D’utiles précisions s’agissant des contours du recours Tarn-et-Garonne dans le cadre du contentieux portant sur la concession de l’eau et de l’assainissement de Bordeaux Métropole

Catégorie

Contrats publics

Date

December 2020

Temps de lecture

7 minutes

CE 20 novembre 2020 Association Trans’Cub et autres, req. n° 428156

La communauté urbaine de Bordeaux (« CUB ») – devenue aujourd’hui Bordeaux Métropole (« BM ») – a concédé le service public de l’eau potable et de l’assainissement à la société Lyonnaise des eaux pour une durée de 30 ans à compter du 1er janvier 1992.

En cours d’exécution, BM a notamment adoptées :

  • Une délibération du 22 décembre 2006 approuvant un avenant n° 7 dont l’objet était notamment d’augmenter certains investissements à la charge du délégataire,
  • Une délibération du 10 juillet 2009 approuvant un avenant n° 8 portant notamment sur le remplacement des branchements en plomb,
  • Une délibération du 21 décembre 2012 approuvant un avenant n° 9 portant notamment sur « les modalités de transition vers un nouveau modèle d’exploitation du service sans modifier la date d’échéance de la délégation, telle que prévue initialement, fixée au 31 décembre 2021 ».

Par ailleurs, une délibération du 8 juillet 2011 approuvait des créations de postes en prévision de la reprise du service en régie à l’issue du contrat.

Ce sont les 4 délibérations dont l’association requérante, Trans’cub, et des particuliers contestaient la légalité.

Après avoir sollicité le retrait de ces délibérations, les requérants ont saisi le tribunal administratif de Bordeaux d’une requête tendant à l’annulation de la décision de rejet de BM du 18 avril 2013 de son recours gracieux, des délibérations précitées du 8 juillet 2011 et du 21 décembre 2012. Ils demandaient, en outre, au tribunal de constater l’illégalité des délibérations du 22 décembre 2006 et du 10 juillet 2009.

Par un jugement en date du 9 mai 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté l’ensemble de ces demandes. Ce jugement a été confirmé par la cour administrative d’appel de Bordeaux par un arrêt du 18 décembre 2018.

L’association requérante a alors formé un pourvoi en cassation.

La décision du Conseil d’Etat du 20 novembre dernier retient notre attention sur plusieurs points.

1           Sur l’application du recours Tarn-et-Garonne aux avenants

Le Conseil d’Etat rappelle d’abord la jurisprudence Tarn-et-Garonne 1)CE 4 avril 2014 Département de Tarn-et-Garonne, req. n° 358994. laquelle a ouvert aux tiers 2)Les tiers lésés et non plus seulement les candidats évincés (CE ass. 16 juillet 2007 Société Tropic travaux signalisation, req. n° 291545). la possibilité de contester directement le contrat par la voie d’un recours de plein contentieux (recours en contestation de la validité du contrat), ce qui a conduit à leur fermer – l’accès au recours en excès de pouvoir à l’encontre des actes détachables.

Le Conseil d’Etat précise les conditions de l’application dans le temps de cette décision aux avenants en jugeant que :

« Toutefois, cette décision a jugé que le recours ainsi défini ne trouve à s’appliquer qu’à l’encontre des contrats signés à compter du 4 avril 2014, date de sa lecture, la contestation des contrats signés antérieurement à cette date continuant d’être appréciée au regard des règles applicables avant cette décision. Dans le cas où est contestée la validité d’un avenant à un contrat, la détermination du régime de la contestation est fonction de la date de signature de l’avenant, un avenant signé après le 4 avril 2014 devant être contesté dans les conditions prévues par la décision n° 358994 quand bien même il modifie un contrat signé antérieurement à cette date ».

Autrement dit, le recours en contestation de la validité du contrat s’applique bien aux avenants signés après le 4 avril 2014, ce alors même que le contrat initial sur lequel ils portent a été signé avant cette date.

En l’espèce, ce n’était pas le cas. Ainsi, au regard de la date de conclusion de avenants (soit antérieurement à la décision Tarn-et-Garonne précitée), le Conseil d’Etat juge que « [les délibérations] constituent, avec la décision refusant de les retirer, des actes détachables du contrat de concession susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ».

C’est dans ce cadre que se place la Haute Juridiction pour examiner la légalité des délibérations contestées.

2          Sur l’absence de caractère réglementaire des délibérations des 22 décembre 2006 et 10 juillet 2009

Le Conseil d’Etat rappelle, d’une part, qu’« une délibération approuvant un contrat de concession et autorisant le maire à le signer est dépourvue de caractère réglementaire, sans qu’ait à cet égard d’incidence la circonstance que le contrat approuvé comporte des clauses revêtues d’un caractère réglementaire » et, d’autre part, qu’« une telle délibération crée des droits au profit du concessionnaire » 3)CE 29 décembre 1997 Mme B., req. n° 170822 – CE 25 septembre 1996 Société EURL au Service du développement, req. n° 125544 – CE 26 mars 2001 Association pour la gratuité de l’autoroute A 8, req. n° 202209 – CAA Paris 15 mai 2007 commune de Vaux-Le-Pénil, req. n° 04PA02272 : sur la censure d’une décision de retrait d’une délibération autorisant la signature d’un contrat..

S’agissant des deux délibérations de 2006 et 2009, la Haute Juridiction confirme ainsi qu’elles étaient dépourvues de caractère réglementaire et qu’en outre elles étaient créatrices de droit pour le concessionnaire de sorte que BM était bien tenu de « rejeter la demande dont elle avait été saisie de retirer ces délibérations au-delà du délai de retrait de quatre mois » et que les moyens excipant de leur illégalité étaient inopérants à l’encontre de la décision du 18 avril 2013 refusant de procéder à leur retrait.

3          Sur la portée de la délibération du 21 décembre 2012

S’agissant de la délibération du 21 décembre 2012, l’association requérante estimait qu’elle avait pour objet de prolonger la durée de la concession en méconnaissance des dispositions de la loi du 29 janvier 1993, dans sa rédaction postérieure à la loi du 2 février 1995 et codifiée aux articles L. 1411-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT) et L. 3114-7 et L. 3114-8 du code de la commande publique (CCP), telle qu’interprétée par la jurisprudence Commune d’Olivet 4)Cf. ci-après..

Ce n’était pas la position de la cour administrative d’appel de Bordeaux qui avait jugé :

« La délibération du 21 décembre 2012 a approuvé un avenant n° 9 au traité de concession ayant notamment pour objet de consacrer le principe d’une maîtrise d’ouvrage communautaire sur certains investissements structurants, d’encadrer et de planifier la transition vers un nouveau mode d’exploitation du service en précisant les conditions financières de sortie de la concession et de valider une nouvelle grille de tarification du service de l’eau applicable aux usagers. La délibération du 21 décembre 2012 impliquait, par les modifications qu’elle approuvait, le maintien de la durée du marché au-delà du mois de février 2015. La durée initialement stipulée n’a donc pas été modifiée. Par ailleurs, la délibération ne comporte aucune disposition refusant explicitement de réduire la durée de la délégation pour tenir compte des exigences de l’article L. 1411-2 précité du code général des collectivités territoriales. Cette délibération ne contient pas davantage un refus de constater au 4 février 2015 la caducité de la convention, laquelle n’est nullement prévue par la loi de manière automatique. Dans ces conditions, la délibération du 21 décembre 2012, qui n’a d’ailleurs pas été prise en réponse à une demande de résiliation de la convention, ne saurait être regardée comme ayant eu pour objet ou pour effet de refuser de mettre fin à l’exécution du contrat litigieux ou comme révélant une décision ayant une telle portée. Par suite, la délibération du 21 décembre 2012, eu égard à son objet rappelé ci-dessus, et la décision refusant de la rapporter, constituent des actes détachables du contrat justiciables d’un recours pour excès de pouvoir tendant à leur annulation » 5)CAA Bordeaux 18 décembre 2018 Association Trans’Cub et autres, req. n° 16BX02303..

Après avoir rappelé les termes de l’article 40 de la loi du 29 janvier 1993 précitée 6)« Les conventions de délégation de service public doivent être limitées dans leur durée. Celle-ci est déterminée par la collectivité en fonction des prestations demandées au délégataire. Lorsque les installations sont à la charge du délégataire, la convention de délégation tient compte, pour la détermination de sa durée, de la nature et du montant de l’investissement à réaliser et ne peut dans ce cas dépasser la durée normale d’amortissement des installations mises en œuvre. Dans le domaine de l’eau potable, de l’assainissement, des ordures ménagères et autres déchets, les délégations de service public ne peuvent avoir une durée supérieure à vingt ans sauf examen préalable par le directeur départemental des finances publiques, à l’initiative de l’autorité délégante, des justificatifs de dépassement de cette durée. Les conclusions de cet examen sont communiquées aux membres de l’assemblée délibérante compétente avant toute délibération relative à la délégation »., la Haute Juridiction rappelle ainsi que :

« Ces dispositions répondent à un impératif d’ordre public qui est de garantir, par une remise en concurrence périodique, la liberté d’accès des opérateurs économiques aux contrats de délégation de service public et la transparence des procédures de passation. Un tel motif d’intérêt général ne saurait, pas plus que la nécessité d’assurer l’égalité de tous les opérateurs économiques délégataires de service public au regard des exigences de la loi, entraîner la nullité des contrats de délégation de service public conclus antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 29 janvier 1993 pour des durées incompatibles avec les dispositions de son article 40, ni contraindre les parties à de tels contrats à modifier leur durée. Il implique en revanche, non seulement qu’aucune stipulation relative à la durée du contrat, convenue entre les parties après la date d’entrée en vigueur de la loi, ne peut méconnaître les exigences prévues par son article 40, mais en outre que les clauses d’une convention de délégation de service public qui auraient pour effet de permettre son exécution pour une durée restant à courir, à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi, excédant la durée maximale autorisée par la loi, ne peuvent plus être régulièrement mises en œuvre au-delà de la date à laquelle cette durée maximale est atteinte » 7)CE Ass. 8 avril 2009 Compagnie générale des eaux, Commune d’Olivet, req. n° 271737..

En l’espèce, le Conseil d’Etat va considérer que la cour a méconnu la portée de la délibération puisque, selon lui et même s’il ne s’agissait que de confirmer la durée initialement fixée, la délibération avait pour effet de permettre une exécution du contrat au délai du délai de 20 ans prévu par la loi dans la mesure où « cette délibération, qui a d’ailleurs été adoptée après consultation, à l’initiative de la collectivité, du directeur départemental des finances publiques, telle qu’elle est requise par les dispositions législatives citées au point 6, impliquait, par les modifications qu’elle approuvait, la poursuite de l’exécution du contrat au-delà du mois de février 2015, c’est-à-dire au-delà de la date à laquelle la délégation de service public aurait dû en principe prendre fin en application de la loi du 29 janvier 1993 modifiée par la loi du 2 février 1995 ».

Enfin, s’agissant de la demande de BM de procéder à la substitution de motif retenu par la cour laquelle estimait que les conclusions à l’encontre de la délibération étaient irrecevables en application de la jurisprudence SMPAT 8)Par laquelle le Conseil d’Etat ouvre aux tiers un recours de pleine juridiction contre la décision de refus de résilier un contrat administratif (CE 30 juin 2017 SMPAT, req. n° 398445 – commentée sur le blog)., le Conseil d’Etat refuse de faire droit à cette demande, considérant que « la requête présentée devant eux tendait, en tout état de cause, non à ce qu’il soit mis fin au contrat liant Bordeaux Métropole et la société Lyonnaise des eaux, mais à l’annulation de la délibération décidant de la poursuite de l’exécution du contrat au-delà de la durée maximale de vingt ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi du 2 février 1995 ».

Par conséquent, le Conseil d’Etat annule l’arrêt de la cour en ce qu’il statue sur la délibération de 2012 approuvant l’avenant n° 9.

L’affaire est renvoyée devant la cour qui devra se pencher sur cette prolongation qui, il est intéressant de le souligner ne paraissait pas, aux yeux du rapporteur public, « en première approche, choquante au regard des conditions formelles et de fond posées par la loi » 9)Mireille Le Corre sur CE 20 novembre 2020 Association Trans’cub et autres, req. n° 428156.

L’épisode de la légalité de l’avenant n° 9 de la concession n’est pas encore fini, affaire à suivre !

 

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References   [ + ]

1. CE 4 avril 2014 Département de Tarn-et-Garonne, req. n° 358994.
2. Les tiers lésés et non plus seulement les candidats évincés (CE ass. 16 juillet 2007 Société Tropic travaux signalisation, req. n° 291545).
3. CE 29 décembre 1997 Mme B., req. n° 170822 – CE 25 septembre 1996 Société EURL au Service du développement, req. n° 125544 – CE 26 mars 2001 Association pour la gratuité de l’autoroute A 8, req. n° 202209 – CAA Paris 15 mai 2007 commune de Vaux-Le-Pénil, req. n° 04PA02272 : sur la censure d’une décision de retrait d’une délibération autorisant la signature d’un contrat.
4. Cf. ci-après.
5. CAA Bordeaux 18 décembre 2018 Association Trans’Cub et autres, req. n° 16BX02303.
6. « Les conventions de délégation de service public doivent être limitées dans leur durée. Celle-ci est déterminée par la collectivité en fonction des prestations demandées au délégataire. Lorsque les installations sont à la charge du délégataire, la convention de délégation tient compte, pour la détermination de sa durée, de la nature et du montant de l’investissement à réaliser et ne peut dans ce cas dépasser la durée normale d’amortissement des installations mises en œuvre. Dans le domaine de l’eau potable, de l’assainissement, des ordures ménagères et autres déchets, les délégations de service public ne peuvent avoir une durée supérieure à vingt ans sauf examen préalable par le directeur départemental des finances publiques, à l’initiative de l’autorité délégante, des justificatifs de dépassement de cette durée. Les conclusions de cet examen sont communiquées aux membres de l’assemblée délibérante compétente avant toute délibération relative à la délégation ».
7. CE Ass. 8 avril 2009 Compagnie générale des eaux, Commune d’Olivet, req. n° 271737.
8. Par laquelle le Conseil d’Etat ouvre aux tiers un recours de pleine juridiction contre la décision de refus de résilier un contrat administratif (CE 30 juin 2017 SMPAT, req. n° 398445 – commentée sur le blog).
9. Mireille Le Corre sur CE 20 novembre 2020 Association Trans’cub et autres, req. n° 428156

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