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Cass. 3e civ. 13 juillet 2022 M. et Mme Y., req. n° 21-16.408 : publié au Bulletin
Seulement 3 mois après avoir confirmé que l’action en démolition fondée sur la méconnaissance d’un cahier des charges de lotissement se prescrivait par trente ans (Cass. 3e civ. 6 avril 2022 M. B., req. n° 21-13.891 : publié au Bulletin – v. égal. notre article sur ce sujet), la 3e chambre civile de la Cour de cassation s’est de nouveau penchée sur le droit applicable à de telles actions dans le périmètre d’un lotissement.
Dans cette affaire, une société civile immobilière avait acquis, le 15 décembre 2011, un lot de lotissement sur lequel était édifiée une ancienne villa, en lieu et place de laquelle elle l’a remplacé par un bâtiment d’habitation collectif comportant 6 logements avec piscine.
M. et Mme. Y, propriétaire d’un lot de ce même lotissement depuis 2001, occupé par une villa voisine du bâtiment d’habitation collectif, ont assigné la société afin d’obtenir, à titre principal, la démolition des ouvrages édifiés et, subsidiairement, des dommages-intérêts.
Cette action était fondée sur la méconnaissance des stipulations du cahier des charges du lotissement, et notamment d’une stipulation imposant aux colotis d’implanter leur construction dans un carré de 30 mètres sur 30 mètres.
Si la caractérisation de la violation de cette stipulation n’a semble-t-il pas posé de difficulté, et ne soulève pas d’intérêt particulier, les conséquences qui en découlent doivent être notées.
En effet, les requérants fondaient leur demande en démolition sur l’article 1143 du code civil, tel qu’il était en vigueur avant la réforme du droit des contrats issue de l’ordonnance n° 2016-131, lequel disposait que le créancier avait le droit de demander que ce qui a été fait [le bâtiment d’habitation collectif] par contravention à l’engagement [le cahier des charges du lotissement] soit détruit.
Ces dispositions demeuraient applicables à leur situation puisque le cahier des charges du lotissement était vraisemblablement antérieur à l’entrée en vigueur de la réforme (cf. art. 9, ord. n° 2016-131). Cela semble être confirmé au regard de la date d’acquisition des lots, en 2001 et 2011.
La jurisprudence judiciaire appliquait ainsi les dispositions de l’article 1143 en ordonnant la démolition sans que les colotis les invoquant n’avaient « à justifier d’un préjudice » (Cass. 3e civ. 21 juin 2000, req. n° 98-21-.129 : publié au Bull.).
Or, dans la décision du 13 juillet 2022, la Cour de cassation ne fait pas de la démolition une sanction automatique à la méconnaissance du cahier des charges puisqu’elle apprécie la proportionnalité d’une telle mesure d’exécution :
« Ayant retenu qu’il était totalement disproportionné de demander la démolition d’un immeuble d’habitation collective dans l’unique but d’éviter aux propriétaires d’une villa le désagrément de ce voisinage, alors que l’immeuble avait été construit dans l’esprit du règlement du lotissement et n’occasionnait aucune perte de vue ni aucun vis-à-vis, la cour d’appel, qui a fait ressortir l’existence d’une disproportion manifeste entre le coût de la démolition pour le débiteur et son intérêt pour les créanciers, a pu déduire, de ces seuls motifs, que la demande d’exécution en nature devait être rejetée et que la violation du cahier des charges devait être sanctionnée par l’allocation de dommages-intérêts ».
On ne peut que constater que les termes utilisés par la Cour de cassation s’inspirent fortement du nouvel article 1221 du code civil en vertu duquel si un créancier peut poursuivre l’exécution en nature d’une obligation, cette exécution forcée pourra trouver un obstacle « s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier ».