Degré minimal de consistance du projet pour constituer des réserves foncières par voie d’expropriation

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

May 2024

Temps de lecture

4 minutes

CE 30 avril 2024 Communauté d’agglomération d’Angoulême, req. n° 465919 : mentionné aux tables du recueil Lebon

La constitution de réserves foncières est pour les personnes publiques un outil d’anticipation particulièrement utile. Quand elles sont constituées par voie d’expropriation, et en application de l’article L. 221-1 du code de l’urbanisme, les immeubles sont alors acquis « en vue de permettre la réalisation » d’une action ou d’une opération d’aménagement au sens de l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme 1)Sont visés par l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, les objectifs suivants : la mise en œuvre d’un projet urbain, ou d’une politique locale de l’habitat, le maintien et l’accueil des activités économiques, le développement des loisirs et du tourisme, la lutte contre l’insalubrité et l’habitat indigne ou dangereux ou encore, en dernier lieu, à la désartificialisation des sols mais qui demeure parfois à l’état de simple réflexion.

Par sa décision Communauté d’agglomération d’Angoulême du 30 avril 2024, mentionnée aux tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat admet l’imprécision du projet justifiant, parfois à longue échéance, la constitution de ces réserves foncières.

Dans cette affaire, il était question du projet de requalification urbaine d’une usine d’embouteillage, friche industrielle urbaine polluée située sur le site dit des « Chais Montaigne » à Angoulême.

Par arrêté en date du 31 août 2018, la préfète de Charente avait adopté une déclaration d’utilité publique (DUP) autorisant les acquisitions à l’amiable ou par voie d’expropriation, nécessaires à la réalisation de la future opération par l’établissement public foncier de Nouvelle-Aquitaine pour le compte de la commune d’Angoulême et de la communauté d’agglomération d’Angoulême.

Le propriétaire du site et un acquéreur potentiel ont alors engagé un recours à l’encontre de cet arrêté préfectoral, recours accueilli tant par le tribunal administratif de Poitiers que la cour administrative d’appel de Bordeaux.

Dans la lignée de son considérant issue de sa décision antérieure Communauté d’agglomération de Montpellier 2)CE 21 mai 2014 Communauté d’agglomération de Montpellier, req. n° 354804, mentionné aux tables du Rec. CE et suivant une lecture combinée des articles L. 221-1 et L. 300-1 du code de l’urbanisme, le Conseil d’Etat estime qu’une DUP prise pour la constitution de réserves foncières est fondée dès lors que (i) d’une part, à la date à laquelle la procédure de déclaration d’utilité publique est engagée, la personne publique justifie de « l’existence » d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, « alors même que les caractéristiques de ce projet n’auraient pas encore été définies à cette date » et (ii) d’autre part, que le dossier d’enquête préalable à la DUP fait apparaître la « nature » du projet envisagé :

« les personnes publiques qu’elles mentionnent peuvent légalement acquérir des immeubles par voie d’expropriation pour constituer des réserves foncières, d’une part, si elles justifient, à la date à laquelle la procédure de déclaration d’utilité publique est engagée, de l’existence d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, alors même que les caractéristiques de ce projet n’auraient pas encore été définies à cette date, et, d’autre part, si le dossier d’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique fait apparaître la nature du projet envisagé, conformément aux dispositions du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique. »

Comme le souligne le rapporteur public, M. Agnoux, dans ses conclusions favorables, la présente décision constituait alors l’occasion (enfin) « d’éclairer la portée » de la jurisprudence antérieure Communauté d’agglomération de Montpellier dégagée il y a près d’une décennie.

Le Conseil d’Etat profite aussi de cet arrêt – qui est une rare illustration en la matière – pour assouplir son appréciation de la consistance et du degré d’avancement du projet.

Il ne faisait pas débat que l’objectif de l’acquisition par voie d’expropriation en vue de la constitution d’une réserve foncière était connu : il s’agissait précisément d’une opération de renouvellement urbain visant à résorber l’état de friche et ses dangers, et à créer une nouvelle zone d’accueil d’activités économiques et de logements abordables.

Les juges d’appel avaient pourtant estimé que « malgré leur objectif affirmé de requalification de cette zone actuellement en état de friche polluée et très dégradée, aucun projet d’action ou d’opération d’aménagement défini même dans ses grandes lignes » n’était justifié.

Les juges du Palais Royal considèrent a contrario que : « si la consistance de ce projet n’était alors définie que de manière sommaire, sans que la répartition entre ses composantes de développement économique et d’habitat n’aient encore été arrêtée, il était nécessaire [pour les collectivités bénéficiaires de la réserve foncière] de disposer de la maîtrise foncière pour préciser le programme d’aménagement, en particulier pour réaliser des diagnostics et actions de dépollution rendus nécessaires » pour lesquelles les deux collectivités avaient conclu une convention opérationnelle avec l’établissement public foncier préalablement à l’arrêté de DUP.

En effet, au cas d’espèce, la pollution du site et le risque d’atteinte à la sécurité publique, malheureusement déjà réalisé par une chute mortelle, motivaient une action urgente sans que les imprécisions relatives à la consistance du projet (la clé de répartition entre les logements et les activités avaient toutefois fait l’objet d’une étude de faisabilité) ne soient un frein à la constitution d’une réserve foncière par voie d’expropriation.

Il en résulte que la constitution de réserves foncières peut être autorisée lorsque la consistance du projet n’est définie que de manière sommaire et les composantes du projet ne sont pas toutes encore arrêtés.

Dans le contexte actuel où la (dés)artificialisation et la renaturation des sols alimentent les réflexions de toute collectivité soucieuse de la mise en œuvre de la réforme du ZAN, cet arrêt pourrait avoir un intérêt opérationnel certain pour anticiper, bien en amont, la réalisation de projets d’aménagement via la mobilisation de l’outil des réserves foncières.

 

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References   [ + ]

1. Sont visés par l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, les objectifs suivants : la mise en œuvre d’un projet urbain, ou d’une politique locale de l’habitat, le maintien et l’accueil des activités économiques, le développement des loisirs et du tourisme, la lutte contre l’insalubrité et l’habitat indigne ou dangereux ou encore, en dernier lieu, à la désartificialisation des sols
2. CE 21 mai 2014 Communauté d’agglomération de Montpellier, req. n° 354804, mentionné aux tables du Rec. CE

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