La CJUE défend le pouvoir d’appréciation des acheteurs pour exclure ou non un opérateur économique de la procédure de passation d’un marché public

Catégorie

Contrats publics

Date

January 2024

Temps de lecture

3 minutes

CJUE 21 décembre 2023 Infraestruturas de Portugal et Futrifer Indústrias Ferroviárias, aff. C-66/22

Par un arrêt de la grande chambre du 21 décembre 2023, la CJUE se prononce sur le pouvoir d’appréciation du pouvoir adjudicateur dans l’exclusion d’un opérateur économique précédemment condamné par l’Autorité nationale de la concurrence en raison d’une infraction aux règles de concurrence.

En l’espèce, Infraestruturas de Portugal, entreprise publique d’infrastructures ferroviaires et routières portugaises, a attribué à Futrifer un marché public pour l’achat de chevilles et de traverses en bois de pin traitées à la créosote.

A la suite du rejet de son recours en annulation introduit contre cette décision, la société Toscca, concurrente évincée, a interjeté appel devant le Tribunal Central Administrativo Norte (tribunal administratif central du nord), qui a condamné Infraestruturas de Portugal Tribunal à lui attribuer le marché.

La Cour administrative suprême du Portugal, saisie de pourvois introduits par Infraestruturas de Portugal et Futrifer, a relevé que l’attributaire avait antérieurement été condamné par l’Autorité de la concurrence portugaise pour violation du droit de la concurrence dans le cadre de procédures de passation de marchés publics organisées par le même pouvoir adjudicateur. C’est dans ce contexte qu’elle a saisi la CJUE d’une demande préjudicielle portant sur l’interprétation de l’article 57, paragraphe 4, premier alinéa de la directive 2014/24/UE 1)Directive 2014/24/UE du parlement européen et du Conseil du 24 février 2014 sur la passation des marchés publics.

Elle se demande notamment si :

  • Le législateur national peut limiter la possibilité de l’acheteur d’exclure une offre ;
  • Le pouvoir adjudicateur est lié par une décision de l’autorité de la concurrence infligeant une sanction pour violation des règles de concurrence ;
  • La décision du pouvoir adjudicateur sur la fiabilité de l’opérateur économique au regard du respect des règles de la concurrence doit être motivée.

1.

Tout d’abord, la CJUE considère que les Etats membres ont l’obligation de transposer l’article 57, paragraphe 4, premier alinéa, de la directive 2014/24 dans leur droit national, en laissant au pouvoir adjudicateur « le choix de décider d’exclure ou non un opérateur économique d’une procédure de passation d’un marché public pour l’un des motifs énumérés à cette disposition », à moins que les États membres ne décident de transformer cette faculté d’exclusion en obligation.

Les États membres doivent donc prévoir soit la faculté, soit l’obligation pour les pouvoirs adjudicateurs d’appliquer les motifs d’exclusion facultatifs énumérés à l’article 57, paragraphe 4, premier alinéa.

2.

Ensuite, cette obligation de transposition doit être combinée avec le pouvoir des pouvoirs adjudicateurs d’apprécier la fiabilité et l’intégrité des opérateurs économiques participant à la procédure de passation 2)CJUE 19 juin 2019 Meca, aff. C‑41/18, point 34 – CJUE 3 octobre 2019 Delta Antrepriza de Constructji si Montaj 93, aff. C‑267/18, point 25.

Ainsi, la CJUE précise que l’article 57, paragraphe 4, premier alinéa, sous d), de la directive 2014/24 s’oppose à ce que les règlementations nationales limitent la faculté des pouvoirs adjudicateurs d’exclure un candidat ou un soumissionnaire en raison d’un comportement susceptible de fausser les règles de concurrence à la procédure de passation d’un marché public.

A cet égard, la Cour estime que la règlementation portugaise, « qui lie l’appréciation de l’intégrité et de la fiabilité des soumissionnaires aux conclusions d’une décision de l’autorité nationale de la concurrence relative, notamment, à la participation future à une procédure de passation d’un marché public, porte atteinte au pouvoir d’appréciation dont doit jouir le pouvoir adjudicateur dans le cadre de l’article 57, paragraphe 4, premier alinéa, de la directive 2014/24. »

Ainsi, les acheteurs bénéficient d’un pouvoir décisionnel sur l’exclusion ou non d’un candidat de la conclusion d’un marché. L’existence d’une sanction de l’autorité nationale de concurrence excluant un opérateur économique des procédures de passation futures n’impose pas au pouvoir adjudicateur de s’y conformer si l’intégrité et la fiabilité d’un soumissionnaire permettent l’exécution du marché et s’il décide que son exclusion n’est pas justifiée au regard du principe de proportionnalité.

De même, l’absence de décision de l’autorité de la concurrence n’empêche pas un acheteur d’exclure une offre conformément aux motifs prévus par la directive.

3.

Enfin, la CJUE rappelle l’obligation faite au pouvoir adjudicateur, au nom du principe général de bonne administration, de motiver sa décision d’exclure un soumissionnaire, mais également de ne pas exclure un opérateur qui se trouve dans l’un des cas facultatifs prévus par l’article 57, paragraphe 4, premier alinéa, sous d), de la directive 2014/24.

En effet, le refus d’exclure un opérateur économique affecte nécessairement les autres opérateurs économiques participant à la procédure, qui doivent dès lors pouvoir introduire un recours contre cette décision sur la base des motifs avancés par le pouvoir adjudicateur.

 

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References   [ + ]

1. Directive 2014/24/UE du parlement européen et du Conseil du 24 février 2014 sur la passation des marchés publics
2. CJUE 19 juin 2019 Meca, aff. C‑41/18, point 34 – CJUE 3 octobre 2019 Delta Antrepriza de Constructji si Montaj 93, aff. C‑267/18, point 25

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