Du nouveau sur la prise de possession en cas d’appel du jugement en fixation du prix : point général entre réforme du code de l’expropriation et QPC

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

February 2015

Temps de lecture

7 minutes

Conseil constitutionnel- décision n°2014-451 QPC du 13 février 2015

Par une ordonnance n° 2014-1345 du 6 novembre 2014 et par le décret n° 2014-1635 du 26 décembre 2014, le code de l’expropriation a fait l’objet d’une refonte complète tant dans sa partie législative que réglementaire.

Ces nouvelles dispositions sont entrées en vigueur le 1er janvier dernier, non sans susciter quelques émois, notamment en cas d’appel du jugement en fixation du prix de 1ère instance.

Dans le même temps, une question prioritaire de constitutionnalité relative aux articles L. 15-1 et L.15-2 du code de l’expropriation (aujourd’hui L. 331-2 et L. 331-3) et aux modalités de prise de possession du bien exproprié était examinée par les sages de la rue Montpensier.

Par une décision n°2014-451 QPC du 13 février 2015, ces derniers ont déclaré les articles précités conformes à la Constitution en émettant une importante réserve, ci-après développée.

En effet, avant de revenir sur cette décision qui marque, nous l’espérons, un terme au débat relatif à la prise de possession d’un bien exproprié, il est nécessaire de rappeler les dernières évolutions connues par les articles L. 15-1 et L. 15-2 du code de l’expropriation et la prise de possession d’un bien exproprié en cas d’appel d’un jugement en fixation du prix.

1. La prise de possession d’un bien exproprié en cas d’appel d’un jugement en fixation du prix après l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2014-1345 du 6 novembre 2014 et du décret n° 2014-1635 du 26 décembre 2014

1.1. Il convient de rappeler depuis le décret du 13 mai 2005 1) Décret n° 2005-467 du 13 mai 2005., l’appel d’un jugement en fixation du prix d’un bien suspendait l’exécution de la décision de 1ère instance.

En effet, ce décret avait supprimé le 1er alinéa de l’ancien article L. 15-2 du code de l’expropriation qui précisait : « l’appel n’est pas suspensif » 2) V. « Réforme de la procédure judiciaire d’expropriation – A propos du décret du 13 mai 2005 – Dossier établi dans le cadre du séminaire permanent Droit de l’aménagement du Gridauh » AJDI 2005 p. 537.

Dès lors, il convenait de faire application des règles générales de procédure civile prévues à l’article 539 du code de procédure civile, selon lesquelles l’appel suspend l’exécution de la décision de 1ère instance.

Néanmoins, l’ancien article L. 15-2 du code de l’expropriation permettait à l’expropriant, en cas d’appel du jugement, de prendre possession du bien en versant une indemnité au moins égale aux propositions faites par lui et en consignant le surplus de l’indemnité fixée par le juge 3) Ancien article L. 15-2 du code de l’expropriation : « L’expropriant peut prendre possession, moyennant versement d’une indemnité au moins égale aux propositions faites par lui et consignation du surplus de l’indemnité fixée par le juge ». .

1.2. Toutefois, par sa décision n°2012-226 QPC du 6 avril 2012, le conseil constitutionnel a censuré l’ancien article L. 15-2 du code de l’expropriation en considérant que cette disposition allait à l’encontre du droit de propriété, dans la mesure où la prise de possession intervenait, de manière anticipée, sans que l’exproprié perçoive effectivement une juste et préalable indemnité.

L’article L. 15-2 du code de l’expropriation a donc été modifié pour tenir compte de cette décision 4) Art. 42 de la loi n° 2013-431 du 28 mai 2013..

Cet article disposait :

« En cas d’appel du jugement fixant l’indemnité, lorsqu’il existe des indices sérieux laissant présumer qu’en cas d’infirmation, l’expropriant ne pourrait recouvrer tout ou partie des sommes qui lui seraient dues en restitution, celui-ci peut être autorisé par le juge à consigner tout ou partie du montant de l’indemnité supérieur à ce que l’expropriant avait proposé. Cette consignation vaut paiement. La prise de possession intervient selon les modalités définies à l’article L. 15-1 ».

Néanmoins, le juge compétent (juge d’appel ou juge de l’expropriation de première instance) pour statuer n’était pas désigné par le code de l’expropriation, de sorte qu’une incertitude demeurait sur ce point.

Les nouvelles dispositions du code de l’expropriation, entrées en vigueur le 1er janvier dernier, viennent clarifier cette situation.

Désormais, l’article R. 311-25 du code de l’expropriation prévoit expressément que « l’appel du jugement fixant les indemnités n’est pas suspensif ».

Dans la mesure où la décision de 1ère instance est directement exécutoire, nonobstant la formation d’un appel, l’autorité expropriante est autorisé à prendre immédiatement possession du bien à condition de payer le prix fixé par le juge de l’expropriation 5) Selon l’article L. 231-1 du code de l’expropriation, la prise de possession peut avoir lieu à l’expiration du délai d’un mois suivant le paiement ou la consignation de l’indemnité..

Certes, le code de l’expropriation ne fixe pas un délai impératif pour procéder au paiement, de sorte que l’expropriant pourrait décider d’attendre la décision de la cour d’appel pour verser l’indemnité due.

Néanmoins, un tel délai allonge d’autant les délais de réalisation du projet de l’expropriant sur le bien exproprié, ce qui peut être préjudiciable à la collectivité expropriante.

Dans ces conditions, le choix pourrait être fait de payer immédiatement l’indemnité fixée par le juge ou plus exactement de la verser 1 mois à compter de la signification du jugement.

En effet, en cas d’appel, l’article L. 331-3 du code de l’expropriation offre la possibilité à l’expropriant, lorsqu’il existe des indices sérieux laissant présumer qu’en cas d’infirmation il « ne pourrait recouvrer tout ou partie des sommes qui lui seraient dues en restitution », de saisir le 1er président de la cour d’appel afin d’être autorisé à consigner tout ou partie du montant de l’indemnité supérieur à ce qu’il avait proposé.

Cette disposition permet d’exécuter la décision de 1ère instance, tout en protégeant l’expropriant face au risque d’insolvabilité de l’exproprié, si la décision de 1ère instance était infirmée.

Ainsi, en cas d’appel d’un jugement en fixation du prix, plusieurs hypothèses s’offrent à l’expropriant qui souhaite prendre possession des lieux sans attendre la décision d’appel :

► Soit, ce dernier verse à l’exproprié l’intégralité du montant fixé par le juge de première instance (l’appel n’étant pas suspensif) ;
► Soit, il peut être autorisé par le juge à ne payer qu’une quote-part de ce montant et à en consigner tout ou partie du montant de l’indemnité supérieur à ce qu’il avait proposé, s’il démontre qu’en cas d’infirmation du jugement, il « ne pourrait recouvrer tout ou partie des sommes qui lui seraient dues en restitution ».

Les articles L. 331-3 et R. 231-2 du code de l’expropriation indiquent, à présent, que cette compétence appartient au 1er président de la cour d’appel statuant en référé 6) Toutefois, il convient de préciser que ces nouvelles dispositions ne concernent pas les contentieux engagés sur le fondement des dispositions de l’ancien code de l’expropriation, en cours le 1er janvier 2015, demeurent régis par les dispositions de l’ancien code de l’expropriation jusqu’à dessaisissement de la juridiction saisie..

Néanmoins, l’épilogue relatif à la prise de possession du bien exproprié en cas d’appel semble n’avoir été atteint que le 13 février dernier.

2. La prise de possession d’un bien exproprié en cas d’appel d’un jugement en fixation du prix après l’intervention de la décision n°2014-451 QPC du 13 février 2015

2.1. Selon le conseil constitutionnel, les dispositions de l’article L. 15-2 du code de l’expropriation, en vigueur depuis le 1er juillet 2013, et transposées au sein du nouvel article L. 331-3, sont conformes à la Constitution.

Celui-ci a en effet considéré que la prise de possession intervenait, par principe, en application de l’ancien article L. 15-1 du code de l’expropriation 7)ransposé à article L. 231-1 du code de l’expropriation : « Dans le délai d’un mois, soit du paiement de l’indemnité ou, en cas d’obstacle au paiement, de sa consignation, soit de l’acceptation ou de la validation de l’offre d’un local de remplacement, les détenteurs sont tenus de quitter les lieux. Passé ce délai qui ne peut, en aucun cas, être modifié, même par autorité de justice, il peut être procédé à l’expulsion des occupants »., après que l’exproprié ait obtenu le paiement intégral d’une juste et préalable indemnité et que ce n’était que par exception, et avec l’autorisation d’un juge, que le paiement partiel et une consignation du surplus pouvait valoir paiement, préalable nécessaire à toute prise de possession 8) Selon l’article L. 231-1 du code de l’expropriation, la prise de possession peut avoir lieu à l’expiration du délai d’un mois suivant le paiement ou la consignation de l’indemnité..

Dans ce contexte, le juge constitutionnel a considéré qu’il n’y avait ni atteinte au droit de propriété ni atteinte au principe d’égalité entre les personnes expropriées, dans la mesure où seules celles dont la situation financière est compromise, peuvent se voir opposer une consignation d’une quote-part de l’indemnité.

Toutefois, le conseil constitutionnel a émis une réserve importante en considérant que l’exproprié devait pouvoir obtenir la réparation du préjudice résultant de l’absence de perception de l’intégralité de l’indemnité d’expropriation lors de la prise de possession dans le cas où l’indemnité fixée par le juge d’appel est supérieure à la fraction de l’indemnité fixée par le juge de première instance déjà versée :

« Considérant qu’en tout état de cause, l’indemnisation doit couvrir l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l’expropriation ; que, par suite, lorsque l’indemnité définitivement fixée excède la fraction de l’indemnité fixée par le juge de première instance qui a été versée à l’exproprié lors de la prise de possession du bien, l’exproprié doit pouvoir obtenir la réparation du préjudice résultant de l’absence de perception de l’intégralité de l’indemnité d’expropriation lors de la prise de possession ;
Considérant que, sous la réserve énoncée au considérant qui précède, les dispositions de l’article L. 15-2 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ne méconnaissent pas les exigences découlant de l’article 17 de la Déclaration de 1789
».

Ainsi, à l’exproprié peut désormais prétendre, en sus de l’indemnité d’expropriation, à être indemnisé du préjudice subi du fait de la prise de possession anticipée sans juste et préalable indemnité.

Pour le conseil constitutionnel, l’exproprié n’a en effet pas été en mesure de pouvoir acquérir un bien équivalent à celui dont il a perdu possession et a subi, de ce fait, un préjudice qu’il convient d’indemniser 9) Cette réserve semble s’inscrire dans la même logique que celles des dispositions des articles L. 521-5 et L. 522-4 du code de l’expropriation qui prévoient, dans la procédure d’extrême urgence une indemnisation pour les personnes démontrant que la rapidité de la procédure leur a causé un préjudice supplémentaire.
.

2.2. Une telle réserve emporte des conséquences pratiques pour l’expropriant non-négligeables.

L’expropriant devra donc, désormais, analyser les chances de succès de l’appel avant de solliciter auprès du 1er président de la cour d’appel la possibilité de consigner une partie de l’indemnité.

En effet, en ne payant qu’une faible fraction du montant de l’indemnité fixé en 1ère instance, l’expropriant s’expose au risque de devoir indemniser un préjudice supplémentaire à l’indemnité d’expropriation due.

A cet égard, il convient de souligner la difficulté d’estimer de manière anticipée l’indemnité qui sera fixée par le juge d’appel.

Ainsi, on ne peut que constater que les évolutions tant législatives que jurisprudentielles en matière de prise de possession d’un bien exproprié, qui constituent une amélioration de la protection des expropriés, imposent désormais à l’expropriant de faire un réel bilan « coûts-avantages » avant toute prise de possession de ce dernier lorsqu’il est fait appel de la décision de 1ère instance fixant le prix du bien.

Partager cet article

References   [ + ]

1. Décret n° 2005-467 du 13 mai 2005.
2. V. « Réforme de la procédure judiciaire d’expropriation – A propos du décret du 13 mai 2005 – Dossier établi dans le cadre du séminaire permanent Droit de l’aménagement du Gridauh » AJDI 2005 p. 537
3. Ancien article L. 15-2 du code de l’expropriation : « L’expropriant peut prendre possession, moyennant versement d’une indemnité au moins égale aux propositions faites par lui et consignation du surplus de l’indemnité fixée par le juge ».
4. Art. 42 de la loi n° 2013-431 du 28 mai 2013.
5, 8. Selon l’article L. 231-1 du code de l’expropriation, la prise de possession peut avoir lieu à l’expiration du délai d’un mois suivant le paiement ou la consignation de l’indemnité.
6. Toutefois, il convient de préciser que ces nouvelles dispositions ne concernent pas les contentieux engagés sur le fondement des dispositions de l’ancien code de l’expropriation, en cours le 1er janvier 2015, demeurent régis par les dispositions de l’ancien code de l’expropriation jusqu’à dessaisissement de la juridiction saisie.
7. ransposé à article L. 231-1 du code de l’expropriation : « Dans le délai d’un mois, soit du paiement de l’indemnité ou, en cas d’obstacle au paiement, de sa consignation, soit de l’acceptation ou de la validation de l’offre d’un local de remplacement, les détenteurs sont tenus de quitter les lieux. Passé ce délai qui ne peut, en aucun cas, être modifié, même par autorité de justice, il peut être procédé à l’expulsion des occupants ».
9. Cette réserve semble s’inscrire dans la même logique que celles des dispositions des articles L. 521-5 et L. 522-4 du code de l’expropriation qui prévoient, dans la procédure d’extrême urgence une indemnisation pour les personnes démontrant que la rapidité de la procédure leur a causé un préjudice supplémentaire.

3 articles susceptibles de vous intéresser