Exclusion d’un droit à rémunération de travaux supplémentaires, même indispensables, si l’acheteur s’oppose expressément à leur réalisation

Catégorie

Contrats publics

Date

May 2020

Temps de lecture

4 minutes

CE 27 mars 2020 Société Géomat, req. n° 426955 : mentionné aux Tables du Rec. CE

En 2003, la société Géomat a conclu avec le département de la Loire-Atlantique un marché à prix unitaires ayant pour objet des prestations de géomètre-expert. Le 12 décembre 2011, le département de la Loire-Atlantique a rejeté le projet de décompte final transmis le 4 novembre 2011 par la société Géomat. Ce projet comprenait, outre le solde restant du marché fixé à la somme de 50 638,05 EUR HT, une réclamation indemnitaire de 374 081,14 EUR HT au titre de travaux exécutés par la société en plus des prestations initialement prévues par le marché.

La société Géomat a alors saisi le comité consultatif interrégional de règlement amiable des litiges relatifs aux marchés publics, qui par un avis du 1er octobre 2013, a proposé que le département verse à la société les sommes de 134 943,14 EUR HT et 100 000 EUR HT correspondant respectivement aux prestations déjà prévues par le marché mais excédant les quantités initialement prévues et aux prestations nouvelles, qui n’étaient pas prévues au bordereau des prix unitaires du marché. A la suite de cet avis, la société Géomat a adressé au département de la Loire-Atlantique le 5 mai 2014 une demande préalable d’indemnisation que celui-ci a cependant refusée.

La société Géomat a alors formé un recours devant le tribunal administratif de Nantes qui, par un jugement du 2 janvier 2017 1)TA Nantes 2 janvier 2017, req. n° 1403879, l’a rejeté après avoir constaté qu’il n’y avait pas lieu de statuer. La cour administrative d’appel de Nantes a confirmé ce rejet par un arrêt du 9 novembre 2018 2)CAA Nantes 9 novembre 2018, req. n° 17NT00813. La société Géomat a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat.

La particularité de cette affaire soumise au jugement des 7ème et 2ème chambres réunies tenait au fait que le département de la Loire-Atlantique avait, par un courrier du 16 juillet 2008, fait connaître à la société Géomat son souhait de ne pas rémunérer les prestations supplémentaires fournies sans commande expresse de sa part et sans avenant, et que ces prestations supplémentaires avaient été réalisées postérieurement à cette date.

La rapporteure publique Mireille Le Corre a rappelé dans ses conclusions le cadre juridique de l’indemnisation de travaux supplémentaires réalisés en cours d’exécution d’un contrat. La jurisprudence l’a principalement admise dans deux cas de figure.

En premier lieu, les travaux supplémentaires prescrits, même tacitement, par la personne publique, doivent être rémunérés.

En second lieu, les travaux supplémentaires qui n’ont jamais été prescrits, même implicitement, par la personne publique, peuvent ouvrir droit à rémunération s’ils étaient indispensables pour réaliser l’ouvrage dans les règles de l’art 3)CE 14 juin 2002 Ville d’Angers, req. n° 219874 : mentionné aux Tables du Rec. CE. Cette jurisprudence initialement circonscrite aux marchés de travaux a été étendue aux marchés de services tel qu’un marché de maîtrise d’œuvre, les « règles de l’art » étant considérées dans ce cas comme impliquant le respect des usages professionnels répandus et considérés comme essentiels, le juge l’appréciant en fonction des pratiques des acteurs du secteur 4)CE 29 septembre 2010 Société Babel, req. n° 319481 : mentionné aux Tables du Rec. CE.

Dans le cas du litige opposant la société Géomat et le département de la Loire-Atlantique, le maître d’ouvrage avait préalablement manifesté son refus de travaux supplémentaires de manière expresse. La cour administrative d’appel de Nantes avait considéré que la présomption d’accord tacite ne pouvait être admise lorsque la personne publique avait préalablement fait connaître son refus de les rémunérer.

La rapporteure publique Mireille Le Corre a d’abord rappelé dans ses conclusions la jurisprudence Société routière Colas de 1982 en vertu de laquelle le titulaire d’un marché qui ne tient pas compte des ordres reçus expressément par le représentant du maître de l’ouvrage et réalisé des travaux supplémentaires qualifiées d’ « utiles », ne peut prétendre à une indemnisation de ces travaux 5)CE 2 juillet 1982 Société routière Colas, req. n° 23653 : Publié au Rec. CE. Puis, la rapporteure publique a proposé de confirmer cette jurisprudence, en l’étendant à l’hypothèse de travaux présentés comme « indispensables », en justifiant cette solution par une forme de loyauté des relations contractuelles :

« L’entreprise qui estime que des travaux supplémentaires sont utiles, voire indispensables pour la réalisation dans les règles de l’art, doit, nous semble-t-il, en informer et en convaincre si besoin, le maître d’ouvrage. Nous y voyons une forme d’application du principe de loyauté des relations contractuelles ou de bonne foi dans l’exécution du marché. C’est pourquoi nous pensons que même un refus a posteriori du maître d’ouvrage devrait être pris en compte et vous conduire à vérifier si le maître d’ouvrage a été mis à même d’exprimer un accord, ne serait-ce que tacitement, afin d’éviter qu’il soit placé dans une situation de fait accompli ».

En l’espèce, le courrier du 16 juillet 2008 que le département a adressé à la société Géomat l’informait en des termes généraux ne précisant pas les travaux en cause, que les prestations supplémentaires fournies sans commande expresse et sans avenant ne seraient pas rémunérées. Le Conseil d’Etat a considéré qu’un tel refus était suffisamment précis.

La rapporteure publique a d’ailleurs fait observer que le nouvel article L. 2194-3 du code de la commande publique créé par la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises – dite loi Pacte -, prévoyait explicitement que « les prestations supplémentaires ou modificatives demandées par l’acheteur au titulaire d’un marché public de travaux qui sont nécessaires au bon achèvement de l’ouvrage et ont une incidence financière sur le marché public font l’objet d’une contrepartie permettant une juste rémunération du titulaire du contrat […] La rémunération de travaux supplémentaires va ainsi bien de pair avec la demande ou l’accord de la personne publique ».

Cet arrêt Société Géomat doit inciter les titulaires d’un marché public à faire preuve d’une grande vigilance dans le cadre de l’exécution de leur marché en veillant bien à ne pas réaliser des travaux non prévus par le marché, même indispensables, si l’acheteur s’est préalablement et expressément opposé à leur réalisation.

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