La méconnaissance de l’obligation d’inscrire le montant et le mode de calcul des droits d’entrée et des redevances dans la convention de délégation de service public n’est pas de nature à justifier l’annulation du contrat en litige

Catégorie

Contrats publics, Droit administratif général

Date

September 2020

Temps de lecture

5 minutes

CE 10 juillet 2020 Commune de La Guérinière, req. n° 434353 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

Le Conseil d’Etat fait prévaloir le principe de loyauté des relations contractuelles en considérant que l’absence de justification dans une convention de délégation de service public du montant et du mode de calcul des droits d’entrée et des redevances dus par le délégataire, n’est pas un motif d’annulation du contrat.

Le 27 décembre 2007, la commune de La Guérinière a confié à la société Les Moulins une convention de délégation de service public l’autorisant, pour 15 ans, à exploiter un camping municipal sur l’île de Noirmoutier. Par une décision du 13 février 2015, le maire de la commune a prononcé, avec effet immédiat, la résiliation du contrat pour faute du délégataire, au motif qu’il ne payait plus ses redevances.

La société Les Moulins a contesté la décision prise par deux séries d’actions.

Par une première requête, elle a demandé la reprise des relations contractuelles et l’annulation de la convention en raison de la méconnaissance de l’obligation posée à l’article L 1411-2 du code général des collectivités territoriales 1)Depuis l’entrée en vigueur le 1er avril 2019 de l’ordonnance n° 2018-1074 du 26 novembre 2018, ces dispositions sont désormais transposées aux contrats de concession tel qu’il ressort de l’article L. 3114-4 du code de la commande publique : « Les montants et les modes de calcul des droits d’entrée et des redevances versées par le concessionnaire à l’autorité concédante doivent être justifiées dans le contrat de concession. », dans sa version applicable en l’espèce, tenant à la justification du montant et des modes de calcul des droits d’entrée et des redevances versés par le délégataire à la collectivité délégante dans les conventions de délégations de service public. Par ce motif, la société Les Moulins a sollicité la condamnation de la commune à lui verser une somme de 1,7 million d’euros au titre des redevances dont elle estime s’être indûment acquittée en application du contrat. Par un jugement du 14 mars 2018 2)TA Nantes 14 mars 2018, req. n° 1501506 et 1501529, le tribunal administratif de Nantes a fait partiellement droit à sa demande en annulant le contrat et en condamnant la commune à verser une somme de plus de 420 000 euros. Par un arrêt du 19 juillet 2019 3)CAA Nantes 19 juillet 2019, req. n° 18NT01946, 18NT01961 et 19NT00746, la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté l’ensemble des appels formés contre ce jugement.

Par une seconde requête, la société Les Moulins a demandé la condamnation de la commune à lui verser une somme de plus de 3 millions d’euros au titre de la part des investissements non encore amortis à la date de la résiliation du contrat. Par un jugement du 23 mai 2018 4)TA Nantes 23 mai 2018, req. n° 1600180, le tribunal administratif de Nantes a, là encore, fait partiellement droit à sa demande en condamnant la commune, sur le terrain de la responsabilité quasi-contractuelle du fait de l’annulation du contrat par le précédent jugement, à verser la moitié de la somme demandée au titre des dépenses utiles. Par un arrêt du 19 juillet 2019 5)CAA Nantes 19 juillet 2019, req. n° 18NT02517 et 19NT01961, la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté l’appel formé par la commune et porté la somme mise à sa charge à plus de 2 millions d’euros.

La commune de La Guérinière a alors formé deux pourvois en cassation, lesquels ont été joints dès lors que la résolution du second dépend de la solution du premier.

La question à trancher était la suivante : la méconnaissance de l’obligation posée à l’article L. 1411-2 du code général des collectivités territoriales peut-elle être rangée parmi les motifs d’annulation du contrat ? Le litige doit-il donc être tranché sur le terrain contractuel ou quasi-contractuel ?

Pour y répondre, le Conseil d’Etat rappelle, dès le premier considérant, le principe issu de l’arrêt Béziers I 6)CE Assemblée 28 décembre 2009 Commune de Béziers, req. n° 304802 : publié au recueil Lebon selon lequel le juge saisi d’un recours de plein contentieux tenant à l’exécution d’un contrat administratif, est tenu d’en écarter l’application uniquement lorsque le contrat est entaché soit d’une irrégularité tenant au caractère illicite du contenu du contrat, soit d’un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement.

Dans ses conclusions, la rapporteure publique Mireille Le Corre décrit l’interprétation stricte retenue par le Conseil d’Etat pour apprécier ces deux hypothèses d’annulation. Il en ressort que la première est admise lorsque l’objet même du contrat est entaché d’illicéité 7)CE 9 novembre 2018 Société Cerba et Caisse nationale d’assurance maladie, req. n° 420654 : publié au recueil Lebon : « Le contenu d’un contrat ne présente un caractère illicite que si l’objet même du contrat, tel qu’il a été formulé par la personne publique cocontractante pour lancer la procédure de passation du contrat ou tel qu’il résulte des stipulations convenues entre les parties qui doivent être regardées comme le définissant, est, en lui-même, contraire à la loi, de sorte qu’en s’engageant pour un tel objet le cocontractant de la personne publique la méconnaît nécessairement » Abstract tandis que la seconde, peu retenue, s’apparente à l’existence d’un dol 8)CE 19 décembre 2007 Société Campenon Bernard et autres, req. n° 268918 : publié au recueil Lebon.

Dans la présente affaire, la circonstance que la convention prévoit dans son principe le versement de redevances par le délégataire sans en justifier le montant ne répond à aucun des motifs d’annulation : l’objet du contrat n’est pas lui-même entaché d’illégalité et l’existence d’un vice d’une particulière gravité entachant le consentement des parties n’est pas établie, de sorte que le contenu même du montage financier ne peut être remis en cause. La rapporteure publique qualifie le vice comme « le seul irrespect d’une obligation formelle de justification ».

Le Conseil d’Etat va plus loin en considérant que la méconnaissance de l’article L. 1411-2 du code général des collectivités territoriales pourrait être régularisée, ce qui fait définitivement échec à l’annulation du contrat :

« 4. Il ressort des énonciations de l’arrêt contesté que la cour administrative d’appel a qualifié la convention du 27 décembre 2007 en litige de délégation de service public et a estimé en conséquence applicables les dispositions précitées de l’article L. 1411-2 du code général des collectivités territoriales aux termes desquelles, dans sa version alors applicable : ” Les montants et les modes de calcul des droits d’entrée et des redevances versées par le délégataire à la collectivité délégante doivent être justifiés dans ces conventions (…) “. Elle a souverainement relevé que cette convention prévoyait le versement d’une redevance à la commune sans comporter de stipulations portant justification du montant ou du mode de calcul de cette redevance et en a déduit la méconnaissance des dispositions précitées de l’article L 1411-2. Une telle omission, qui ne donne pas un caractère illicite au contrat ni n’affecte les conditions dans lesquelles les deux parties ont donné leur consentement et peut, au demeurant, être régularisée, n’est pas de nature à justifier, en l’absence de toute autre circonstance particulière, que dans le cadre d’un litige entre les parties, l’application de ce contrat soit écartée. Par suite, la cour a commis une erreur de qualification juridique en estimant que la méconnaissance des dispositions de l’article L. 1411-2 du code général des collectivités territoriales constituait, à elle seule, un vice d’une particulière gravité justifiant l’inapplication de la convention au litige. »

Il en résulte que l’annulation du premier arrêt rendu par la cour administrative d’appel emporte l’annulation du second dès lors que le litige tenant à la validité de la décision de résiliation unilatérale et ses conséquences indemnitaires doit être apprécié non pas sur le terrain quasi-contractuel mais en application des stipulations contractuelles.

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References   [ + ]

1. Depuis l’entrée en vigueur le 1er avril 2019 de l’ordonnance n° 2018-1074 du 26 novembre 2018, ces dispositions sont désormais transposées aux contrats de concession tel qu’il ressort de l’article L. 3114-4 du code de la commande publique : « Les montants et les modes de calcul des droits d’entrée et des redevances versées par le concessionnaire à l’autorité concédante doivent être justifiées dans le contrat de concession. »
2. TA Nantes 14 mars 2018, req. n° 1501506 et 1501529
3. CAA Nantes 19 juillet 2019, req. n° 18NT01946, 18NT01961 et 19NT00746
4. TA Nantes 23 mai 2018, req. n° 1600180
5. CAA Nantes 19 juillet 2019, req. n° 18NT02517 et 19NT01961
6. CE Assemblée 28 décembre 2009 Commune de Béziers, req. n° 304802 : publié au recueil Lebon
7. CE 9 novembre 2018 Société Cerba et Caisse nationale d’assurance maladie, req. n° 420654 : publié au recueil Lebon : « Le contenu d’un contrat ne présente un caractère illicite que si l’objet même du contrat, tel qu’il a été formulé par la personne publique cocontractante pour lancer la procédure de passation du contrat ou tel qu’il résulte des stipulations convenues entre les parties qui doivent être regardées comme le définissant, est, en lui-même, contraire à la loi, de sorte qu’en s’engageant pour un tel objet le cocontractant de la personne publique la méconnaît nécessairement » Abstract
8. CE 19 décembre 2007 Société Campenon Bernard et autres, req. n° 268918 : publié au recueil Lebon

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