La Cour de justice de l’Union européenne précise la notion de « succession partielle du contractant initial à la suite d’opérations de restructuration de société »

Catégorie

Contrats publics

Date

February 2022

Temps de lecture

3 minutes

CJUE 3 février 2022 Advania Sverige AB, Kammarkollegiet c/ Dustin Sverige AB, aff. C-461/20

L’article 72 paragraphe 1 de la directive 2014/24 dite « modification des marchés en cours » 1)Article 72 paragraphe 1 de la directive 2014/24 considère que le changement de titulaire lors de l’exécution d’un marché constitue une modification substantielle impliquant la mise en œuvre d’une nouvelle procédure de passation. Ce principe est repris en droit interne, par le biais de l’article R. 2194-7 du code de la commande publique 2)R. 2194-7 du code de la commande publique. Il demeure que cet article 72 prévoit certaines exceptions, parmi lesquelles l’hypothèse d’une succession universelle ou partielle du contractant initial, ou celle d’opérations de restructuration de société, comme l’insolvabilité. Parmi ces exceptions, l’article 72 paragraphe 1 sous d) ii) prévoit qu’une substitution de titulaires en cours de marché est possible, à la condition que cela ne conduise pas à d’autres modifications substantielles du marché, ni à se soustraire à cette directive.

Le litige principal porte sur la cession à un nouvel opérateur de quatre accords-cadres relatifs à l’achat de matériel informatique. Le 4 décembre 2017, le titulaire initial des contrats a demandé à l’acheteur de céder à une autre société ses accords-cadres. Le titulaire initial a finalement été déclaré en faillite, et c’est son administrateur judiciaire qui a conclu l’accord prévoyant la cession de ces quatre contrats à cette autre société, accord ayant été accepté par l’acheteur au mois de février 2018.

C’est donc la compatibilité entre une telle cession et l’article 72 paragraphe 1 d) de la directive précitée qui est interrogée dans le cadre d’une question préjudicielle posée à l’occasion de ce litige principal. Plus précisément, la cour est saisie de la question de savoir si une société cessionnaire qui n’a repris que les droits et obligations relatifs à un accord-cadre conclu avec un pouvoir adjudicateur doit être regardée comme ayant succédé à ce contractant initial dans les conditions visées par l’article 72 paragraphe 1 sous d) ii) de la directive 2014/24.

Le raisonnement de la cour de Luxembourg se décline en deux temps.

La cour procède d’abord à une hiérarchisation des différentes règles applicables en la matière. Elle rappelle à titre liminaire qu’en général la substitution d’un nouveau contractant à celui auquel le pouvoir adjudicateur a initialement attribué le marché doit être considérée comme une modification essentielle du marché donnant lieu à une nouvelle procédure de passation sur le marché ainsi modifié. Cette position est celle que les juges de Luxembourg ont déjà adoptée à l’occasion de l’arrêt du 19 juin 2008 Pressetext 3)CJCE 19 juin 2008 Pressetext Nachrichtenagentur GmbH c/ Republik Österreich, aff. C-454/06, à l’occasion duquel ils ont fait découler cette obligation des principes de transparence et d’égalité de traitement des soumissionnaires. Le dispositif prévu à l’article 72 paragraphe 1 sous d) ii) de la directive 2014 ne constitue bel et bien qu’une exception.

La cour retient ensuite que, selon l’article 72 paragraphe 1 de la directive précitée, une telle exception n’est applicable qu’à la condition d’un remplacement du titulaire initial d’un marché public à la suite d’une succession universelle ou partielle découlant d’opérations de restructuration de société, notamment d’insolvabilité. Il s’agit alors de se demander si une telle condition est remplie quand un nouveau contractant ne reprend que les droits et les obligations de l’accord-cadre conclu avec le pouvoir adjudicateur, et non la totalité de l’activité économique du contractant initial entrant dans le champ de cet accord-cadre.

Sur ce point, selon l’article 72 paragraphe 1 sous d) ii) autorisant un remplacement du titulaire initial « à la suite d’une succession universelle ou partielle du contractant initial », il est possible que cette succession puisse impliquer la reprise d’une partie seulement du patrimoine du titulaire initial, et donc le transfert d’un seul accord-cadre relevant de ce patrimoine.

La cour s’intéresse ensuite à la notion d’« insolvabilité », qui est reconnue par les juges comme étant comprise dans la catégorie plus large de la directive précitée des « opérations de restructuration » et comprend entre autres les modifications structurelles du contractant initial, notamment l’insolvabilité qui conduit à la faillite aboutissant à la liquidation. Cette notion, quoique devant être interprétée strictement car relevant d’une exception, ne doit pas être privée de son effet utile. En conséquence, la notion de « restructuration » comprise dans l’article 72 paragraphe 1 d) de la directive 2014/24 englobe les modifications structurelles du contractant initial, parmi lesquelles l’insolvabilité qui comprend la faillite aboutissant à la liquidation.

En conséquence, la cour répond à la question préjudicielle en ces termes : l’article 72 paragraphe 1 sous d) ii) de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens qu’un opérateur économique n’ayant repris que les droits et obligations d’un accord-cadre conclu avec un pouvoir adjudicateur et un contractant dont la mise en faillite a conduit à sa liquidation, doit être regardé comme ayant fait l’objet d’une succession partielle à la suite d’opérations de restructurations  de société, au sens de cette disposition. Il n’est donc pas besoin, dans ce cas de figure, de recourir à une nouvelle procédure de passation.

 

 

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