De nouvelles précisions sur la possibilité offerte au juge de surseoir à statuer en vue de régulariser un vice affectant une décision d’urbanisme et ses limites

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

December 2021

Temps de lecture

4 minutes

Conseil d’État, 2ème – 7ème chambres réunies, 9 novembre 2021, n° 440028

Parmi les techniques de régularisation mises à la disposition du juge administratif en matière de contentieux des autorisations d’urbanisme, figure le mécanisme désormais bien connu de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme :

« Sans préjudice de la mise en œuvre de l’article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation, même après l’achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé ».

Régularisation dite « dans le prétoire », ce mécanisme offre la possibilité au juge administratif, dans le cadre d’un recours introduit à l’encontre d’une autorisation d’urbanisme, de surseoir à statuer jusqu’à l’expiration d’un délai qu’il fixe afin de permettre au titulaire de l’autorisation attaquée de régulariser les vices dont celle-ci est affectée.

Dans cet arrêt du 9 novembre dernier, le Conseil d’Etat est venu préciser à nouveau l’office du juge une fois que celui-ci a constaté que les seuls moyens fondés portent sur des vices susceptibles d’être régularisés et qu’il a sursis à statuer pour permettre leur régularisation.

Le présent litige nous conduit à Wasquehal, commune du Nord intégrée à la métropole européenne de Lille. Le 26 juin 2015, son maire a délivré à la société civile de construction vente (SCCV) Lucien Viseur un permis de construire portant sur la réalisation de onze logements sur le territoire de la commune. A la suite du rejet implicite de leur recours gracieux, Mme U…P… et dix-huit autres riverains formèrent devant le Tribunal administratif de Lille un recours en excès de pouvoir visant l’annulation de ce permis de construire.

Par un premier jugement avant-dire-droit en date du 12 juillet 2018, le tribunal administratif de Lille décida de sursoir à statuer sur le fondement de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, en invitant la pétitionnaire à justifier sous quatre mois de la délivrance d’un permis de construire modificatif propre à régulariser les vices identifiés. Or, par un arrêté du 31 octobre 2018, le maire de Wasquehal refusa de délivrer à la SCCV Lucien Viseur un tel arrêté de permis de construire modificatif.

Statuant à nouveau le 28 décembre 2018, le tribunal administratif de Lille, après avoir constaté l’absence de production d’un permis modificatif, prononça l’annulation de l’arrêté de permis de construire du 26 juin 2015.

La SCCV Lucien Viseur releva appel de ce dernier jugement et l’affaire fut directement portée devant le Conseil d’Etat en vertu de l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative : Wasquehal faisant partie des communes dans lesquelles s’applique la taxe annuelle sur les logements vacants, le tribunal administratif de Lille était compétent en premier et dernier ressort.

C’est ainsi que le Conseil d’Etat fut une nouvelle fois invité à cadrer l’office du juge en la matière. A plusieurs occasions, il avait en effet déjà pu juger qu’à compter du sursis à statuer, ne sont plus invocables devant lui que les moyens dirigés contre l’éventuelle mesure de régularisation et que la contestation de cette mesure doit se faire dans la même instance (CE 19 juin 2017 Syndicat des copropriétaires de la résidence Butte Stendhal et autres, n°394677).

De même, les parties peuvent, à l’appui de la contestation de l’acte de régularisation, invoquer des vices affectant sa légalité externe et soutenir qu’il n’a pas pour effet de régulariser le vice que le juge a constaté dans sa décision avant-dire-droit. Elles ne peuvent soulever aucun autre moyen, qu’il s’agisse d’un moyen déjà écarté par la décision avant-dire-droit ou de moyens nouveaux, à l’exception de ceux qui seraient fondés sur des éléments révélés par la procédure de régularisation (CAA Lyon 09 février 2021 M. J…B…, req. n°19LY02573).

En l’espèce, le Conseil d’Etat devait se prononcer sur l’office du juge dans le cas particulier d’un pétitionnaire se voyant refuser la mesure de régularisation demandée à la suite du jugement avant-dire-droit rendu sur la base de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme.

Trois moyens sont soulevés par la SCCV.

Le premier est lié au défaut de signature de la minute du jugement et manque en fait.

Le deuxième soulève une erreur de droit relative au refus du tribunal administratif de Lille de se prononcer sur la légalité du rejet de la demande de permis de construire modificatif. Le pourvoi soutient que, comme dans le cas d’une décision positive de l’autorité administrative, cette légalité doit pouvoir se discuter dans l’instance où le juge a sursis à statuer en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme.

Le dernier concerne le recours, demandé à titre subsidiaire, à l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme en vue d’obtenir l’annulation seulement partielle du permis de construire attaqué.

Le Conseil d’Etat statue à l’encontre de la SCCV Lucien Viseur et juge que dans l’hypothèse où aucune mesure de régularisation n’est notifiée au juge, il lui appartient de prononcer l’annulation de l’autorisation de construire litigieuse, sans que puisse être contestée devant lui la légalité du refus opposé, le cas échéant, à la demande de régularisation présentée par le bénéficiaire de l’autorisation. Une telle contestation ne pourra intervenir que dans le cadre d’une nouvelle instance, qui devra alors être regardée comme dirigée contre le refus d’autoriser le projet dans son ensemble, y compris les modifications qu’il était envisagé d’y apporter.

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