Exemple d’indemnisation de la victime d’un recours abusif sur le fondement de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

November 2019

Temps de lecture

4 minutes

CAA Versailles 3 octobre 2019 Association des contribuables du Dourdannais en Hurepoix, req. n° 18VE01741 : Inédit au recueil Lebon

1          Contexte du pourvoi

Le maire de Dourdan a accordé à la société civile immobilière (SCI) Les Ménandres un permis d’aménager le 31 octobre 2012.

L’association des contribuables du Dourdannais en Hurepoix a saisi le tribunal administratif (TA) de Versailles d’une requête tendant à l’annulation du permis d’aménager et de la décision implicite de rejet de son recours gracieux du 14 juin 2014. Par un jugement du 19 septembre 2016, le TA a rejeté la demande et a condamné l’association à verser à la SCI Les Ménandres la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme.

L’appel formé par l’association des contribuables du Dourdannais en Hurepoix contre ce jugement a été rejeté, le 10 mars 2017, comme manifestement irrecevable sur le fondement du 4° de l’article R. 222-1 du code de justice administrative (CJA) 1)Aux termes de l’article R. 222-1 du CJA applicable : «  (…) les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours (…) peuvent, par ordonnance : (…) / 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n’est pas tenue d’inviter leur auteur à les régulariser ou qu’elles n’ont pas été régularisées à l’expiration du délai imparti par une demande en ce sens »., par une ordonnance du président de la deuxième chambre de la CAA de Versailles.

Sur pourvoi de l’association, le Conseil d’État a annulé l’ordonnance du 10 mars 2017 2)Au motif que la CAA de Versailles avait fait une inexacte application de l’article R. 222-1 du CJA susmentionné. En effet, selon le Conseil d’État, l’irrecevabilité manifeste d’une requête présentée devant une CAA ne peut concerner que les conclusions présentées devant cette Cour, et non pas l’absence d’intérêt lui donnant qualité pour présenter sa demande de première instance (CE 9 mai 2018 Association des contribuables du Dourdannais en Hurepoix, req. n° 410424 : Inédit au Rec. Lebon). et renvoyé l’affaire devant la CAA de Versailles.

2          Arrêt de la CAA

Par un arrêt du 3 octobre 2019, la CAA de Versailles a confirmé le jugement du TA rejetant la requête de l’association et la condamnant au paiement d’une somme de 3 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par le bénéficiaire du permis, en faisant application des nouvelles dispositions de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme modifiées par la loi du 23 novembre 2018 dite « ELAN » 3)Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique..

A notre connaissance, il s’agit du premier exemple où une cour a accueilli une demande formulée sur le fondement de l’article L. 600-7 depuis sa modification par la loi « ELAN » 4)Signalons que, le même jour, la CAA de Paris a rejeté une demande de dommages et intérêts car, selon la Cour, si le droit au recours avait en l’espèce été mis en œuvre dans des conditions qui traduisent un comportement abusif de la part de la requérante, le lien direct entre l’exercice du recours et le préjudice allégué n’était pas établi (CAA de Paris 3 octobre 2019, req. n° 17PA24045)..

Pour mémoire, la loi « ELAN » a modifié l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme relatif aux recours abusifs afin, selon l’exposé des motifs de la loi, d’améliorer le dispositif d’action en responsabilité contre les recours abusifs et « faciliter le prononcé de condamnations pécuniaires aujourd’hui très rares » 5)Exposé des motifs de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique..

Ces dispositions, d’application immédiate aux instances en cours 6)A notre connaissance, c’est la première fois qu’une cour déclare que le nouvel article L. 600-7 est d’application immédiate. Jusque-là, les juridictions ne l’avaient qu’implicitement admis en faisant application de celles-ci (V. CAA de Versailles 14 mars 2019, req. n° 16VE02590 : Inédit au recueil Lebon – CAA de Marseille 6 juin 2019, req. n° 18MA04951 et n° 18MA04928 : Inédit au recueil Lebon – CAA de Paris 3 octobre 2019, req. n° 17PA24045 : Inédit au recueil Lebon – CAA de Douai 17 septembre 2019, req. n° 17DA01402 : Inédit au recueil Lebon – CAA de Lyon 1er octobre 2019, req. n° 18LY04329 : Inédit au recueil Lebon). selon l’arrêt commenté, disposent désormais :

« Lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager est mis en œuvre dans des conditions qui traduisent un comportement abusif de la part du requérant et qui causent un préjudice au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts. La demande peut être présentée pour la première fois en appel. ».

Ainsi, deux conditions doivent être réunies pour que la victime d’un recours abusif obtienne réparation :

  • que la mise en œuvre du recours contentieux traduise un comportement abusif du requérant ;
  • qu’elle ait causé un préjudice au bénéficiaire du permis.

Sous l’empire de l’ancien article L. 600-7 du code de l’urbanisme, les demandes étaient en pratique quasiment toutes rejetées 7)Rapport «Propositions pour un contentieux des autorisations d’urbanisme plus rapide et plus efficace» réalisé par un groupe de travail présidé par Mme Maugüé, conseillère d’État, et déposé au ministre de la cohésion des territoires le 11 janvier 2018., en raison de la difficulté de justifier des conditions requises, c’est-à-dire :

  • que la mise en œuvre du recours excède la défense des intérêts légitimes du requérant ;
  • qu’elle ait causé un préjudice excessif au bénéficiaire du permis.

Dans l’esprit du législateur, les nouvelles dispositions devraient permettre de renforcer l’efficacité du texte et, partant, de mieux lutter contre les recours abusifs.

En l’espèce, la Cour a considéré que le recours formé par l’association contre le permis d’aménager en cause devait être regardé comme ayant été mis en œuvre dans des conditions qui traduisent un comportement abusif.

En effet, le recours était entaché de nombreuses irrecevabilités. D’une part, il était tardif. D’autre part, le représentant de l’association ne justifiait pas de sa qualité pour agir en justice au nom de celle-ci. De plus, l’association a outrepassé son objet social qui consiste à défendre les intérêts des contribuables communaux de Dourdan, ne justifiant ainsi pas d’un intérêt à agir contre le permis d’aménager, lequel n’engageait pas de dépenses pour la commune. Aussi, le recours n’avait pas été notifié au pétitionnaire en méconnaissance de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme. Enfin, un précédent recours formé par la même association contre un premier permis d’aménager délivré au même pétitionnaire avait déjà été rejeté pour irrecevabilité par la CAA de Versailles 8)CAA de Versailles 1er décembre 2016, req. n° 14VE00683 : Inédit au recueil Lebon..

Et, selon la Cour, l’exercice abusif du recours a causé un préjudice moral au bénéficiaire du permis qui, dans l’attente de pouvoir disposer d’un permis ayant acquis un caractère définitif, n’a toujours pas pu mener à bien son projet d’aménagement et de vente de la parcelle à lotir.

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1. Aux termes de l’article R. 222-1 du CJA applicable : «  (…) les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours (…) peuvent, par ordonnance : (…) / 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n’est pas tenue d’inviter leur auteur à les régulariser ou qu’elles n’ont pas été régularisées à l’expiration du délai imparti par une demande en ce sens ».
2. Au motif que la CAA de Versailles avait fait une inexacte application de l’article R. 222-1 du CJA susmentionné. En effet, selon le Conseil d’État, l’irrecevabilité manifeste d’une requête présentée devant une CAA ne peut concerner que les conclusions présentées devant cette Cour, et non pas l’absence d’intérêt lui donnant qualité pour présenter sa demande de première instance (CE 9 mai 2018 Association des contribuables du Dourdannais en Hurepoix, req. n° 410424 : Inédit au Rec. Lebon).
3. Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique.
4. Signalons que, le même jour, la CAA de Paris a rejeté une demande de dommages et intérêts car, selon la Cour, si le droit au recours avait en l’espèce été mis en œuvre dans des conditions qui traduisent un comportement abusif de la part de la requérante, le lien direct entre l’exercice du recours et le préjudice allégué n’était pas établi (CAA de Paris 3 octobre 2019, req. n° 17PA24045).
5. Exposé des motifs de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique.
6. A notre connaissance, c’est la première fois qu’une cour déclare que le nouvel article L. 600-7 est d’application immédiate. Jusque-là, les juridictions ne l’avaient qu’implicitement admis en faisant application de celles-ci (V. CAA de Versailles 14 mars 2019, req. n° 16VE02590 : Inédit au recueil Lebon – CAA de Marseille 6 juin 2019, req. n° 18MA04951 et n° 18MA04928 : Inédit au recueil Lebon – CAA de Paris 3 octobre 2019, req. n° 17PA24045 : Inédit au recueil Lebon – CAA de Douai 17 septembre 2019, req. n° 17DA01402 : Inédit au recueil Lebon – CAA de Lyon 1er octobre 2019, req. n° 18LY04329 : Inédit au recueil Lebon).
7. Rapport «Propositions pour un contentieux des autorisations d’urbanisme plus rapide et plus efficace» réalisé par un groupe de travail présidé par Mme Maugüé, conseillère d’État, et déposé au ministre de la cohésion des territoires le 11 janvier 2018.
8. CAA de Versailles 1er décembre 2016, req. n° 14VE00683 : Inédit au recueil Lebon.

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