Articulation des référés précontractuels et contractuels et méthode de notation des offres : quelques rappels et précisions

Catégorie

Contrats publics

Date

March 2013

Temps de lecture

6 minutes

CE 15 février 2013 société SFR, req. n° 363854

Le département de l’Allier a, par un avis d’appel public à la concurrence publié le 6 juin 2012, engagé une procédure de passation d’un marché public ayant « pour objet la fourniture de services de télécommunications » divisé en 6 lots.

La société SFR a présenté une offre pour quatre lots, dont le rejet lui a été notifié par courrier en date du 6 septembre 2012, pour les lots 1, 2 et 6, et en date du 9 octobre 2012, pour le lot 4.

Le 19 octobre 2012, la société SFR a saisi le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Clermont-Ferrand (article L. 551-1 du CJA).

Ayant été informée au cours de l’instruction de la signature des marchés (le 24 septembre 2012 pour les lots 1, 2 et 6 et le 18 octobre 2012 pour le lot 4), la société requérante a déposé des conclusions sur le fondement de l’article L. 551-13 du CJA, c’est dire sur le fondement du référé contractuel.

Le tribunal a toutefois rejeté, comme irrecevables, les demandes de la société SFR qui va, en conséquence, déposer un pourvoi. On sait effectivement que le référé contractuel n’est pas à proprement parler une « séance de rattrapage » : il n’est pas en principe ouvert aux candidats ayant été en mesure de déposer un référé précontractuel.

En l’espèce cependant, le Conseil d’Etat va censurer pour erreur de droit l’irrecevabilité opposée par le premier juge :

« 5. Considérant que les dispositions de l’article L. 551-14 du code de justice administrative, qui prévoient que le recours contractuel n’est pas ouvert au demandeur ayant fait usage du référé précontractuel dès lors que le pouvoir adjudicateur a respecté la suspension prévue à l’article L. 551-4 du même code et s’est conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours, n’ont pas pour effet de rendre irrecevable un recours contractuel introduit par un concurrent évincé qui avait antérieurement présenté un recours précontractuel alors qu’il était dans l’ignorance du rejet de son offre et de la signature du marché, par suite d’un manquement du pouvoir adjudicateur au respect des dispositions de l’article 80 du code des marchés publics qui prévoient l’obligation de notifier aux candidats le rejet de leurs offres et fixe un délai minimum de seize jours, réduit à onze jours dans le cas d’une transmission électronique, entre la date d’envoi de cette notification et la conclusion du marché ; qu’il s’ensuit que le juge des référés a commis une erreur de droit en rejetant les conclusions présentées par la société SFR sur le fondement de l’article L. 551-13 du code de justice administrative au seul motif qu’elles avaient été présentées dans le cadre d’un recours précontractuel dont l’irrecevabilité avait été constatée du fait de la signature des marchés litigieux, sans vérifier que le pouvoir adjudicateur avait respecté les dispositions de l’article 80 du code des marchés publics, précédemment rappelées ; que, dès lors, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens des pourvois, la société SFR est fondée à demander l’annulation des ordonnances qu’elle attaque en tant qu’elles ont rejeté ses conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 551-13 du code de justice administrative et ont mis, en conséquence, à sa charge une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du même code »

Ainsi, dans la droite ligne des jurisprudences France Agrimer 1) CE 10 novembre 2010, req. n° 340944 – cf. Laurent Givord, Evolutions récentes et articulation du référé précontractuel et contractuel Lexbase Hebdo n° 190, février 2011 (également sur le présent blog). et Clean Garden 2) CE 2 août 2011 Clean Garden, req. n° 347526., le Conseil d’Etat rappelle que le candidat évincé ayant présenté un référé précontractuel peut, dans le cadre de la même instance et par des conclusions nouvelles, former un référé contractuel dans la mesure où le pouvoir adjudicateur n’a pas respecté les obligations qui lui incombent au titre de l’article 80 CMP.

Autrement dit, le premier juge devait s’assurer, avant de déclarer irrecevables les demandes de la société SFR, que le département avait respecté les modalités d’informations des candidats évincés et le délai de « stand still ».

Réglant l’affaire au fond, le Conseil d’Etat va distinguer, d’une part, les lots 1, 2 et 6 et, d’autre part, le lot 4.

S’agissant des lots 1, 2 et 6, la Haute juridiction va confirmer l’irrecevabilité, dès lors que la signature est intervenue dans le respect de l’article 80 CMP :

« si le pouvoir adjudicateur ne peut se contenter de rappeler le délai minimum prévu par l’article 80 du code des marchés publics pour satisfaire aux obligations prévues à cet article, il résulte toutefois de l’instruction que les courriers adressés à la société SFR indiquaient, pour chacun d’entre eux, que le contrat serait conclu ” dans le délai de 16 jours à compter de la notification du rejet “, soit le 22 septembre 2012, dès lors qu’il est constant que la notification du rejet des offres de la société requérante est intervenue le 6 septembre 2012 ; que la société requérante n’est, dès lors, pas fondée à soutenir que le département de l’Allier aurait méconnu les dispositions de l’article 80 du code des marchés publics quand bien même le délai de suspension que le pouvoir adjudicateur avait choisi de s’imposer était d’une durée identique à celle du délai minimum prévu par le législateur ;
9. Considérant, d’autre part, que chacun des courriers adressés à la société SFR précisait, également, le classement de son offre, les notes qui lui avait été attribuées ainsi que le nom de l’attributaire et les notes obtenues par ce dernier ; que le moyen tiré de ce que le département de l’Allier n’aurait pas justifié de manière suffisante le rejet des offres de la société requérante ne peut, par suite, qu’être écarté ;
»

Concrètement, informée régulièrement du rejet de son offre le 6 septembre, la société SFR, qui avait déposé son référé précontractuel le 19 octobre 2012, ne pouvait se plaindre d’une signature le 24 septembre.

Au regard de la rédaction de l’arrêt, il s’avère que pour assurer le respect de l’article 80 CMP, un pouvoir adjudicateur :

► Ne peut pas se borner à rappeler le délai de « stand still » (suivant le cas 16 ou 11 jours), lequel n’est pas un délai franc 3) CE 2 août 2011 Clean Garden, req. n° 347526 : il s’agit d’un délai « dont la computation s’opère de date à date »..
► Peut se contenter de donner aux candidats non retenus « le classement de son offre », les notes qu’il a obtenues, « le nom de l’attributaire et les notes obtenues par ce dernier ». Ce qui est somme toute logique au regard de la nécessité de respecter notamment le secret des affaires.

En revanche, s’agissant du lot 4, le Conseil d’Etat va très logiquement estimé que les conclusions en référé contractuel étaient bien recevables, la signature étant intervenue en méconnaissance du délai de « stand still ».

Puis, le Conseil d’Etat rappelle que, selon les termes de l’article L. 551-18 du CJA, le juge annule le contrat signé en méconnaissance du délai de « stand still » dès lors qu’en outre, les deux conditions suivantes sont vérifiées :

► le non-respect du délai doit avoir privé le candidat de son droit d’exercer un référé précontractuel ;
► les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles la passation du contrat est soumise doivent avoir été méconnues d’une manière affectant les chances du requérant d’obtenir le contrat.

En l’espèce, le Conseil d’Etat juge que la société a bien été privée de son droit d’exercer utilement un recours précontractuel, de sorte que la première condition doit être considérée comme remplie.

En revanche, la seconde condition fait défaut selon la Haute juridiction.

Le Conseil d’Etat indique notamment que le département pouvait, sans méconnaitre ses obligations de publicité et de mise en concurrence, choisir une méthode de notation consistant à attribuer automatiquement la note maximale au candidat ayant présenté la meilleure offre technique.

C’est d’ailleurs en général le cas, du fait des formules mathématiques, s’agissant du critère prix.

Si les critiques portant sur les méthodes de notation sont en principes vaines 4) CE 21 mai 2010 commune d’Ajaccio, req n° 333737., on relèvera toutefois que le Conseil d’Etat est venu récemment censurer une méthode de notation eu égard à ses effets sur la pondération :

« 9. Considérant, en cinquième lieu, que les pouvoirs adjudicateurs ne peuvent, lorsqu’ils choisissent d’évaluer les offres par plusieurs critères pondérés, recourir à des méthodes de notation conduisant à l’attribution, pour un ou plusieurs critères, de notes négatives ; qu’en effet une telle note, en se soustrayant aux notes obtenues sur les autres critères dans le calcul de la note globale, serait susceptible de fausser la pondération relative des critères initialement définie et communiquée aux candidats ; qu’en l’espèce, il n’est pas contesté que le département de la Guadeloupe a adopté, pour la notation sur le critère du prix, une méthode le conduisant à attribuer des notes négatives à certains candidats ; que, ce faisant, il a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence » 5) CE 18 décembre 2012 département de la Guadeloupe, req. n° 362532.

Finalement, le Conseil d’Etat refuse d’annuler le contrat, mais va sanctionner néanmoins le non-respect du délai de « stand still » par le département en lui infligeant une pénalité financière de 10 000 EUR sur le fondement de l’article 551-20 du CJA.

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1. CE 10 novembre 2010, req. n° 340944 – cf. Laurent Givord, Evolutions récentes et articulation du référé précontractuel et contractuel Lexbase Hebdo n° 190, février 2011 (également sur le présent blog).
2. CE 2 août 2011 Clean Garden, req. n° 347526.
3. CE 2 août 2011 Clean Garden, req. n° 347526 : il s’agit d’un délai « dont la computation s’opère de date à date ».
4. CE 21 mai 2010 commune d’Ajaccio, req n° 333737.
5. CE 18 décembre 2012 département de la Guadeloupe, req. n° 362532.

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