La dérogation prévue par l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative supprimant l’appel pour les recours dirigés contre certaines autorisations d’urbanisme ne s’applique pas aux refus d’autorisation

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

December 2015

Temps de lecture

6 minutes

CE 25 novembre 2015 Commune de Montreuil, req. n° 390370 : mentionné aux T. Rec. CE

Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat rappelle que les dispositions de l’article R. 811-1-1 donnant compétence aux tribunaux administratifs pour statuer en premier et dernier ressort sur les recours exercés contre certaines autorisations d’urbanisme délivrées en « zone tendue » dérogent au principe du double degré de juridiction énoncé à l’article R. 811-1 du même code et doivent par conséquent être d’interprétation stricte. Il en résulte que le jugement se prononçant sur un recours exercé contre un refus d’autorisation peut faire l’objet d’un appel.

Le décret n° 2013-879 du 1er octobre 2013 relatif au contentieux de l’urbanisme a institué des règles particulières destinées à accélérer le délai de traitement des recours en matière d’urbanisme.

Ainsi en est-il de la règle dite de « cristallisation des moyens » introduite à l’article R. 600-4 du code de l’urbanisme permettant au juge, saisi d’une demande en ce sens, de fixer une date au-delà de laquelle des moyens nouveaux ne peuvent plus être invoqués.

Il en est également ainsi des dispositions de l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative (CJA) 1) Art. R. 811-1-1 CJA : « Les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d’habitation ou contre les permis d’aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d’une des communes mentionnées à l’article 232 du code général des impôts et son décret d’application.
Les dispositions du présent article s’appliquent aux recours introduits entre le 1er décembre 2013 et le 1er décembre 2018
».
, lesquelles suppriment la faculté de faire appel des jugements rendus sur des recours dirigés contre un permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d’habitation ou contre un permis d’aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté sur le territoire d’une commune dans laquelle il existe un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logements, entraînant des difficultés sérieuses d’accès au logement sur l’ensemble du parc résidentiel existant 2) Ces zones dites « tendues » au sein desquelles est instituée une taxe annuelle sur les logements vacants sont définies au 1er alinéa de l’article 232 du CGI : « I.- La taxe annuelle sur les logements vacants est applicable dans les communes appartenant à une zone d’urbanisation continue de plus de cinquante mille habitants où existe un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logements, entraînant des difficultés sérieuses d’accès au logement sur l’ensemble du parc résidentiel existant, qui se caractérisent notamment par le niveau élevé des loyers, le niveau élevé des prix d’acquisition des logements anciens ou le nombre élevé de demandes de logement par rapport au nombre d’emménagements annuels dans le parc locatif social. Un décret fixe la liste des communes où la taxe est instituée »..

D’après la notice du décret du 1er octobre 2013, cette suppression de l’appel vise à « réduire le délai de traitement des recours qui peuvent retarder la réalisation d’opérations de construction de logements ».

Cette compétence donnée aux tribunaux administratifs pour statuer en premier et dernier ressort déroge, à titre expérimental 3) Elle ne s’applique qu’aux recours introduits entre le 1er décembre 2013 et le 1er décembre 2018., au principe énoncé à l’article R. 811-1 selon lequel « toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu’elle n’aurait produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance ». Il s’ensuit que les jugements rendus sur les recours précités ne peuvent être contestés que par la voie d’un pourvoi en cassation, présenté devant le Conseil d’Etat.

En l’espèce, un permis de construire deux bâtiments sur le territoire de la commune de Montreuil, classée en « zone tendue » par le décret du 10 mai 2013 4) Décret n° 2013-392 du 10 mai 2013 relatif au champ d’application de la taxe annuelle sur les logements vacants instituée par l’article 232 du code général des impôts. a été refusé par un arrêté du maire de cette commune le 4 décembre 2014.

La société pétitionnaire a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Montreuil, qui l’a annulée par un jugement du 26 mars 2015.

La commune de Montreuil a interjeté appel devant la cour administrative d’appel de Montreuil, mais cette dernière, estimant qu’elle était saisie de conclusions relevant de la compétence du Conseil d’Etat, a transmis la requête par ordonnance à la Haute juridiction conformément à l’article R. 351-2 du CJA 5) Art. 351-2 CJA : « Lorsqu’une cour administrative d’appel ou un tribunal administratif est saisi de conclusions qu’il estime relever de la compétence du Conseil d’Etat, son président transmet sans délai le dossier au Conseil d’Etat qui poursuit l’instruction de l’affaire. Si l’instruction de l’affaire révèle que celle-ci relève en tout ou partie de la compétence d’une autre juridiction, la sous-section d’instruction saisit le président de la section du contentieux qui règle la question de compétence et attribue, le cas échéant, le jugement de tout ou partie des conclusions à la juridiction qu’il déclare compétente »..

Faisant une interprétation stricte des dispositions de l’article R. 811-1-1 du CJA, le Conseil d’Etat considère dans la décision commentée que seuls sont rendus en premier et dernier ressort les jugements statuant sur les recours formés contre les autorisations mentionnées dans cet article et non ceux statuant sur des refus d’autorisation.

Il en déduit qu’un tel jugement peut faire l’objet d’un appel et renvoie ainsi l’affaire devant la cour administrative d’appel de Montreuil 6) A l’exception des conclusions manifestement irrecevables de la société pétitionnaire car dirigées contre les motifs et non contre le dispositif du jugement du TA de Montreuil, rejetées d’emblée par le Conseil d’Etat « nonobstant les règles de répartition des compétences entre juridictions administratives », sur le fondement de l’article R. 351-4 du CJA. :

« Considérant qu’en vertu des dispositions de l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative, issu du décret du 1er octobre 2013 relatif au contentieux de l’urbanisme, les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours, introduits entre le 1er décembre 2013 et le 1er décembre 2018, dirigés contre ” les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d’habitation ou contre les permis d’aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d’une des communes mentionnées à l’article 232 du code général des impôts et son décret d’application ” ;

Considérant que ces dispositions, qui ont pour objectif, dans les zones où la tension entre l’offre et la demande de logements est particulièrement vive, de réduire le délai de traitement des recours pouvant retarder la réalisation d’opérations de construction de logements bénéficiant d’un droit à construire, dérogent aux dispositions du premier alinéa de l’article R. 811-1 du code de justice administrative qui prévoient que ” toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif… peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance “, et doivent donc s’interpréter strictement ; qu’il résulte des termes mêmes de l’article R. 811-1-1 qu’il ne vise que des jugements statuant sur des recours dirigés contre des autorisations de construire, de démolir ou d’aménager et non les jugements statuant sur des recours formés contre des refus d’autorisation ;

Considérant que la demande formée par la SCI La Capsulerie devant le tribunal administratif de Montreuil tendait à l’annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté du 14 octobre 2014 [sic] par lequel le maire de la commune de Montreuil a refusé de lui délivrer un permis de construire ; qu’il résulte de ce qui a été dit précédemment que le jugement ayant statué sur cette demande n’a pas été rendu en dernier ressort ;

Considérant, dès lors, qu’il y a lieu de renvoyer à la cour administrative d’appel de Versailles le jugement de la requête de la commune de Montreuil qui présente le caractère d’un appel ».

Cette décision, qui rappelle l’exigence d’interprétation stricte de la dérogation prévue par l’article R. 811-1-1 du CJA, s’inscrit dans le prolongement de décisions récentes dans lesquelles le Conseil d’Etat avait été amené à préciser la notion de bâtiment à usage principal d’habitation au sens de cet article 7)Voir CE 9 octobre 2015 M. C., req. n° 393032 : mentionné aux T. Rec. CE : « Considérant que ces dispositions, qui ont pour objectif, dans les zones où la tension entre l’offre et la demande de logements est particulièrement vive, de réduire le délai de traitement des recours pouvant retarder la réalisation d’opérations de construction de logements, dérogent aux dispositions du premier alinéa de l’article R. 811-1 du code de justice administrative qui prévoient que ” toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif… peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance “, et doivent donc s’interpréter strictement ; que si, en l’espèce, la commune d’Hardricourt figurait, à la date du permis attaqué, sur la liste des communes annexée au décret du 10 mai 2013 relatif au champ d’application de la taxe annuelle sur les logements vacants instituée par l’article 232 du code général des impôts et si la demande de M. C…a été présentée après le 1er décembre 2013, il ressort des pièces du dossier que le permis de construire litigieux autorise l’installation d’une tente démontable sur une terrasse du jardin du château d’Hardricourt destinée à accueillir des réceptions ; qu’une telle construction ne constitue pas un bâtiment à usage principal d’habitation au sens des dispositions de l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative ; » et CE 29 décembre 2014 Commune de Poussan, req. n° 385051..

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1. Art. R. 811-1-1 CJA : « Les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d’habitation ou contre les permis d’aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d’une des communes mentionnées à l’article 232 du code général des impôts et son décret d’application.
Les dispositions du présent article s’appliquent aux recours introduits entre le 1er décembre 2013 et le 1er décembre 2018
».
2. Ces zones dites « tendues » au sein desquelles est instituée une taxe annuelle sur les logements vacants sont définies au 1er alinéa de l’article 232 du CGI : « I.- La taxe annuelle sur les logements vacants est applicable dans les communes appartenant à une zone d’urbanisation continue de plus de cinquante mille habitants où existe un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logements, entraînant des difficultés sérieuses d’accès au logement sur l’ensemble du parc résidentiel existant, qui se caractérisent notamment par le niveau élevé des loyers, le niveau élevé des prix d’acquisition des logements anciens ou le nombre élevé de demandes de logement par rapport au nombre d’emménagements annuels dans le parc locatif social. Un décret fixe la liste des communes où la taxe est instituée ».
3. Elle ne s’applique qu’aux recours introduits entre le 1er décembre 2013 et le 1er décembre 2018.
4. Décret n° 2013-392 du 10 mai 2013 relatif au champ d’application de la taxe annuelle sur les logements vacants instituée par l’article 232 du code général des impôts.
5. Art. 351-2 CJA : « Lorsqu’une cour administrative d’appel ou un tribunal administratif est saisi de conclusions qu’il estime relever de la compétence du Conseil d’Etat, son président transmet sans délai le dossier au Conseil d’Etat qui poursuit l’instruction de l’affaire. Si l’instruction de l’affaire révèle que celle-ci relève en tout ou partie de la compétence d’une autre juridiction, la sous-section d’instruction saisit le président de la section du contentieux qui règle la question de compétence et attribue, le cas échéant, le jugement de tout ou partie des conclusions à la juridiction qu’il déclare compétente ».
6. A l’exception des conclusions manifestement irrecevables de la société pétitionnaire car dirigées contre les motifs et non contre le dispositif du jugement du TA de Montreuil, rejetées d’emblée par le Conseil d’Etat « nonobstant les règles de répartition des compétences entre juridictions administratives », sur le fondement de l’article R. 351-4 du CJA.
7. Voir CE 9 octobre 2015 M. C., req. n° 393032 : mentionné aux T. Rec. CE : « Considérant que ces dispositions, qui ont pour objectif, dans les zones où la tension entre l’offre et la demande de logements est particulièrement vive, de réduire le délai de traitement des recours pouvant retarder la réalisation d’opérations de construction de logements, dérogent aux dispositions du premier alinéa de l’article R. 811-1 du code de justice administrative qui prévoient que ” toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif… peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance “, et doivent donc s’interpréter strictement ; que si, en l’espèce, la commune d’Hardricourt figurait, à la date du permis attaqué, sur la liste des communes annexée au décret du 10 mai 2013 relatif au champ d’application de la taxe annuelle sur les logements vacants instituée par l’article 232 du code général des impôts et si la demande de M. C…a été présentée après le 1er décembre 2013, il ressort des pièces du dossier que le permis de construire litigieux autorise l’installation d’une tente démontable sur une terrasse du jardin du château d’Hardricourt destinée à accueillir des réceptions ; qu’une telle construction ne constitue pas un bâtiment à usage principal d’habitation au sens des dispositions de l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative ; » et CE 29 décembre 2014 Commune de Poussan, req. n° 385051.

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