“In house” et appréciation du “contrôle analogue” : l’exigence d’une participation au capital et aux organes de direction de l’entité

Catégorie

Contrats publics

Date

January 2013

Temps de lecture

5 minutes

CJUE 29 novembre 2012 Econord SpA, aff. C-182/11

CAA Lyon 7 novembre 2012 association pour la défense du cadre de vie de Marsannay-la-Côte, req. n° 12LY00811

Le mois de novembre 2012 a été marqué par deux arrêts – l’un de la CJUE, l’autre de la CAA de Lyon – précisant les conditions de la reconnaissance d’un « contrôle analogue » à celui exercé par une personne publique sur ses propres services dans le cas d’un pluricontrôle public d’une structure, c’est-à-dire l’association de plusieurs personnes publiques au sein d’une même structure.

Depuis la très remarquée jurisprudence Teckal, l’attribution de gré à gré d’un marché à un opérateur est justifiée dans l’hypothèse où, tout à la fois, la personne publique exerce sur cet opérateur un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services et où celui-ci réalise l’essentiel de son activité avec la ou les personnes publiques qui exercent ce contrôle[1].

Le juge de l’Union européenne a précisé que la présence même minoritaire d’une personne privée au capital de l’entité exclut en toute hypothèse que la personne publique associée exerce sur l’entité un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services[2]. Sans affirmer exactement l’inverse, la cour a considéré que le contrôle par plusieurs personnes publiques de la totalité du capital d’une structure, sans être décisif, tendait à indiquer qu’un « contrôle analogue » était exercé sur ladite structure[3].

Plus précisément, le juge de l’Union européenne reconnait l’applicabilité de l’exception « in house » aux structures contrôlées par des personnes publiques en admettant que « dans le cas où une autorité publique s’affilie à une société coopérative intercommunale dont tous les affiliés sont des autorités publiques, en vue de lui transférer la gestion d’un service public, le contrôle que les autorités affiliées à cette société exercent sur celle-ci, pour être qualifié d’analogue au contrôle qu’elles exercent sur leurs propres services, peut être exercé conjointement par ces autorités, statuant, le cas échéant, à la majorité »[4].

Il n’est donc pas exigé que chacune des autorités publiques détienne à elle seule un pouvoir de contrôle individuel sur l’entité.

Néanmoins, par ces deux arrêts, les juges ont affirmé que ce contrôle public conjoint devait réserver un certain espace à chacune des personnes publiques participant à la structure, pour que ce contrôle puisse être effectivement exercé conjointement, et non par une seule des personnes publiques.

S’agissant de la décision de la CJUE,  plusieurs communes italiennes avaient constitué une structure pour prendre en charge le service de propreté sur leurs territoires. Or sur 173 785 actions, la seule commune de Varese en détenait 173 647, les 318 actions restantes étant réparties entre 36 communes de la province de Varese, lesquelles détenaient chacune entre 1 et 19 actions. Les communes avaient néanmoins souscrit à un pacte d’actionnaires leur donnant le droit d’être consultées, de nommer un membre du commissariat aux comptes et de prendre part à la désignation d’un conseiller d’administration, avec l’accord de toutes les autres communes membres.

La CJUE affirme que le contrôle public conjoint de l’entité est reconnu « lorsque chacune de ces autorités participe tant au capital qu’aux organes de direction de ladite entité », en renvoyant à la juridiction nationale le soin de vérifier si le pacte d’actionnaires permet aux communes minoritaires de « contribuer effectivement au contrôle » de l’entité. L’avocat général avait également proposé de renvoyer cette appréciation au juge national, mais en émettant des doutes sur l’effectivité de l’influence susceptible d’être exercée par les communes italiennes[5].

La décision de la cour administrative d’appel de Lyon fait directement écho à cette jurisprudence européenne.

Par une délibération du 25 octobre 2010, le conseil municipal de Marsannay-la-Côte avait approuvé un projet de concession d’aménagement avec la société publique locale d’aménagement de l’agglomération dijonnaise (SPLAAD), dont elle détenait une partie du capital à hauteur de 1,076%. Se plaçant dans le cadre de l’exception « in house », la commune n’avait prévu aucune procédure de publicité ou de mise en concurrence préalable.

Une association et un syndicat ont contesté cette application du « in house », moyen accueilli par la cour administrative d’appel de Lyon. Le juge s’appuie d’une part sur la participation réduite à 1,076 % de la commune au capital de la SPLAAD, d’autre part sur le fait qu’elle ne dispose pas d’un représentant propre au sein de son conseil d’administration, qui pourtant détermine les orientations de l’activité de la société, veille à leur mise en œuvre et approuve les concessions d’aménagement. Ainsi, elle ne pouvait participer directement à l’édiction des décisions importantes de la société publique d’aménagement et ne pouvait donc être regardée comme exerçant, même conjointement avec les autres collectivités détenant le capital de la SPLAAD, un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services. L’exception du « in house » ne pouvait donc s’appliquer.

Cette solution applique la logique dégagée par la décision de la CJUE, les conclusions de l’avocat général ayant été publiées dès l’été 2012. La commune de Marsonnay-La-Côte et la SPLAAD ont formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat, ce qui permettra de confirmer cette approche, ou de défier le juge européen.

Relevons que la loi n° 2010-559 du 28 mai 2010 créant les sociétés publiques locales avait pour objectif affiché d’entrer dans les critères d’application de l’exception « in house », par le seul intermédiaire d’une détention publique conjointe du capital[6] – sans exiger de participation minimale au capital ni de représentation obligatoire de tous les associés au conseil d’administration. Ces positions jurisprudentielles défendent de considérer que le seul respect des dispositions législatives applicables aux sociétés publiques locales permettrait de bénéficier d’une exception « in house ».

Pour s’assurer de l’application de l’exception « in house » aux contrats qu’elles passeront avec une société publique locale, les collectivités doivent ainsi éviter toute adhésion de pure forme, associant détention peu représentative du capital et absence de participation aux organes d’administration de la SPL : le contrôle analogue, s’il peut s’exercer conjointement, doit être effectivement partagé. 

 

  1. CJCE 18 novembre 1999 Teckal, aff.  C 107/98, Rec. p. I 812.1
  2. « […] la participation, fût-elle minoritaire, d’une entreprise privée dans le capital d’une société à laquelle participe également le pouvoir adjudicateur en cause exclut en tout état de cause que ce pouvoir adjudicateur puisse exercer sur cette société un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services […] » (CJCE 11 janvier 2005 Stadt Halle et RPL Lochau Gmbh aff.C-26/03).
  3. « […] la circonstance que le pouvoir adjudicateur détient, seul ou ensemble avec d’autres pouvoirs publics, la totalité du capital d’une société adjudicataire tend à indiquer, sans être décisive, que ce pouvoir adjudicateur exerce sur cette société un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services […] » (CJCE 11 mai 2006 Carbotermo SpA, aff. C-340/04).
  4. CJCE 13 novembre 2008 Coditel Brabant, C-324/07.
  5. http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:62011CC0182:FR:HTML
  6. Débats parlementaires du 4 juin 2009 sur la société publique locale : « […] l’objet de cette proposition de loi est de doter nos collectivités et leurs groupements d’un nouvel outil d’intervention. Ce nouvel instrument leur permettra de contracter avec une société publique locale en tenant compte de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes qui précise les conditions dans lesquelles une collectivité peut être dispensée d’appliquer les règles communautaires en ce qui concerne les marchés publics ; elle explicite en particulier la notion de in house, autrement dit, en français, les « prestations intégrées […] » (http://www.senat.fr/seances/s200906/s20090604/s20090604007.html#int782

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