La clause « anti-spéculation » du code de l’expropriation est conforme à la Constitution même en cas d’« expropriation pour revendre » permettant à l’expropriant le bénéfice d’une plus-value

Catégorie

Droit administratif général

Date

June 2021

Temps de lecture

3 minutes

Décision n°2021-915/916 QPC du 11 juin 2021

1.    La question posée : l’application de la clause anti-spéculation en cas d'”expropriation pour revendre” est-elle conforme à la Constitution ?

La question prioritaire de constitutionnalité transmise par la Cour de cassation portait sur la conformité à la Constitution de la combinaison des alinéas 2 et 4 de l’article L. 322-2 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique aux termes duquel :

« Les biens sont estimés à la date de la décision de première instance.

Toutefois, et sous réserve de l’application des dispositions des articles L. 322-3 à L. 322-6, est seul pris en considération l’usage effectif des immeubles et droits réels immobiliers un an avant l’ouverture de l’enquête prévue à l’article L. 1 ou, dans le cas prévu à l’article L. 122-4, un an avant la déclaration d’utilité publique ou, dans le cas des projets ou programmes soumis au débat public prévu par l’article L. 121-8 du code de l’environnement ou par l’article 3 de la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, au jour de la mise à disposition du public du dossier de ce débat ou, lorsque le bien est situé à l’intérieur du périmètre d’une zone d’aménagement concerté mentionnée à l’article L. 311-1 du code de l’urbanisme, à la date de publication de l’acte créant la zone, si elle est antérieure d’au moins un an à la date d’ouverture de l’enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique.

Il est tenu compte des servitudes et des restrictions administratives affectant de façon permanente l’utilisation ou l’exploitation des biens à la date correspondante pour chacun des cas prévus au deuxième alinéa, sauf si leur institution révèle, de la part de l’expropriant, une intention dolosive.

Quelle que soit la nature des biens, il ne peut être tenu compte, même lorsqu’ils sont constatés par des actes de vente, des changements de valeur subis depuis cette date de référence, s’ils ont été provoqués par l’annonce des travaux ou opérations dont la déclaration d’utilité publique est demandée, par la perspective de modifications des règles d’utilisation des sols ou par la réalisation dans les trois années précédant l’enquête publique de travaux publics dans l’agglomération où est situé l’immeuble ».

Les requérants soutenaient que, cette disposition – qui permet l’évaluation des biens expropriés selon leur usage effectif à la date de référence et sans prise en compte des changements de valeur intervenus depuis cette date – est inconstitionnelle lorsqu’elle est appliquée à l’évaluation d’un bien destiné à être revendu par l’expropriant.

En effet, selon eux, elles ne permettraient pas au juge de l’expropriation d’accorder une juste et intégrale indemnité dès lors qu’elles lui imposent d’évaluer ce bien en considération de son seul usage effectif à une date située très en amont de celle à laquelle il fixe le montant de l’indemnité, sans lui permettre de tenir compte du prix auquel l’expropriant entend vendre le bien, dans des conditions déjà connues et lui permettant de réaliser une plus-value substantielle certaine.

La cour de cassation avait considéré que la question posée était sérieuse au motif que cette disposition est de nature à créer un déséquilibre entre les intérêts de l’exproprié et ceux de l’expropriant, celui-ci étant protégé de la spéculation foncière qui aurait pu bénéficier à l’exproprié, tout en étant assuré d’en tirer lui-même profit.

2.   La réponse du Conseil constitutionnel : la clause anti-spéculation est conforme à la Constitution même lorsque l’expropriant profite d’une plus-value en revendant le bien exproprié

Le contentieux devant le Conseil constitutionnel a été particulièrement suivi par les associations représentants les maires et les collectivités locales ainsi que par les établissement fonciers locaux et leurs représentants. Nombre d’entre eux ont, en effet, présenté des observations en intervention dans le cadre du litige.

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel relève en réponse à l’argumentation des requérants :

  • premièrement que l’expropriation d’un bien ne peut être prononcée qu’à la condition qu’elle réponde à une utilité publique préalablement et formellement constatée, sous le contrôle du juge administratif ;
  • deuxièmement, qu’en interdisant au juge de l’expropriation, lorsqu’il fixe le montant de l’indemnité due à l’exproprié, de tenir compte des changements de valeur subis par le bien exproprié depuis la date de référence lorsqu’ils sont provoqués par l’annonce des travaux ou opérations dont la déclaration d’utilité publique est demandée par l’expropriant, les dispositions contestées visent à protéger ce dernier contre la hausse de la valeur vénale du bien résultant des perspectives ouvertes par ces travaux ou opérations ;
  • troisièmement, que pour assurer la réparation intégrale du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation, le juge peut tenir compte des changements de valeur subis par le bien exproprié depuis la date de référence à la suite de circonstances autres que celles prévues au dernier alinéa de l’article L. 322-2 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique. À ce titre, il peut notamment prendre en compte l’évolution du marché de l’immobilier pour estimer la valeur du bien exproprié à la date de sa décision.

Au regard de ces éléments, le Conseil Constitutionnel considère que les dispositions contestées ne portent pas atteinte à l’exigence selon laquelle nul ne peut être privé de sa propriété que sous la condition d’une juste et préalable indemnité et déclare donc les dispositions de l’article L. 322-2 du code de l’expropriation conformes à la constitution.

 

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