrontalier certain, et en a donc déduit que le principe de non-discrimination ne pouvait être invoqué en l’espèce.

Suivant en ce sens les conclusions de la rapporteure publique Mireille Le Corre 5)Conclusions de Mireille Le Corre, le Conseil d’Etat a toutefois considéré que l’absence d’intérêt transfrontalier était sans incidence sur l’application des dispositions de l’article 12 de la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur aux termes de laquelle :

« Lorsque le nombre d’autorisations disponibles pour une activité donnée est limité en raison de la rareté des ressources naturelles ou des capacités techniques utilisables, les Etats membres appliquent une procédure de sélection entre les candidats potentiels qui prévoit toutes les garanties d’impartialité et de transparence, notamment la publicité adéquate de l’ouverture de la procédure, de son déroulement et de sa clôture ».

Et, la Cour de justice de l’Union européenne a été conduite à deux reprises à préciser la portée de ces dispositions relatives à la liberté d’établissement des prestataires. Dans un premier arrêt Promoimpresa 6)CJUE 16 juillet 2016 Promoimpresa Srl, aff. C-458/14 et C-67/15 rendu en 2016, la CJUE a explicitement reconnu que les dispositions de l’article 12 de la directive précitée étaient applicables aux autorisations d’occupation du domaine public. Puis, dans un deuxième arrêt College van Burgemeester 7)CJUE 30 janvier 2018 College van Burgemeester en Wethouders van de gemeente Amersfoort c/ X BV, aff. C-360/15 et C-31/16 rendu en 2018, la CJUE a précisé que ces dispositions étaient applicables y compris à une situation dont tous les éléments pertinents se cantonnent à l’intérieur d’un seul Etat membre.

Dès lors, le Conseil d’Etat a estimé que l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Paris était entaché d’une erreur de droit, en ce que la cour avait jugé que l’absence d’intérêt transfrontalier certain pouvait à lui seul dispenser le Sénat d’organiser une procédure de mise en concurrence avant la signature du contrat. Les 7ème et 2ème chambres réunies ont donc annulé l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Paris et renvoyé l’affaire devant cette même cour.

 

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