Le Conseil d’Etat précise l’office du juge du contrat lorsqu’il est saisi d‘une demande indemnitaire des cocontractants

Catégorie

Contrats publics

Date

December 2023

Temps de lecture

3 minutes

CE 27 novembre 2023 SNCF Voyageurs, req. n° 462445 : mentionné aux T. du Rec. CE

Par une décision du 27 novembre 2023, le Conseil d’Etat précise l’office du juge en matière de contentieux de l’exécution d’un contrat.

L’établissement public SNCF Mobilités, devenu aujourd’hui la société SNCF Voyageurs, a conclu avec la région PACA un contrat d’exploitation des services ferroviaires régionaux pour la période 2007-2016.

Alors que la région versait en principe à la SNCF une contribution financière dont les modalités de calcul étaient définies contractuellement, en 2016 elle en a unilatéralement fixé le montant à la baisse par voie de délibération.

La SNCF a donc saisi le tribunal administratif afin d’obtenir le versement d’un solde, à titre principal sur le fondement de la responsabilité contractuelle et, à titre subsidiaire, sur le fondement de la responsabilité quasi-contractuelle et quasi-délictuelle.

En défense, la région PACA se contentait d’invoquer le caractère illicite du contenu du contrat par la voie de l’exception, afin que le juge écarte son application et statue sur le terrain extracontractuel. Elle n’en contestait donc pas la validité par le biais d’un recours de plein contentieux.

Or, malgré l’absence de conclusion en ce sens le tribunal administratif, considérant que le mécanisme de compensation financière prévu par le contrat constituait en réalité une aide l’Etat illégale, a prononcé l’annulation du contrat. Il a en outre ordonné une expertise avant-dire droit afin de déterminer le montant du préjudice de la SNCF.

La SNCF a interjeté appel du jugement en tant qu’il annulait le contrat, tout en se désistant de ses conclusions indemnitaires. La cour administrative d’appel a rejeté sa demande et a confirmé l’annulation d’office prononcée en première instance, en estimant que le contrat avait un contenu illicite.

Dans le cadre du pourvoi introduit par la SNCF, le Conseil d’Etat statue donc sur l’office du juge du contrat saisi d’un litige relatif à l’exécution.

Il commence par rappeler sa solution de principe relative à l’exigence de loyauté contractuelle 1)CE 28 décembre 2009 commune de Béziers, req. n° 304802 : au Rec. CE :

« 2 (…) lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l’exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel. »

Puis il juge en l’espèce que le tribunal a méconnu son office en annulant le contrat alors qu’il était saisi d’un litige indemnitaire, relatif à l’exécution.

Selon les conclusions du rapporteur public, « permettre au juge de l’exécution d’annuler d’office le contrat aurait pour effet de déposséder le requérant de ses conclusions indemnitaires au profit de la mise en accusation d’un contrat qu’il n’entendait nullement contester. Cela reviendrait à permettre au juge de provoquer un changement de la portée de la requête en mettant en jeu la survie juridique de l’acte là où les parties entendaient seulement garantir la poursuite de son exécution ».

Le Conseil d’Etat tire les conclusions de cette erreur des premiers juges et retient en conséquence que la cour a, elle, commis une erreur de droit en omettant de la relever d’office.

Le moyen tiré de ce que les premiers juges ont méconnu leur office en annulant un contrat dans le cadre d’un litige relatif à son exécution, dans le cadre duquel l’illicéité n’était invoquée que par voie d’exception, constitue donc un moyen d’ordre public.

Le rapporteur public considère ici que « l’erreur commise par le TA, dans la mesure où elle a pour effet (…) de bouleverser les équilibres subtils du contentieux contractuel, est bien trop grave pour que sa correction soit laissée entre les seules mains des parties. »

Enfin, le Conseil d’Etat, faisant usage des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative se saisit de l’affaire au fond et annule le jugement en tant qu’il annulait le contrat litigieux.

Tout en reprécisant les contours de l’office du juge du contrat, cette décision prolonge le mouvement initié par les décisions Béziers 2)[1] Ibid – CE 21 mars 2011 commune de Béziers, req. n° 304806 : publié au Rec. CECE 27 février 2015 commune de Béziers, req. n° 357028 : au Rec. CE tendant à en réduire les causes d’anéantissement.

 

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