Construction irrégulièrement édifiée, respect des droits de la défense et décharge de la taxe d’aménagement

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

December 2021

Temps de lecture

4 minutes

CE 10 décembre 2021, req. n° 431472 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

L’affaire commentée a permis au Conseil d’Etat de se prononcer sur la régularité de la procédure d’établissement de la taxe d’aménagement due pour des constructions irrégulièrement édifiées.

1.    Quand est due la taxe d’aménagement en cas de construction irrégulièrement édifiée et comment est calculé son montant ?

La taxe d’aménagement est due pour toutes opérations de construction, reconstruction ou agrandissement de bâtiments. Le redevable de la taxe est le bénéficiaire de l’autorisation de construire ou, en cas de construction sans autorisation ou en infraction aux obligations résultant de l’autorisation de construire, la personne responsable de la construction. Dans ce dernier cas, en cas de construction irrégulièrement édifiée, le fait générateur de la taxe est le procès-verbal constatant l’achèvement de la construction 1)Article L. 331-6 du code de l’urbanisme..

Afin de déterminer le montant de la taxe, en cas d’infraction, sont pris en compte la valeur et les taux en vigueur à la date, non pas de la délivrance de l’autorisation de construire, mais du procès-verbal de constat 2)Article L. 331-20 du code de l’urbanisme..

Le responsable de la construction peut décider, afin de régulariser sa situation, de déposer une demande d’autorisation de construire. La procédure de rectification contradictoire prévue par le livre des procédures fiscales, et qui comporte des garanties relatives aux droits de la défense, peut alors être mise en œuvre. A l’inverse, si aucune demande d’autorisation n’est déposée, les garanties attachées à la procédure de rectification ne s’appliquent pas. Néanmoins, l’article L. 331-22 du code de l’urbanisme prévoit que « les bases ou éléments servant au calcul de la taxe et des sanctions applicables sont portés à la connaissance du redevable au moins trente jours avant la mise en recouvrement ».

2.    Le redevable a-t-il le droit d’obtenir, sur demande, le procès-verbal d’infraction, sur lequel s’est basé l’administration pour établir le montant de la taxe, alors que ce document est en principe une pièce de procédure pénale couverte par le secret de l’enquête et de l’instruction ?

Dans l’espèce soumise au Conseil d’Etat, deux bâtiments avaient été irrégulièrement édifiés sur une parcelle : l’un en méconnaissance du permis de construire obtenu et l’autre sans permis de construire.

Le procès-verbal d’infraction avait été dressé par un agent assermenté de la commune d’Arles le 18 septembre 2012. La direction départementale des territoires et de la mer des Bouches-du-Rhône avait adressé au responsable des constructions irrégulièrement édifiées un courrier en date du 24 juillet 2015 dans lequel, d’une part, elle se référait, sans autre précision, au procès-verbal dont elle avait été rendue destinataire et, d’autre part, elle déterminait les bases de la taxe d’aménagement ainsi que les pénalités correspondantes.

Le redevable avait alors sollicité la communication du procès-verbal. Mais la direction départementale des territoires de la mer des Bouches-du-Rhône n’avait pas répondu à cette demande et avait, ensuite, notifié le titre de perception relatif à la taxe d’aménagement.

Saisi par le redevable, qui estimait que la procédure suivie était irrégulière au motif que le procès-verbal ne lui avait pas été communiqué, le tribunal administratif de Montpellier avait rejeté sa requête en se fondant sur l’article 11 du code de procédure pénale. Selon cet article, « sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète. Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du code pénal ».

Le Conseil d’Etat, saisi d’un pourvoi formé par le redevable à l’encontre de cette décision, a suivi les conclusions de sa rapporteure publique, Mme Bokdam-Tognetti, en jugeant que les dispositions précitées de l’article L. 331-22 du code de l’urbanisme, qui impose que les bases et éléments servant au calcul de la taxe soient portés à la connaissance du redevable au moins trente jours avant la mise en recouvrement, impliquent que « le procès-verbal d’infraction, nécessaire à l’établissement de la taxe d’aménagement, puisse être porté à la connaissance du contribuable pour lui permettre de faire valoir utilement ses observations. Elles relèvent par suite des exceptions prévues à l’article 11 du code de procédure pénale, de sorte qu’il appartient à l’administration de communiquer cette pièce au contribuable qui en fait la demande ou, si elle n’en dispose pas, de l’inviter à présenter sa demande à l’autorité judiciaire ».

Dès lors, en s’abstenant de répondre à la demande du contribuable qui sollicitait la communication du procès-verbal, l’administration avait bel et bien entaché la procédure d’irrégularité, comme le soutenait le requérant. Le Conseil d’Etat censure ainsi la décision des juges du fond, pour erreur de droit, et fait droit à la demande de décharge de la taxe d’aménagement formulée par le redevable.

Cette censure s’explique, selon les conclusions de la rapporteure publique, par le fait que l’administration doit assurer le respect des exigences minimales s’attachant aux droits de la défense lorsque la loi ne place pas explicitement les redevables hors de leur champ d’application. En effet, et même si la procédure de rectification prévue par le livre des procédures fiscale ne s’applique pas lorsque le responsable d’une construction irrégulièrement édifiée n’a pas déposé de demande d’autorisation de construire, l’article L. 331-22 organise explicitement « une procédure garantissant une information et une dimension contradictoire minimales avant mise en recouvrement ».

Cette décision est en outre dans la droite lignée des précédentes décisions du Conseil d’Etat sur le respect des droits de la défense dans les procédures d’établissement de différentes impositions. Il avait ainsi déjà jugé, ainsi que l’a rappelé la rapporteure publique dans ses conclusions, que s’agissant des impôts dus en vertu du code général des impôts, « l’administration doit informer le requérant de la nature des documents obtenus de tiers sur lesquels elle s’est fondée pour établir l’impôt et communiquer au contribuable, sur sa demande, ces documents » 3)Cf. les conclusions de Mme Bokdam-Tognetti sur l’affaire commentée et CE 3 décembre 1990 SA Antipolia, req. n° 103101 – CE 6 juillet 1994, req. n° 120118 – CE Section 6 décembre 1995 SA Samep, req. n° 126826 – CE 30 septembre 1996, req. n° 139846.. Dès lors, « le service d’assiette de [la taxe d’aménagement] doit informer le contribuable de la nature et de l’origine des documents obtenus de tiers ayant servi à établir la taxe et, saisi d’une demande en ce sens, lui communiquer copie de ces documents. Lorsqu’il ne les détient pas ou plus, il lui incombe d’informer le contribuable de l’identité de l’autorité en leur possession et de le renvoyer devant celle-ci, ainsi que vous l’avez jugé pour les impôts régis par le [code général des impôts] s’agissant d’informations dont l’administration fiscale avait seulement pris connaissance sans en garder copie dans l’exercice du droit de communication auprès de l’autorité judiciaire » 4)CE 30 décembre 2015 Société Lovie Style, req. n° 374816..

 

 

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References   [ + ]

1. Article L. 331-6 du code de l’urbanisme.
2. Article L. 331-20 du code de l’urbanisme.
3. Cf. les conclusions de Mme Bokdam-Tognetti sur l’affaire commentée et CE 3 décembre 1990 SA Antipolia, req. n° 103101 – CE 6 juillet 1994, req. n° 120118 – CE Section 6 décembre 1995 SA Samep, req. n° 126826 – CE 30 septembre 1996, req. n° 139846.
4. CE 30 décembre 2015 Société Lovie Style, req. n° 374816.

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