Consultation du public sur les projets d’actes règlementaires ayant une incidence sur l’environnement et principe de sécurité juridique

Catégorie

Environnement

Date

July 2015

Temps de lecture

6 minutes

CE 17 juin 2015 Syndicat national des industries des peintures, enduits et vernis, req. n° 375853 : Publié au Rec. CE.

Le Conseil d’Etat, dans sa décision du 17 juin 2015, rappelle qu’il appartient au pouvoir règlementaire, pour des motifs de sécurité juridique, de prévoir les mesures transitoires qu’implique une règlementation nouvelle, lorsque l’application immédiate de celle-ci entraîne, au regard de l’objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics et privés en cause.

Il précise par ailleurs que les dispositions du code de l’environnement en application desquelles le public doit être en mesure de formuler des observations sur un projet de texte ayant une incidence sur l’environnement n’imposent pas de procéder à une nouvelle publication pour recueillir des observations du public lorsque des modifications sont apportées au projet dès lors que celles-ci n’ont pas pour effet de le dénaturer.

Dans cette affaire, le Syndicat national des industries des peintures, enduits et vernis (SIEVP) demandait l’annulation du décret n°2013-1264 du 23 décembre 2013 relatif à la déclaration environnementale de certains produits de construction destinés à un usage dans les ouvrages de bâtiment, et de son arrêté d’application du même jour.

Rappelons qu’aux termes de l’article R. 214-27 du code de la consommation, crée par le décret attaqué :

    « Le responsable de la mise sur le marché de produits comportant des allégations à caractère environnemental ou utilisant les termes de développement durable ou ses synonymes, dans les conditions définies à l’article L. 214-1 (10°), établit une déclaration environnementale de l’ensemble des aspects environnementaux du produit conforme au programme de déclarations environnementales ou à un programme équivalent. Les modalités de mise en œuvre de cette déclaration environnementale, et notamment la liste des indicateurs et les méthodes de calcul associées, sont précisées par arrêté des ministres chargés de la construction et du logement ».

L’article R. 214-25 du même code, également créé par le décret attaqué, définit la déclaration environnementale comme une « déclaration indiquant les aspects environnementaux d’un produit ou d’un service fournissant des données environnementales quantifiées à l’aide de paramètres prédéterminés et, s’il y a lieu, complétés par d’autres informations environnementales » et le programme de déclarations environnementales comme un « programme volontaire destiné au développement et à l’utilisation des déclarations environnementales fondé sur un ensemble de règles de fonctionnement ».

Après avoir rejeté le moyen tiré du défaut de consultation du public (cf. ci-après), le Conseil d’Etat annule les actes attaqués, sur le terrain du principe de sécurité juridique dans les termes suivants :

    « il incombe à l’autorité investie du pouvoir réglementaire, agissant dans les limites de sa compétence et dans le respect des règles qui s’imposent à elle, d’édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu’implique, s’il y a lieu, cette réglementation nouvelle ; qu’il en va ainsi lorsque l’application immédiate de celle-ci entraîne, au regard de l’objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause […].
    « 18. Considérant que les ministres ne contestent pas que l’établissement de la déclaration environnementale, même simplifiée, nécessite la réalisation d’études techniques préalables, ni que les ” fiches de déclarations environnementales et sanitaires ” présentant un bilan environnemental et réalisées à titre volontaire par les entreprises concernées avant l’entrée en vigueur du décret attaqué, qui seules peuvent dispenser de telles études, n’existaient pas pour tous les produits de construction et de décoration ; qu’il incombait au pouvoir réglementaire, pour des motifs de sécurité juridique, de permettre aux entreprises qui commercialisaient les produits en cause avant l’entrée en vigueur du décret attaqué de disposer d’un délai raisonnable pour réaliser les études nécessaires ou, à défaut de supprimer les allégations figurant sur les produits, pour procéder à la certification de ceux-ci ; que si l’arrêté attaqué prévoit, ainsi qu’il a été dit, à titre dérogatoire, une liste réduite des indicateurs qui doivent figurer dans une déclaration simplifiée à compter du 1er janvier 2014 et une liste exhaustive d’informations exigées seulement à compter du 1er juillet 2014, les dispositions attaquées ne peuvent être regardées comme garantissant suffisamment la sécurité juridique des opérateurs économiques concernés ; qu’il appartient dès lors au juge de l’excès de pouvoir, statuant après l’entrée en vigueur de ces dispositions, de les annuler en tant qu’elles n’ont pas prévu un délai suffisant pour leur entrée en vigueur ; qu’en l’espèce, les requérants sont fondés à demander l’annulation du décret et de l’arrêté du 23 décembre 2013, en tant qu’ils n’ont pas différé de six mois l’obligation d’établir une déclaration environnementale simplifiée et d’un an celle d’établir une déclaration environnementale exhaustive
    ».

Le décret et l’arrêté du 23 décembre 2013 sont donc annulés en tant qu’ils n’ont pas différé de six mois l’obligation d’établir une déclaration environnementale simplifiée, et d’un an celle d’établir une déclaration environnementale exhaustive, en ce qui concerne les produits de construction et de décoration.

Le Conseil d’Etat fait ainsi application dans cette décision du principe de sécurité juridique consacré comme principe général du droit en 2006 dans son arrêt KPMG 1) CE Assemblée 24 mars 2006, Sté KPMG et autres, req. n°288460 et autres, p. 154 ; CE Section 13 décembre 2006 Mme X., req. n° 287845, p. 540. dans les termes suivants : « il incombe à l’autorité investie du pouvoir réglementaire d’édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu’implique, s’il y a lieu, une réglementation nouvelle ; qu’il en va ainsi en particulier lorsque les règles nouvelles sont susceptibles de porter une atteinte excessive à des situations contractuelles en cours qui ont été légalement nouées ».

Notons toutefois que dans l’espèce commentée, est visée l’ « atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause », un tel considérant étant plus large que l’atteinte aux situations contractuelles visées par l’arrêt KPMG.

Par ailleurs, en ce qui concerne la légalité externe, les requérants soutenaient notamment que la consultation du public sur le décret attaqué était entachée d’irrégularité.

Aux termes de l’article L. 120-1 du code de l’environnement :

    « I. – Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l’article 7 de la Charte de l’environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l’environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration […] ».

C’est selon les modalités visées à l’article précité que le projet de décret attaqué a été publié, en vue de permettre au public de formuler ses observations, entre le 17 avril et le 10 mai 2013.

Toutefois, les requérants soutenaient que le champ d’application du projet de décret n’était pas identique au décret dans sa version définitive, et qu’ainsi la consultation du public était entachée d’irrégularité.

A cet égard, le Conseil d’Etat a rejeté ce moyen en jugeant que :

    « si les dispositions de l’article L. 120-1 du code de l’environnement impliquent que les projets d’acte réglementaire de l’État ayant une incidence directe et significative sur l’environnement fassent l’objet, soit d’une publication préalable permettant au public de formuler des observations, soit d’une publication avant la saisine d’un organisme consultatif comportant des représentants des catégories de personnes concernées, elles n’imposent pas de procéder à une nouvelle publication pour recueillir des observations du public sur les modifications qui sont ultérieurement apportées au projet de décision, au cours de son élaboration, dès lors que celles-ci n’ont pas pour effet de dénaturer le projet sur lequel ont été initialement recueillies les observations du public ;
    9. Considérant que si les requérants soutiennent que le champ d’application du projet de décret soumis à consultation était limité aux produits de décoration assimilables à des produits de construction, alors que le décret attaqué s’applique aux produits utilisés pour les revêtements des murs, sols et plafonds, cette différence de rédaction résulte d’une erreur matérielle, la référence aux produits de construction ayant été reproduite à tort à partir d’une autre partie du texte, qui a été corrigée à un stade ultérieur de l’élaboration du projet de décret ; qu’il ne pouvait, toutefois, y avoir aucun doute sur le champ d’application du projet de décret soumis à consultation, dès lors que le projet d’arrêté pris pour son application, qui était soumis simultanément à la consultation, donnait, dans son annexe I, la liste des différents revêtements des sols et murs, ainsi que des peintures et produits de décoration concernés ; que, dès lors, cette rectification d’une erreur matérielle ne peut être regardée comme une dénaturation du projet sur lequel le public a été appelé à formuler ses observations
    ».

Il en résulte que :

• les dispositions de l’article L. 120-1 du code de l’environnement en application desquelles le public doit être en mesure de formuler des observations sur un projet de texte ayant une incidence sur l’environnement n’imposent pas de procéder à une nouvelle publication pour recueillir des observations du public lorsque des modifications sont apportées au projet dès lors que celles-ci n’ont pas pour effet de le dénaturer ;

• une rectification liée à une erreur matérielle ne constitue pas une dénaturation impliquant que le projet soit à nouveau soumis à consultation du public.

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References   [ + ]

1. CE Assemblée 24 mars 2006, Sté KPMG et autres, req. n°288460 et autres, p. 154 ; CE Section 13 décembre 2006 Mme X., req. n° 287845, p. 540.

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