Exception au principe d’intangibilité du groupement candidat à une procédure négociée

Catégorie

Contrats publics

Date

July 2016

Temps de lecture

4 minutes

CJUE 24 mai 2016 MT Højgaard A/S et Züblin A/S, aff. n° C 396/14

Par un arrêt du 24 mai 2016, la Cour de justice de l’Union européenne a eu à connaître de la problématique de l’intangibilité d’un groupement d’opérateurs candidat à un marché public et, plus précisément, de la substitution d’un opérateur au groupement dont il était membre, suite à la liquidation de son unique cotraitant au cours de la procédure de passation.

En l’espèce, les sociétés Per Aarsleff (ci-après « Aarsleff ») et E. Pihl og Søn A/S (ci-après « Pihl ») ont constitué un groupement d’opérateurs candidat à un marché lancé par la Banedanmark, société gestionnaire des infrastructures ferroviaires au Danemark. Celle-ci a organisé une procédure négociée prévoyant que les soumissionnaires seraient invités à déposer trois offres successives au cours de la procédure et qu’une négociation aurait lieu après le dépôt des deux premières offres.

Le jour précédant le dépôt de la première offre, un jugement a déclaré la faillite la société Pihl. Par la suite, l’entité adjudicatrice a autorisé la société restante du groupement, Per Aarsleff, à participer seule à la procédure. Cette dernière a donc présenté la deuxième offre de la procédure en son nom propre et a été sélectionnée par l’entité adjudicatrice au terme de la procédure.

Dans le cadre du recours d’un groupement évincé, la juridiction nationale compétente a saisi la Cour de Justice d’une question préjudicielle par laquelle elle demande si le principe d’égalité de traitement doit être interprété en ce sens « qu’il s’oppose à ce qu’une entité adjudicatrice attribue un marché à un soumissionnaire qui n’a pas fait acte de candidature à la présélection et qui n’a donc pas été présélectionné ».

D’abord, la Cour indique que la directive 2004/17/CE 1) Directive 2004/17/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux. ne prévoit aucune règle concernant les modifications de la composition d’un groupement d’opérateurs présélectionné et que la réglementation d’une telle situation relève de la compétence des États membres 2) CJUE 23 janvier 2003 Makedoniko Metro et Michaniki, Aff. n° C‑57/01. Elle précise toutefois qu’une application stricte du principe d’égalité de traitement entre soumissionnaires, appuyée par les dispositions de l’article 51 de la directive qui énoncent que les offres sont remises par les opérateurs présélectionnés, aboutit à considérer qu’un principe d’identité stricte entre les opérateurs présélectionnés et les opérateurs qui présentent les offres doit s’appliquer 3) « Les entités adjudicatrices vérifient la conformité des offres présentées par les soumissionnaires ainsi sélectionnés aux règles et exigences applicables aux offres et attribuent le marché en se basant sur les critères prévus aux articles 55 et 57 ».

Cependant, la Cour tempère ce positionnement en soulignant que « l’exigence d’identité juridique et matérielle […] peut être tempérée afin d’assurer, dans une procédure négociée, une concurrence suffisante ». Elle admet ainsi par exception qu’il soit porté atteinte à l’intangibilité de l’identité d’un candidat si les deux conditions suivantes sont réunies :

    ► l’opérateur économique qui se substitue au groupement satisfait seul aux exigences relatives aux capacités des candidats définies par l’entité adjudicatrice dans les documents de la consultation et,
    ► la substitution opérée n’entraîne pas une détérioration de la situation concurrentielle des autres soumissionnaires.

Dans ces conditions, et pour préserver une situation concurrentielle 4) L’entité adjudicatrice avait souhaité un minimum de quatre candidats en lice dans le cadre de cette procédure., l’entité adjudicatrice a pu, sans violer le principe d’égalité, autoriser « l’un des deux opérateurs économiques qui faisaient partie d’un groupement d’entreprises ayant été, en tant que tel, invité à soumissionner par cette entité à se substituer à ce groupement à la suite de la dissolution de celui‑ci et à participer, en son nom propre, à la procédure négociée d’attribution d’un marché public ».

Il faudra attendre d’autres décisions de la Cour pour confirmer que cette solution peut être transposée aux procédures non négociées, ou à d’autres hypothèses de divergence entre l’identité du candidat et celle du soumissionnaire.

En droit interne, le Conseil d’Etat a énoncé de manière relativement discrète le principe d’une stricte identité entre la personne du candidat et la personne attributaire du contrat 5) CE avis 1er décembre 2009 n° 383264 : « les textes en vigueur édictent tous la règle de l’identité entre le candidat ayant présenté une offre et le titulaire du contrat à l’issue de la compétition » (questions 1.1. et 1.2) : « il ne peut y avoir, dans le cours de la procédure de passation de ‘substitution’ d’une personne morale distincte, incluant une participation du pouvoir adjudicateur, à un candidat participant à la sélection lorsqu’il est susceptible d’être retenu ».. Toutefois, les textes prévoient des exceptions à ce principe :

    ► D’abord, la procédure de publicité et de mise en concurrence applicable à la création d’une SEMOP suppose évidemment une divergence d’identité entre l’opérateur candidat et l’attributaire du contrat, qui sera une entité juridique dédiée au capital partagé entre l’opérateur et l’acheteur public 6) LOI n° 2014-744 du 1er juillet 2014 permettant la création de sociétés d’économie mixte à opération unique. ;
    ► Ensuite, l’article 45 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics prévoit qu’en cas d’opération de restructuration de société (rachat, fusion ou acquisition) ou si le groupement apporte la preuve qu’un de ses membres se trouve dans l’impossibilité d’accomplir sa tâche pour des raisons qui ne sont pas de son fait, il peut être autorisé par l’acheteur à présenter de nouveaux membres du groupement ou des sous-traitants pour pallier ces défaillances.

Si des exceptions au principe d’identité entre la personne du candidat, le soumissionnaire et l’attributaire du contrat sont admises, leur portée reste en l’état limitée. Reste à savoir si le juge français ferait application d’un principe générique admettant, même sans texte, la modification de la composition d’un groupement candidat dans des conditions respectant le jeu concurrentiel comme l’égal traitement des candidats.

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References   [ + ]

1. Directive 2004/17/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux.
2. CJUE 23 janvier 2003 Makedoniko Metro et Michaniki, Aff. n° C‑57/01
3. « Les entités adjudicatrices vérifient la conformité des offres présentées par les soumissionnaires ainsi sélectionnés aux règles et exigences applicables aux offres et attribuent le marché en se basant sur les critères prévus aux articles 55 et 57 »
4. L’entité adjudicatrice avait souhaité un minimum de quatre candidats en lice dans le cadre de cette procédure.
5. CE avis 1er décembre 2009 n° 383264 : « les textes en vigueur édictent tous la règle de l’identité entre le candidat ayant présenté une offre et le titulaire du contrat à l’issue de la compétition » (questions 1.1. et 1.2) : « il ne peut y avoir, dans le cours de la procédure de passation de ‘substitution’ d’une personne morale distincte, incluant une participation du pouvoir adjudicateur, à un candidat participant à la sélection lorsqu’il est susceptible d’être retenu ».
6. LOI n° 2014-744 du 1er juillet 2014 permettant la création de sociétés d’économie mixte à opération unique.

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