Droit à indemnité du concessionnaire en cas de résiliation pour motif d’intérêt général

Catégorie

Contrats publics

Date

July 2016

Temps de lecture

6 minutes

CAA Nantes 28 juin 2016 Département de la Loire-Atlantique, req. n° 14NT01984

Par un arrêté interministériel du 27 février 1970 auquel était annexé un cahier des charges, l’Etat a concédé à la commune du Croisic l’établissement et l’exploitation d’un port de plaisance sur son territoire pour une durée de 50 ans.

Ayant finalement décidé de conclure une délégation de service public unique pour les ports de pêche et de plaisance des communes du Croisic et de La Turballe, le département a notamment, par une délibération du 6 mai 2010, résilié unilatéralement pour motif d’intérêt général, la concession du port de plaisance du Croisic à compter du 31 décembre 2010.

Par un courrier en date du 21 octobre 2011, la commune du Croisic a demandé au département une indemnité en réparation du préjudice résultant, selon elle, de la résiliation anticipée de la concession du port de plaisance. Le montant de cette demande était de 1 382 237 euros.

Par un courrier du 4 novembre 2011, le département informait la commune de son accord pour un montant de 45 367 euros, rejetant ainsi le surplus des demandes.

La commune du Croisic a donc saisi la juridiction administrative.

Par un jugement du 21 mai 2014, le tribunal administratif de Nantes a :

    ► Ecarté les stipulations de l’article 45 du cahier des charges de la concession ;

    ► Condamné le département de Loire-Atlantique « sur le fondement des règles générales applicables aux contrats administratifs, à verser à la commune du Croisic une somme totale de 957 095,45 euros, comprenant 590 352,05 euros en indemnisation de la valeur non amortie des biens de retour, 275 000 euros au titre de la perte des bénéfices manqués et 137 110,40 euros au titre du versement au département de la trésorerie disponible au 31 décembre 2010, le tribunal déduisant de l’indemnité totale de 1 002 462,45 euros la somme de 45 367 euros déjà versée par le département de la Loire-Atlantique et décidant que la somme de 957 095,45 euros ainsi obtenue serait assortie des intérêts au taux légal à compter du 21 octobre 2011 et de la capitalisation de ces intérêts ».

Le département de Loire-Atlantique a donc relevé appel de ce jugement. Pour sa part, la commune du Croisic concluait, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, en cas d’évocation, à la condamnation du département au paiement d’une somme de 597 939,05 EUR au titre de la valeur non amortie des biens retournés au concédant, une somme de 646 888 EUR au titre de son manque à gagner et une somme de 137 110,40 EUR au titre de la trésorerie indument reprise par le concédant.

Avant d’analyser le droit à indemnité de la commune du Croisic (2), la cour administrative d’appel de Nantes revient dans un premier temps sur le contrat applicable en l’espèce (1).

1 Sur le contrat applicable

La commune du Croisic demande l’indemnisation des préjudices qu’elle estime avoir subi, sur le fondement des stipulations des articles 6 et 71 du cahier des charges qui lui aurait été notifié par le département le 3 septembre 2003.

Toutefois, la cour administrative d’appel ne va pas retenir cette analyse.

Au contraire, la cour considère que le contrat applicable est le cahier des charges annexé à l’arrêté interministériel du 27 février 1970 dans la mesure où :

    ► D’une part, aucun avenant n’a été signé, le département a seulement adressé le 3 septembre 2003 à la commune un projet d’avenant qui n’a finalement jamais été signé ; et

    ► D’autre part, le courrier du 3 septembre 2003 précité ne constitue pas non plus, selon la cour, une décision résultant du pouvoir de modification unilatérale du contrat 1) La cour rappelant que « si l’autorité gestionnaire du domaine public a la faculté de modifier unilatéralement les conditions financières de l’autorisation d’occupation du domaine public afin d’assurer la bonne gestion de celui-ci, sous réserve de ne pas remettre en cause l’équilibre financier de la concession, il résulte de l’instruction que le document invoqué par la commune du Croisic, tant par sa forme que par son contenu, ne constitue pas une décision par laquelle le département aurait entendu faire usage de son pouvoir de modification unilatérale du contrat de concession, mais un simple projet d’avenant portant sur un autre cahier des charges qui n’a jamais acquis un caractère contractuel liant les parties ; que ce document ne pouvait dès lors constituer le fondement contractuel de l’indemnisation sollicitée »..

En conséquence, c’est l’article 45 du cahier des charges annexé à l’arrêté interministériel du 27 février 1970 qui s’applique.

A cet égard, la cour juge :

    « qu’il résulte de ces stipulations [du cahier des charges annexé à l’arrêté interministérielle du 27 février 1970], qui déterminent les obligations financières du département de la Loire-Atlantique, substitué à l’Etat, s’il entend résilier la concession avant son terme, que l’indemnisation du concessionnaire est en ce cas limitée à la reprise des seules charges d’emprunt afférentes à l’outillage ainsi que des dépenses de fonctionnement régulièrement engagées et exclut toute indemnité complémentaire, notamment au titre des investissements réalisés par le concessionnaire sur ses fonds propres ; qu’il est constant que l’indemnité due à la commune du Croisic en application de ces seules stipulations n’excède pas le montant de la somme de 45 367 euros qui lui a été versé par le département ».

Après avoir tranché sur les stipulations contractuelles applicables en l’espèce, la cour va ensuite déterminer l’étendue du droit à indemnité. Autrement dit, il s’agit pour le juge de déterminer si le concessionnaire pouvait obtenir plus.

2 Sur le droit à indemnité de la commune

La cour va considérer que la commune du Croisic n’a pas droit à être indemnisée du surplus de ses demandes en jugeant qu’« à supposer même que la valeur nette comptable de certains biens inscrits au bilan de la concession à la date d’effet de la résiliation puisse être regardée comme l’expression de la valeur résiduelle non amortie de biens correspondant à des dépenses du concessionnaire, il résulte de l’instruction que le montant du préjudice afférent pour la commune ne saurait atteindre le montant dont elle demande l’indemnisation et ne peut être regardé comme révélant une disproportion manifeste entre l’indemnité versée par le département concédant en application des stipulations du cahier des charges et le montant du préjudice résultant, pour la commune concessionnaire, des dépenses qu’elle a exposées et du gain dont elle a été privé ».

En premier lieu, la cour rappelle que :

    « Considérant qu’en vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, l’autorité concédante peut toujours, pour un motif d’intérêt général, résilier un contrat de concession, sous réserve des droits à indemnité du concessionnaire et que l’étendue et les modalités de cette indemnisation peuvent être déterminées par les stipulations du contrat, sous réserve qu’il n’en résulte pas, au détriment d’une personne publique, une disproportion manifeste entre l’indemnité ainsi fixée et le montant du préjudice résultant, pour le concessionnaire, des dépenses qu’il a exposées et du gain dont il a été privé » 2) CE Ass. 21 décembre 2012 Commune de Douai, req. n° 342788..

La cour reprend ainsi la solution du Conseil d’Etat dans une affaire CCI de Nîmes, Uzès, Bagnols et Le Vigan qui avait rappelé le principe selon lequel l’autorité concédante peut toujours, pour un motif d’intérêt général, résilier un contrat de concession et avait précisé les modalités d’indemnisation du préjudice en résultant, dans les mêmes termes que ceux repris par la cour 3) CE 4 mai 2011 CCI de Nîmes, Uzès, Bagnols et Le Vigan, req. n° 334280 – pour un exemple de disproportion manifeste : CE 22 juin 2012 CCI de Montpellier, req. n° 348676..

En second lieu, la cour ajoute que :

    « Considérant, toutefois, que lorsque l’autorité concédante résilie la convention avant son terme normal, le délégataire est fondé à demander l’indemnisation du préjudice qu’il subit à raison du retour anticipé des biens à titre gratuit dans le patrimoine de la collectivité publique dès lors qu’ils n’ont pu être totalement amortis ; que l’indemnisation du concessionnaire correspond à la valeur réelle résiduelle des biens en cause telle qu’elle doit être déterminée en tenant compte de la dépréciation subie par ces biens du fait de l’usure et de toute autre cause ; que lorsque l’amortissement de ces biens a été calculé sur la base d’une durée d’utilisation inférieure à la durée du contrat, cette indemnité est égale à leur valeur nette comptable inscrite au bilan ; que, dans le cas où leur durée d’utilisation était supérieure à la durée du contrat, l’indemnité est égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l’amortissement de ces biens sur la durée du contrat ; que l’indemnité mise à la charge de la personne publique concédante au titre de ces biens non amortis ne saurait en toute hypothèse excéder le montant calculé selon les modalités précisées ci-dessus ».

En dernier lieu, examinant chacun des postes de préjudice invoqués par la commune du Croisic, la cour va les écarter un à un, tant le préjudice invoqué au titre de la part non amortie des biens de la concession que le manque à gagner allégué et le retour de la trésorerie de la concession au département, en estimant que l’existence même de ces préjudices n’est pas établie ou encore que le quantum est erroné 4) La cour relève notamment que le rapport de l’expert comptable sur lequel se fondait le tribunal administratif de Nantes était un document comptable établi à la demande de la commune du Croisic elle-même et dont les données étaient erronées..

En conséquence, la cour annule le jugement du tribunal administratif de Nantes au motif que « la commune du Croisic n’établit pas qu’elle aurait subi un préjudice entrainant une disproportion manifeste par rapport à la situation résultant de la seule application des stipulations du cahier des charges de la concession du port de plaisance » et rejette la demande formulée devant le tribunal administratif par la commune du Croisic ainsi que ses conclusions d’appel.

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1. La cour rappelant que « si l’autorité gestionnaire du domaine public a la faculté de modifier unilatéralement les conditions financières de l’autorisation d’occupation du domaine public afin d’assurer la bonne gestion de celui-ci, sous réserve de ne pas remettre en cause l’équilibre financier de la concession, il résulte de l’instruction que le document invoqué par la commune du Croisic, tant par sa forme que par son contenu, ne constitue pas une décision par laquelle le département aurait entendu faire usage de son pouvoir de modification unilatérale du contrat de concession, mais un simple projet d’avenant portant sur un autre cahier des charges qui n’a jamais acquis un caractère contractuel liant les parties ; que ce document ne pouvait dès lors constituer le fondement contractuel de l’indemnisation sollicitée ».
2. CE Ass. 21 décembre 2012 Commune de Douai, req. n° 342788.
3. CE 4 mai 2011 CCI de Nîmes, Uzès, Bagnols et Le Vigan, req. n° 334280 – pour un exemple de disproportion manifeste : CE 22 juin 2012 CCI de Montpellier, req. n° 348676.
4. La cour relève notamment que le rapport de l’expert comptable sur lequel se fondait le tribunal administratif de Nantes était un document comptable établi à la demande de la commune du Croisic elle-même et dont les données étaient erronées.

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