Exclusion automatique des candidats condamnés : une modification législative à venir ?  

Catégorie

Contrats publics

Date

February 2022

Temps de lecture

4 minutes

Décision n° 2021-966 QPC du 28 janvier 2022

Trois mois après avoir consacré le premier principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France 1)CC 15 octobre 2021 Société Air France, req. n° 2021-940 QPC : il s’agissait de l’interdiction de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la « force publique » nécessaire à la garantie des droits, le Conseil Constitutionnel refuse cette fois-ci d’en consacrer un nouveau dans le cadre de l’examen de la question prioritaire de constitutionnalité portée au sujet des dispositions relatives à l’exclusion de plein droit des procédures de passation des marchés publics et des concessions pour les opérateurs économiques ayant fait l’objet d’une condamnation pénale définitive. Précisément, il considère qu’il n’est pas compétent pour contrôler la conformité à la Constitution de dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions d’une directive. Il s’agit de sa position constante en la matière, mais dont les implications vont probablement être de nature législative.

Le dispositif contesté

Etaient en cause les dispositions issues des articles L. 2141-1 et L 3123-1 du code de la commande publique dans la rédaction issue de l’ordonnance 2018-1074 du 26 novembre 2018 portant partie législative de ce code.

Ces dispositions consacrent une exclusion des procédures de passation des marchés publics (L. 2141-1) et des concessions (L. 3123-1) pour les opérateurs ayant fait l’objet d’une condamnation définitive au titre de certaines infractions du code pénal et du code général des impôts. L’exclusion est également prévue dans le cas de condamnations au titre d’infractions équivalentes dans un Etat-membre de l’Union Européenne. Elle ne vaut que pour cinq ans, sauf si ce délai fait obstacle à une peine prononcée par une décision de justice définitive.

Ainsi, la question prioritaire de constitutionnalité portait sur les mots suivants figurant au premier alinéa de l’article L. 2141-1 du code de la commande publique :

« Sont exclues de la procédure de passation des marchés les personnes qui ont fait l’objet d’une condamnation définitive pour l’une des infractions prévues aux articles […] ».

Et sur les mots figurant au premier alinéa de l’article L. 3123-1 du même code :

« Sont exclues de la procédure de passation des contrats de concession les personnes qui ont fait l’objet d’une condamnation définitive […] ».

Les moyens invoqués

Selon les requérants, ces dispositions institueraient une peine, sans prévoir que cette peine soit nécessairement prononcée par une juridiction de jugement, ni qu’elle ne puisse faire l’objet d’une modulation par la juridiction ou d’un relèvement. En conséquence, les requérants soutenaient que les dispositions contestées méconnaissaient le principe de nécessité et d’individualisation des peines, ainsi que celui de droit à un recours effectif devant le juge.

Le contrôle restreint des lois de transposition

Le Conseil Constitutionnel rappelle que les dispositions contestées visent à assurer la transposition de l’article 38 de la directive 2014/23/UE du 26 février 2014 2) Directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE et de l’article 57 de la directive 2014/24/UE 3)Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE.

Il en conclut qu’il n’est pas compétent pour contrôler la conformité de ces normes auxx droits et libertés que la Constitution garantit que dans la mesure où elles mettent en cause une règle ou un principe qui, ne trouvant pas de protection équivalente dans le droit de l’Union Européenne, sont qualifiés d’inhérents à l’identité constitutionnelle de la France. En cela, les juges du palais Montpensier font une application régulière de leur jurisprudence relative au contrôle spécial des lois de transposition des directive 4)CC 27 Juillet 2006 2006-540 DC.

L’absence d’atteinte à un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France

Ainsi, le Conseil constitutionnel refuse de qualifier les dispositions contestées de « peine », en ce qu’elles n’instituent pas de sanction ayant le caractère de punition, mais visent seulement à assurer l’efficacité de la commande publique et le bon usage des deniers publics. Par ailleurs, le principe de la nécessité et de l’individualisation des peines, bénéficiant d’une protection équivalente en droit de l’Union, ne constitue pas un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, pas plus que le droit à un recours juridictionnel effectif, qui jouit d’une protection similaire en droit de l’Union Européenne.

En conséquence, le Conseil prononce un non-lieu à statuer.

La confirmation de l’interprétation antérieure du Conseil d’Etat et la réponse législative attendue ?

Le Conseil constitutionnel s’écarte donc au profit du juge ordinaire qui, par le biais d’un contrôle de conventionnalité d’une part dont les normes de référence sont notamment les règles et principes de l’Union et par le biais du contrôle de transposition compatible avec la directive d’autre part, doit exercer un contrôle des dispositions contestées, et ce sans courir le risque de générer un conflit de normes entre le droit de l’Union et le droit constitutionnel français.

Or, seize mois plus tôt, le Conseil d’Etat avait déjà eu l’occasion d’examiner le dispositif ici soumis au contrôle du juge constitutionnel 5)CE 12 octobre 2020 Société Vert Marine, req. n°419146. Le 14 Juin 2019, il avait en effet posé une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union Européenne au sujet de la conformité de ce dispositif à la directive du 26 février 2014 6)CE 14 juin 2019 Société Vert Marine, req n°419146. En réponse, le 11 juin 2020, la cour avait indiqué que le dispositif national devait permettre la possibilité à un opérateur économique condamné de manière définitive de prouver qu’il a pris des mesures correctrices de nature à rétablir sa fiabilité afin de mettre fin à la mesure d’exclusion dont elle fait l’objet 7)CJUE 11 juin 2020 Vert Marine SAS c/ Premier ministre et Ministre de l’Économie et des Finances, aff. n° C-472/19.

En conséquence, le Conseil d’Etat avait annulé la décision de refus d’abroger les articles du décret pris sur le fondement des dispositions législatives litigieuses et avait prononcé une solution transitoire d’interprétation des dispositions légales litigieuses  8)CE 12 octobre 2020 Société Vert Marine, req. n° 419146: « dans l’attente de l’édiction des dispositions législatives et réglementaires nécessaires au plein respect des exigences découlant du droit de l’Union européenne », l’exclusion de la procédure de passation des contrats de concession prévue par le code n’est pas applicable à la personne qui établit qu’elle a pris les mesures nécessaires pour corriger les manquements liés aux infractions commises et, le cas échéant, que sa participation à la procédure de passation du contrat n’est pas susceptible de porter atteinte à l’égalité de traitement des candidats.

Cri d’appel au législateur pour qu’il modifie les articles litigieux afin qu’il y insère ce mécanisme de prise en compte des mesures correctrices par l’acheteur public : une modification législative est-elle donc à venir ?

 

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