Constructions distinctes, ne formant pas un ensemble immobilier unique : possibilité de recourir au permis de construire unique et appréciation de la conformité des règles de hauteur pour chaque construction prise indépendamment

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

July 2023

Temps de lecture

4 minutes

CE 12 juin 2023 Société Mas-Cosy et autres, req n° 468343

Par une décision du 12 juin 2023 publiée au recueil Lebon, le Conseil d’Etat apporte un éclairage sur sa célèbre jurisprudence Commune de Grenoble par laquelle il a instauré une exception, sous conditions, au principe selon lequel à ensemble immobilier unique, permis de construire unique.

Pour bien comprendre l’apport de cette décision, il importe de revenir sur les faits de l’espèce. Dans cette affaire, il était question de l’appréciation de la légalité, dans le cadre d’un référé-suspension, d’un permis de construire unique autorisant  la construction de deux villas distinctes sur un même terrain d’assiette avec un accès commun à une voie publique et aux réseaux.

La question principale posée au juge administratif était celle de savoir si le respect de la hauteur frontale maximale fixée par le plan local d’urbanisme (PLU) devait s’apprécier pour chacune des deux villas prises indépendamment ou au regard des deux villas dans leur ensemble. Il était alors soutenu par le requérant que la deuxième méthode devait être appliquée puisque le projet ne pouvait constituer qu’un ensemble immobilier unique et qu’il convenait donc de prendre en compte, pour l’application de la règle, le point le plus bas au niveau de la villa A et le point le plus haut au niveau de la villa B (étant précisé qu’il s’agissait d’un terrain en pente). A l’inverse, en défense, le pétitionnaire et la commune considéraient que la hauteur frontale ne pouvait être appréciée que villa par villa, le projet ne constituant pas un ensemble immobilier unique.

Après avoir rappelé l’objet premier du permis de construire, à savoir s’assurer de la conformité des travaux qu’il autorise avec la législation et la règlementation d’urbanisme, puis les principes retenus dans l’affaire « commune de Grenoble » (1.1), le Conseil d’Etat a tranché en faveur de la seconde méthode en considérant qu’en présence de deux constructions distinctes, qui ne forment pas un ensemble immobilier unique lorsqu’elles ne sont pas interdépendantes au regard des règles d’urbanisme, la conformité aux règles d’urbanisme doit être appréciée pour chaque construction prise indépendamment, peu importe qu’elles aient fait l’objet d’une demande de permis unique (1.2)

1.1   Un rappel de principe : à « ensemble immobilier unique », « permis de construire unique »

Dans l’affaire commentée, il est intéressant de relever que la Haute Juridiction dédie un considérant au rappel de l’objet même des autorisations d’urbanisme, et en particulier du permis de construire : Un permis de construire a pour seul objet de s’assurer de la conformité des travaux qu’il autorise avec la législation et la règlementation d’urbanisme, en application de l’article L. 421-6 du code de l’urbanisme.

C’est ce principe, qui lui a semblé important de réaffirmer, et qui sous-tend d’ailleurs les apports de la décision « commune de Grenoble », laquelle n’est guidée que par la nécessité pour le pétitionnaire de mettre l’administration en capacité de se prononcer, en toute connaissance, de cause sur la conformité d’un projet avec la règlementation applicable.

En effet, pour mémoire, par sa décision rendue le 17 juillet 2009 1)CE 17 juillet 2009 Commune de Grenoble, req n° 301615, le Conseil d’Etat a jugé :

  • qu’une construction constituée de plusieurs éléments formant, en raison des liens physiques ou fonctionnels entre eux, un ensemble immobilier unique, doit en principe faire l’objet d’un seul permis de construire,
  • l’objectif étant que l’administration puisse porter une appréciation globale sur la conformité du projet qu’il lui est soumis, dans tous ses éléments indissociables,
  • mais que toutefois, plusieurs permis de construire distincts peuvent être sollicités lorsque l’ampleur et la complexité du projet le justifient pour des éléments qui ont une vocation fonctionnelle autonome. Le recours aux permis distincts n’est alors possible qu’à la condition que l’autorité administrative puisse vérifier, par une appréciation globale, que le respect des règles de protection des intérêts généraux que garantirait un permis unique sont assurés par l’ensemble des permis délivrés.

Comme le rappelle le rapporteur public, M. Thomas Janicot, dans l’affaire commentée, un ensemble immobilier unique désigne un projet qui contient des constructions caractérisées par des liens physiques ou fonctionnels entre elles. Le lien physique est identifiable lorsque des éléments d’un projet sont imbriqués physiquement entre eux au point où ils constituent une seule et unique construction. Le lien fonctionnel désigne des constructions qui sont interdépendantes au regard de la règle de l’urbanisme. Il s’agit, dans ce second cas de figure, d’une indivisibilité légale et non pas techniques ou économiques.

Au cas présent, bien que les deux villas disposent d’un accès commun à la voirie et aux réseaux, il n’existe aucune interdépendance identifiable au regard des règles d’urbanisme et aucune imbrication physique n’est prévue. Il n’y a donc ni lien fonctionnel ni lien physique entre les deux villas. Le projet n’est donc pas qualifié d’ensemble immobilier unique et ce, peu importe qu’un seul et unique permis de construire ait été sollicité.

1.2   La possibilité de déposer un permis de construire unique pour des constructions distinctes

Lors d’un arrêt rendu le 8 février 2017, la Haute Juridiction a précisé que si à ensemble immobilier unique, permis unique, en revanche : « des constructions distinctes, ne comportant pas de liens physiques ou fonctionnels entre elles, n’ont pas à faire l’objet d’un permis unique, mais peuvent faire l’objet d’autorisations distinctes, dont la conformité aux règles d’urbanisme est appréciée par l’autorité administrative pour chaque projet pris indépendamment » 2)Voir notre article sur l’arrêt CE 28 décembre 2017 Société d’études et de réalisations immobilières et foncières 3B et autres, req n° 406782.

Au cas présent, le Conseil précise sa jurisprudence en s’appuyant sur la possibilité, et non l’obligation, de demander plusieurs autorisations d’urbanisme pour des constructions qui n’ont pas de liens physiques ou fonctionnels entre elles : « [En l’absence d’ensemble immobilier unique, les constructions des deux villas] peuvent faire l’objet aussi bien de demandes d’autorisation distinctes que d’une demande d’autorisation unique, laquelle présente alors un caractère divisible. Dans ces deux hypothèses, la conformité aux règles d’urbanisme est appréciée par l’autorité administrative pour chaque construction prise indépendamment. »

Dès lors, conformément à son arrêt rendu le 1er octobre 2015 3)CE 1 octobre 2015, req n° 374338 , la Haute Juridiction indique que l’administration doit apprécier la conformité du permis unique aux règles d’urbanisme pour chaque construction prise indépendamment. En l’espèce, la règle limitant la hauteur frontale des constructions devait donc être appréciée pour les deux villas prises séparément.

 

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References   [ + ]

1. CE 17 juillet 2009 Commune de Grenoble, req n° 301615
2. Voir notre article sur l’arrêt CE 28 décembre 2017 Société d’études et de réalisations immobilières et foncières 3B et autres, req n° 406782
3. CE 1 octobre 2015, req n° 374338 

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