Des précisions sur les prescriptions techniques particulières imposées par le pouvoir adjudicateur en lien avec l’objet du marché sous le prisme de la concurrence

Catégorie

Contrats publics

Date

March 2016

Temps de lecture

6 minutes

CE 10 février 2016 sociétés SMC2 et Jean Lefebvre, req. n° 382148

Des prescriptions techniques mentionnant un procédé particulier et aboutissant au choix d’une solution qu’un seul opérateur économique peut offrir peuvent être admises dès lors qu’elles sont justifiées par l’objet du marché.

La commune de Bondy a lancé en octobre 2009 une procédure d’appel d’offres ouvert pour la passation d’un marché de construction d’une halle des sports couverte.

Le marché, attribué le 1er décembre 2009 à un groupement conjoint composé de deux sociétés, Jean Lefebvre et SMC2, a fait l’objet d’un recours en annulation déposé par la société ACS Production, candidate évincée, recours qui était accompagné d’une demande d’indemnisation du préjudice que cette dernière estimait avoir subi en raison de son éviction.

Cette société, qui avait présenté une offre incomplète écartée par la commune, reprochait au pouvoir adjudicateur d’avoir commis diverses irrégularités parmi lesquelles le fait d’avoir imposé des spécifications techniques ayant eu pour conséquence de restreindre la concurrence.

Selon le CCTP du marché ainsi contesté, le système de fixation de la toiture textile permettant la couverture du bâtiment devait en effet être « non visible et discret » et effectué « par des profilés métalliques inoxydables », et ne devait nécessiter aucune maintenance.

1 – La procédure devant les juges du fond

Par un jugement du 29 mars 2011 1) TA Montreuil 29 mars 2011 société ACS Production, req. n° 1000737., le tribunal administratif de Montreuil a rejeté les demandes de la société requérante.

Par un arrêt du 6 mai 2014 2) CAA Versailles 6 mai 2014 société ACS Production, req. n° 11VE01594. Commenté sur le blog : http://www.adden-leblog.com/?p=5881 , la cour administrative de Versailles avait jugé, au fond, après que l’avis technique lui ait été remis, que les spécifications techniques retenues par la commune étaient en l’espèce de nature à restreindre la concurrence et elle a, en conséquence, annulé le marché en cause, en considérant, d’une part, que les spécifications techniques prévues par le CCTP ne pouvaient être remplies que par la technique utilisée par la société SMC2 qui, à l’époque, faisait l’objet d’un brevet dont elle était la seule détentrice 3) En particulier, l’arrêt de la cour précisait que l’avis technique avait conclu à ce que seule la technique de la société SMC2 permettait une fixation non visible, discrète et sans maintenance. et, d’autre part, que la commune ne prouvait pas que ses besoins n’auraient pas pu être satisfaits avec des exigences moins restrictives.

2 – La censure de la solution de la CAA

Saisi de plusieurs pourvois 4) Pourvoi n° 381148 des sociétés SMC2 et Jean Lefebvre contre l’arrêt du 6 mai 2014 en tant qu’il a fait partiellement droit aux demandes de la société ACS Production. Pourvoi n° 382154 de la société ACS contre l’arrêt du 6 mai 2014 en ce qu’il a rejeté le surplus de ses conclusions à fin d’injonction. Sous ce même numéro, pourvoi incident de la commune de Bondy contre l’arrêt précité. Ayant joint les pourvois, la Haute Juridiction statue par une seule décision ici commenté., le Conseil d’Etat annule l’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles du 6 mai 2014 et rejette au fond la demande d’annulation du jugement, en considérant, pour sa part, que la commune avait en l’espèce valablement pu prévoir de telles spécifications techniques particulières sans entacher d’illégalité le marché 5) Pour être complet, il convient de préciser que le Conseil d’Etat a adopté la même solution (En revanche, pour un motif distinct de cassation puisque, dans cette instance, le Conseil d’Etat a retenu que la cour avait dénaturé les pièces du dossier) dans une autre décision relative à un marché du même type prévoyant les mêmes prescriptions techniques mais conclu par une autre personne publique, le syndicat interdépartemental des parcs des sports de Bobigny et de la Courneuve (SIPS) (CE 10 février 2016 société SMC2, req. 382153)..

Après avoir rappelé l’article 6-IV du code des marchés publics 6) Article 6-IV du code des marchés publics : « Les spécifications techniques ne peuvent pas faire mention d’un mode ou procédé de fabrication particulier ou d’une provenance ou origine déterminée, ni faire référence à une marque, à un brevet ou à un type, dès lors qu’une telle mention ou référence aurait pour effet de favoriser ou d’éliminer certains opérateurs économiques ou certains produits. Toutefois, une telle mention ou référence est possible si elle est justifiée par l’objet du marché ou, à titre exceptionnel, dans le cas où une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché n’est pas possible sans elle et à la condition qu’elle soit accompagnée des termes : ” ou équivalent ». et les pouvoir du juge lorsqu’il relève une illégalité dans la passation d’un marché public 7) CE 16 juillet 2007 société Tropic Travaux Signalisation, req. n° 291545 : « Considérant qu’il appartient au juge, lorsqu’il constate l’existence de vices entachant la validité du contrat, d’en apprécier les conséquences ; qu’il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l’illégalité éventuellement commise, soit de prononcer la résiliation du contrat ou de modifier certaines de ses clauses, soit de décider de la poursuite de son exécution, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation par la collectivité contractante, soit d’accorder des indemnisations en réparation des droits lésés, soit enfin, après avoir vérifié si l’annulation du contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l’intérêt général ou aux droits des cocontractants, d’annuler, totalement ou partiellement, le cas échéant avec un effet différé, le contrat »., la Haute Juridiction ne retient en effet pas la même analyse que la cour qui « a estimé que les prescriptions des articles 4.2 et 4.3 du cahier des clauses techniques particulières du marché contesté, excluant tout système de fixation des toiles de couverture du bâtiment par cordes, drisses, sandows ou tout système assimilé, ne pouvaient être satisfaites sans recourir à la technique de fixation par profilés métalliques dont le brevet appartenait à la société SMC2 et qu’ainsi les dispositions précitées de l’article 6 du code des marchés publics avaient été méconnues ».

Le Conseil d’Etat juge ainsi que, « d’une part, la commune de Bondy a fait le choix d’adopter une technologie alors novatrice de fixation des toiles de couverture permettant d’améliorer l’esthétique de l’ouvrage et d’éviter les contraintes de maintenance qu’imposait la méthode de fixation par cordes, drisses ou sandows et, d’autre part, que les prescriptions en cause, motivées par ce choix, n’avaient pas pour objet de favoriser l’entreprise SMC2 ».

Dès lors que la cour administrative d’appel de Versailles a inexactement qualifié les faits « en estimant que l’illégalité relevée était, dans les circonstances de l’espèce, d’une particulière gravité et de nature à justifier l’annulation du contrat », le Conseil d’Etat considère que la commune de Bondy était ainsi fondée à soutenir par son pourvoi incident que la cour administrative d’appel de Versailles avait à tort annulé le marché en cause et annule, en conséquence, l’arrêt précité.

3 – La solution retenue par le Conseil d’Etat

Jugeant au fond, la Haute Juridiction souligne le contexte dans lequel la commune avait prévu les prescriptions litigieuses dans le CCTP du marché qui a pour objet « la construction d’une halle des sports couverte par une toile », relevant que :

    « la commune a voulu choisir un système de fixation de cette toile de couverture offrant les meilleures garanties de vieillissement, un moindre coût de maintenance et une meilleure esthétique ; qu’à cette fin elle a retenu, par les prescriptions de l’article 4.3 du [CCTP], le procédé de fixation de la toile de couverture « par des profilés métalliques inoxydables (…) non visible et discret », lequel ne nécessite « aucune maintenance » ; que ce procédé de fixation de la couverture de l’ouvrage est justifié par l’objet même du marché ; que, par suite, la commune n’a, en faisant le choix de ce procédé, pas méconnu les disposition du IV de l’article 6 du code des marchés publics citées ci-dessus ni le principe d’égalité des candidats ».

Autrement dit, au regard de l’objet du contrat, dès lors qu’il s’agissait de construire une halle couverte par une toile dont le système de couverture devait offrir les meilleures garanties de vieillissement, un moindre coût de maintenance et une meilleure esthétique, le procédé technique 8) Dès lors, il importait peu que le choix technique aboutissait non seulement à proscrire toute méthode de fixation par cordes, drisses ou sandows au profit d’une méthode de fixation par profilés métalliques mais aboutissait, en outre, à recourir à la méthode dont le brevet appartenait à la société SMC2. ainsi retenu par la commune dans les prescriptions techniques stipulées au CCTP était en lien avec le marché et ne pouvait, en conséquence, être regardé comme méconnaissant l’article 6-IV du code des marchés publics ou le principe d’égalité entre les candidats.

Cette solution met ainsi l’accent sur le besoin que le pouvoir adjudicateur entend satisfaire au travers du marché public qu’il a conclu et n’est pas sans rappeler celle déjà retenue par le Conseil d’Etat lorsque celui-ci avait considéré qu’un pouvoir adjudicateur qui disposait d’un logiciel qu’il souhaitait continuer à utiliser pouvait valablement lancer une procédure de passation d’un marché public afin de répondre au besoin d’assurer son exploitation et sa maintenance, plutôt que d’acquérir un nouveau dispositif, quand bien même ce marché d’exploitation-maintenance ne pouvait être satisfait que par un seul prestataire en raison des droits d’exclusivité détenus par celui-ci 9) CE 2 octobre 2013 Département de l’Oise, req. n° 368846..

La prudence reste toutefois de rigueur face à cette solution qui ne doit pas permettre de se dispenser de la question de savoir jusqu’où une personne publique peut aller dans la définition de l’objet du marché et des spécifications techniques qu’elle impose en conséquence.

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References   [ + ]

1. TA Montreuil 29 mars 2011 société ACS Production, req. n° 1000737.
2. CAA Versailles 6 mai 2014 société ACS Production, req. n° 11VE01594. Commenté sur le blog : http://www.adden-leblog.com/?p=5881
3. En particulier, l’arrêt de la cour précisait que l’avis technique avait conclu à ce que seule la technique de la société SMC2 permettait une fixation non visible, discrète et sans maintenance.
4. Pourvoi n° 381148 des sociétés SMC2 et Jean Lefebvre contre l’arrêt du 6 mai 2014 en tant qu’il a fait partiellement droit aux demandes de la société ACS Production. Pourvoi n° 382154 de la société ACS contre l’arrêt du 6 mai 2014 en ce qu’il a rejeté le surplus de ses conclusions à fin d’injonction. Sous ce même numéro, pourvoi incident de la commune de Bondy contre l’arrêt précité. Ayant joint les pourvois, la Haute Juridiction statue par une seule décision ici commenté.
5. Pour être complet, il convient de préciser que le Conseil d’Etat a adopté la même solution (En revanche, pour un motif distinct de cassation puisque, dans cette instance, le Conseil d’Etat a retenu que la cour avait dénaturé les pièces du dossier) dans une autre décision relative à un marché du même type prévoyant les mêmes prescriptions techniques mais conclu par une autre personne publique, le syndicat interdépartemental des parcs des sports de Bobigny et de la Courneuve (SIPS) (CE 10 février 2016 société SMC2, req. 382153).
6. Article 6-IV du code des marchés publics : « Les spécifications techniques ne peuvent pas faire mention d’un mode ou procédé de fabrication particulier ou d’une provenance ou origine déterminée, ni faire référence à une marque, à un brevet ou à un type, dès lors qu’une telle mention ou référence aurait pour effet de favoriser ou d’éliminer certains opérateurs économiques ou certains produits. Toutefois, une telle mention ou référence est possible si elle est justifiée par l’objet du marché ou, à titre exceptionnel, dans le cas où une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché n’est pas possible sans elle et à la condition qu’elle soit accompagnée des termes : ” ou équivalent ».
7. CE 16 juillet 2007 société Tropic Travaux Signalisation, req. n° 291545 : « Considérant qu’il appartient au juge, lorsqu’il constate l’existence de vices entachant la validité du contrat, d’en apprécier les conséquences ; qu’il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l’illégalité éventuellement commise, soit de prononcer la résiliation du contrat ou de modifier certaines de ses clauses, soit de décider de la poursuite de son exécution, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation par la collectivité contractante, soit d’accorder des indemnisations en réparation des droits lésés, soit enfin, après avoir vérifié si l’annulation du contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l’intérêt général ou aux droits des cocontractants, d’annuler, totalement ou partiellement, le cas échéant avec un effet différé, le contrat ».
8. Dès lors, il importait peu que le choix technique aboutissait non seulement à proscrire toute méthode de fixation par cordes, drisses ou sandows au profit d’une méthode de fixation par profilés métalliques mais aboutissait, en outre, à recourir à la méthode dont le brevet appartenait à la société SMC2.
9. CE 2 octobre 2013 Département de l’Oise, req. n° 368846.

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