Faute de pouvoir contester l’avis de la CNAC, la commune d’implantation d’un projet peut demander l’annulation de la décision prise par son maire sur une demande de permis de construire en tant qu’il se prononce sur l’autorisation d’exploitation commerciale sollicitée

Catégorie

Aménagement commercial

Date

February 2022

Temps de lecture

4 minutes

CE 24 janvier 2022 Société Année distribution et autres, req. n° 440164 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

Dans cette affaire, la société Guignen Dis II sollicitait la délivrance d’un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale (PCVAEC) en vue de la création d’un hypermarché d’une surface de vente de 2 500 m² sur le territoire de la commune de Guignen (35580).

Après deux avis défavorables émis successivement par la commission départementale de l’aménagement commerciale (CDAC) de l’Ille-et-Vilaine, le 12 juillet 2018, puis par la commission nationale de l’aménagement commercial (CNAC), le 8 novembre 2018, la société pétitionnaire a présenté un projet modifié qui été favorablement accueilli par la CDAC le 28 janvier 2019. Saisie par des sociétés concurrentes – les sociétés Année distribution et autres – , la CNAC  s’est prononcée défavorablement le 4 avril 2019 estimant notamment que le projet aurait, malgré quelques améliorations, des effets négatifs sur les centres bourgs environnants et l’équilibre des implantations commerciales en raison de son dimensionnement excessif.

Alors en situation de compétence liée 1)Aux termes de l’article R. 425-22-1 du code de l’urbanisme : « Lorsque le projet a été soumis pour avis à la commission départementale d’aménagement commercial en application de l’article L. 752-4 du code de commerce, le permis de construire ne peut être délivré en cas d’avis défavorable de la commission départementale d’aménagement commercial ou, le cas échéant, de la Commission nationale d’aménagement commercial »., le maire de la commune de Guignen a refusé le PCVAEC par arrêté du 13 mai 2019.

Saisie, d’une part, par cette commune d’une requête tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de l’avis de la CNAC et, d’autre part, d’une requête de la société pétitionnaire tendant à l’annulation de l’arrêté lui refusant la délivrance du permis, la Cour administrative d’appel (CAA) de Nantes a annulé, le 28 février 2020, ces deux actes et a enjoint au maire de statuer à nouveau sur la demande de la société Guignen Dis II après un nouvel examen du projet par la CNAC 2)CAA Nantes 28 février 2020, req. n° 19NT02099 et 19NT02156..

Les sociétés Année distribution et autres ont alors saisi le Conseil d’Etat d’un pourvoi en cassation dirigé contre cet arrêt ainsi que d’une requête tendant à ce qu’il soit sursis à son exécution.

Le Conseil d’Etat a dans un premier temps rejeté cette demande de sursis à exécution au motif que la Cour n’avait qu’enjoint au maire de Guignen de statuer à nouveau sur la demande de permis et que cet arrêt ne pouvait alors être regardé comme susceptible d’entrainer des conséquences difficilement réparables pour les sociétés requérantes quand bien même la Cour se serait fondée sur des motifs entachés d’erreur de droit 3)CE 12 octobre 2020, req. n° 440168..

Statuant alors sur le pourvoi en cassation, après avoir rappelé les dispositions des articles L. 425-4 code de l’urbanisme et L. 752-17 du code de commerce, le Conseil d’Etat juge que :

« l’avis de la commission départementale d’aménagement commercial ou de la Commission nationale d’aménagement commercial a le caractère d’un acte préparatoire à la décision prise par l’autorité administrative sur la demande de permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale, seule décision susceptible de recours contentieux ».

Il rappelle qu’en conséquence si la commune d’implantation du projet n’est pas recevable à demander l’annulation pour excès de pouvoir de cet avis, elle est en revanche recevable à contester par cette voie, la décision de son maire en tant seulement qu’il se prononce sur l’autorisation d’exploitation commerciale sollicité, pourvu qu’elle justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour agir.

Cette position n’est cependant pas nouvelle.

Le juge administratif avait déjà qualifié à plusieurs reprises cet avis d’acte préparatoire insusceptible de faire l’objet d’un recours direct pour excès de pouvoir 4)CAA Lyon 21 novembre 2019 SAS Benco, req. n° 19LY01161 ; CAA Nantes 22 décembre 2020, req. n° 19NT03415 ; CE 7 octobre 2020 Société Chalondis, req. n° 420483. et la CAA de Lyon avait également affirmé qu’il est loisible à la commune d’implantation du projet de demander l’annulation du PCVAEC délivré par son maire en tant qu’il accorde une autorisation d’exploitation commerciale 5)CAA Lyon 17 juin 2021 Cne de Scionzier, req. n° 20LY02574..

Enfin, relevant que les sociétés Année distribution et autres n’ont été ni mises en cause, ainsi qu’elles auraient dû l’être, ni représentées dans la procédure dont était saisie la CAA de Nantes, le Conseil d’Etat juge qu’elles ne sont pas recevables à former un pourvoi en cassation contre l’arrêt qu’elles entendent contester. Ce dernier étant toutefois dans cette mesure susceptible de préjudicier à leurs droits, le Conseil d’Etat juge que leurs conclusions doivent être regardées comme une requête en tierce opposition qu’il convient de renvoyer à la CAA de Nantes.

Ce faisant, le Conseil d’Etat confirme qu’une procédure juridictionnelle tendant à l’annulation d’un refus de permis de construire rendu à la suite d’un avis défavorable de la CNAC est de nature à préjudicier aux droits de l’auteur du RAPO contre la décision favorable rendue par la CDAC.

Il s’inscrit ainsi dans le prolongement des précédentes décisions par lesquelles le juge administratif avait affirmé, d’une part, que l’auteur du recours contre la décision favorable de la CDAC devait avoir la qualité de partie en défense à l’instance concernant la contestation de la décision de refus de permis valant AEC nécessairement prise à la suite de la décision défavorable de la CNAC 6)CE 3 juillet 2020 Société Rodrigue, req. n° 420346 ; v. commentaire sur notre blog. ou, qu’à défaut d’avoir été régulièrement appelé ou représenté dans cette instance, il devait être recevable à contester, par la voie de la tierce opposition, l’arrêt finalement rendu 7)CAA Lyon 12 mars 2020 Société IF Allodon et SCI Massonex, req. n° 19LY02980..

 

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References   [ + ]

1. Aux termes de l’article R. 425-22-1 du code de l’urbanisme : « Lorsque le projet a été soumis pour avis à la commission départementale d’aménagement commercial en application de l’article L. 752-4 du code de commerce, le permis de construire ne peut être délivré en cas d’avis défavorable de la commission départementale d’aménagement commercial ou, le cas échéant, de la Commission nationale d’aménagement commercial ».
2. CAA Nantes 28 février 2020, req. n° 19NT02099 et 19NT02156.
3. CE 12 octobre 2020, req. n° 440168.
4. CAA Lyon 21 novembre 2019 SAS Benco, req. n° 19LY01161 ; CAA Nantes 22 décembre 2020, req. n° 19NT03415 ; CE 7 octobre 2020 Société Chalondis, req. n° 420483.
5. CAA Lyon 17 juin 2021 Cne de Scionzier, req. n° 20LY02574.
6. CE 3 juillet 2020 Société Rodrigue, req. n° 420346 ; v. commentaire sur notre blog.
7. CAA Lyon 12 mars 2020 Société IF Allodon et SCI Massonex, req. n° 19LY02980.

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