Une nouvelle fiche technique de la direction des affaires juridiques sur les marchés de services juridiques

Catégorie

Contrats publics

Date

November 2012

Temps de lecture

7 minutes

Les marchés de services juridiques (fiche DAJ)

La direction des affaires juridiques (DAJ) a publié, le 18 octobre 2012, une nouvelle fiche technique destinée à conseiller les acheteurs publics sur la façon de préparer et de mettre en œuvre la passation de leurs marchés de services juridiques.

Plusieurs points méritent d’être soulignés.

1 L’allotissement des marchés de services juridiques

A propos de l’obligation d’allotissement du marché, la DAJ recommande à juste titre  de ne pas s’appuyer sur l’arrêt du Conseil
d’Etat commune d’Ajaccio[1]qui avait validé la division d’un marché en un lot consacré aux prestations de conseil juridiques et un lot consacré à la représentation en justice[2].

En effet, comme nous l’avions souligné dans un précédent article[3], ce type d’allotissement est non seulement critiquable sur le plan juridique (les prestations de conseil et de représentation en justice ne nous semblent pas véritablement distinctes), mais également et surtout totalement inopportun pour les acheteurs publics.

S’il souhaite tirer profit de l’allotissement du marché, un acheteur public aura tout intérêt à répartir les prestations en fonction des domaines du droit concerné afin de désigner le meilleur avocat pour chaque matière faisant l’objet d’un lot, celui-ci ayant vocation à assurer tout à la fois les prestations de conseil et d’assistance contentieuse dans le domaine juridique intéressé.

2 La forme du prix et les modalités de rémunération des marchés de prestations juridiques

Concernant les modalités de rémunération des prestataires juridiques, la DAJ formule des observations particulièrement réalistes, et préconise notamment la méfiance envers les taux horaires bas susceptibles de leurrer l’acheteur public, ce que nous avions déjà pu souligner[4].

Si la facturation au coût horaire est certainement la méthode la plus réaliste pour assurer un paiement adéquat des prestations juridiques, l’analyse de la qualité de l’offre de prix formulée doit être conduite avec vigilance. Ainsi, tenir compte du seul taux horaire ne permet pas de garantir qu’une offre présente effectivement le prix le plus bas : une fois le marché remporté, l’avocat peut en effet être tenté de multiplier artificiellement le nombre d’heures facturées pour pallier le bas niveau de prix qu’il aura proposé sans que celui-ci ne corresponde à ses charges réelles.

Pour éviter cet écueil, l’acheteur public pourra aisément solliciter un coût horaire, mais également une estimation moyenne des temps nécessaires à l’accomplissement de prestations juridiques les plus classiques (DQE détaillant la rédaction d’écritures contentieuses, les consultations, éventuellement différenciées selon différents niveaux de difficulté, la validation de pièces déjà élaborées par les services tels que des projets de délibération, de rapports de synthèse, de procès-verbaux, etc…). Le critère du prix sera alors noté au regard du taux horaire, mais en tenant compte également des moyennes estimées de temps passé. Ces moyennes n’auraient pas un caractère contractuel (sauf à ce que le prix devienne alors forfaitaire) mais elles permettraient à l’acheteur public, au cours de l’exécution du marché, de conserver un repère d’analyse intéressant pour déceler une éventuelle surfacturation.

Egalement, la DAJ précise que le recours à un prix forfaitaire suppose une définition précise des besoins par le cahier des charges, exercice dont elle souligne la difficulté.

Dans le cadre des missions d’assistance à la passation d’importants contrats publics (missions d’AMO « projets »), ce sujet pose effectivement de grandes difficultés. D’une part, certains cahiers des charges renvoient à la réalisation de « tout document utile », sans aucune autre précision. D’autre part, même si les missions sont plus précisément définies, les prestataires juridiques sont dans l’incapacité de prévoir de nombreux évènements susceptibles d’intervenir pendant une procédure de passation : clarté et exhaustivité des informations transmises au moment de l’élaboration du DCE, nombre de questions des candidats, nombre de candidatures déposées à analyser, nombre d’offres remises à contrôler, nombre de candidats admis à la négociation, intensité de la phase de négociation… Certaines collectivités intègrent même dans les missions d’une AMO à prix forfaitaire le coût de la représentation en justice comprenant tous les contentieux susceptibles de naître du fait de la procédure de passation. De telles missions s’avèrent particulièrement complexes à chiffrer de manière forfaitaire.

Si le caractère forfaitaire du prix peut séduire les personnes publiques parce qu’il permet une visibilité du coût d’une assistance, il convient néanmoins de souligner que de telles missions d’AMO « projets » portent souvent sur des contrats dont les montants
dépassent les dizaines de millions d’euros. L’assistance attentive et maîtrisée de la procédure de passation exige à notre sens une rémunération au temps passé, représentative de l’effort et des soins apportés à la préparation de contrats d’envergure ayant vocation à engager significativement les finances publiques et ce sur plusieurs années.

Toujours sur le sujet des modalités de rémunération d’un prestataire juridique, la DAJ formule une remarque assez ambigüe, puisqu’elle semble affirmer que les acheteurs publics disposeraient de la faculté de déterminer à l’avance le prix de prestations juridiques[5]. Une telle  pratique nous parait toutefois contraire au principe de la libre négociation des honoraires des avocats posé
par l’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, qui est paradoxalement rappelé explicitement par la fiche.

3 Les possibilités de passation de gré à gré de certains marchés de services juridiques

Prenant en considération la spécificité des besoins juridiques, la DAJ rappelle différentes hypothèses autorisant la passation directe d’un marché de services juridiques.

S’agissant des marchés dont le montant estimé est inférieur à 15 000 EUR HT, elle rappelle qu’ils sont dispensés d’obligation de publicité et de mise en concurrence, le pouvoir adjudicateur pouvant faire directement appel à l’avocat de son choix, de gré à gré.

Cette disposition s’avère intéressante pour les collectivités confrontées à un besoin juridique ponctuel et qui (i) soit disposent déjà d’un assistant juridique régulier dont la mission ne comprend pas ce besoin, (ii) soit ne disposent pas de prestataire juridique régulier.

Sont également dispensés d’une telle obligation de publicité et de mise en concurrence les marchés qui ont pour objet de faire face à une urgence impérieuse[6]. La DAJ rappelle que trois conditions doivent alors être réunies : les circonstances doivent être imprévisibles pour le pouvoir adjudicateur, elles ne doivent pas lui être imputables et enfin, les conditions de passation du marché
doivent être incompatibles avec les délais exigés par les procédures passées après publicité et mise en concurrence. La notification d’un recours dans le cadre d’une procédure d’urgence (référé précontractuel, référé-suspension, référé provision ou encore référé expertise) nous semble de nature à justifier le recours à un tel marché. Au contraire, une mise en demeure de produire dans un très court délai dans le cadre d’un recours au fond introduit plusieurs mois auparavant pourrait ne pas apparaître comme non imputable au pouvoir adjudicateur.

Enfin, le marché complémentaire présente également un intérêt pour étendre les prestations prévues par un marché juridique, en les confiant au même avocat, lequel détient une parfaite connaissance des éléments de la mission première qui se voit ainsi complétée.

4 L’appréciation de la valeur technique d’une offre de prestations juridiques : l’exigence de production d’écrits juridiques

La DAJ apporte d’utiles précisions intéressant l’évaluation du critère de la valeur technique d’une offre de prestations juridiques.

Elle considère d’abord comme inopportun d’exiger des candidats la réalisation de consultations écrites circonstanciées (pratique
fondée sur la possibilité pour les acheteurs publics d’exiger des échantillons, maquettes ou prototypes concernant l’objet du marché[7]), alors pourtant que cette exigence a été validée par le juge administratif à la condition qu’elle soit en rapport avec l’objet et l’importance du marché[8].

La réticence de la DAJ tient au fait que la production d’écrits serait « susceptible de favoriser des pratiques déloyales », la DAJ faisant probablement référence ici au cas de l’avocat sortant qui, par sa connaissance approfondie de la personne publique, de ses attentes spécifiques et des dossiers qu’il a déjà traités, serait susceptible d’être avantagé par ce type d’exercice. Cette réserve nous parait effectivement utile même si, conduite sincèrement, cette démarche est certainement celle qui donnera à la personne publique l’idée la plus juste des compétences du candidat. D’un côté, il est en effet légitime que le pouvoir adjudicateur veuille évaluer la précision, la rigueur et la clarté rédactionnelle des candidats. De l’autre, il faut bien entendu que la note dont la production est demandée porte sur une question assez générale (il ne s’agit évidemment pas que l’acheteur public bénéficie ainsi de consultations gratuites). Enfin, il est bien évidemment nécessaire que la personne publique encadre le format de ces notes juridiques (par ex. à 2 ou 4 pages) de façon à mettre les candidats sur un pied d’égalité. En tout état de cause, nous ne pouvons que nous associer à l’analyse de la DAJ qui considère que la production d’un écrit original devrait donner lieu au versement d’une prime par le pouvoir adjudicateur, ce qui est particulièrement rare en pratique, alors qu’une telle prestation peut exiger un « investissement significatif » des candidats.

Une autre solution, qui a bien souvent les faveurs des avocats et qui donne à l’acheteur des garanties quasi-équivalentes, consiste à demander aux candidats de produire des écritures contentieuses ou des consultations récentes et rendues anonymes[9].

5 Le respect des obligations déontologiques applicables aux marchés de services juridiques

Si la DAJ rappelle les principales obligations déontologiques applicables aux marchés de services juridiques, nous pouvons regretter qu’elle n’ait pas attiré l’attention des acheteurs publics sur les difficultés posées par la réponse d’un avocat au sein d’un groupement
interprofessionnel, notamment lorsque le pouvoir adjudicateur exige la solidarité du groupement attributaire du marché[10].

Rappelons que les règles déontologiques applicables aux avocats leur interdisent de candidater à un marché prévoyant la
constitution d’un groupement solidaire et qui, en toute hypothèse, pourrait amener l’avocat à effectuer des prestations qui lui sont interdites [11].Il ne pourra pas non plus, pour les mêmes raisons, être mandataire solidaire d’un groupement conjoint [12].


[1] CE 21 mai 2010 Commune d’Ajaccio, req. n° 333737.

[2] « Un tel allotissement doit cependant être évité : il est particulièrement inopportun, en effet, de dissocier pour un même projet, la consultation juridique de la représentation en justice » (fiche DAJ p.3).« Un découpage incohérent des prestations se révèlera, en outre, peu opérationnel pour le pouvoir adjudicateur (cf. supra sur le caractère peu opportun de la distinction entre un lot « consultations  juridiques » et un lot « représentation en justice ») » (fiche DAJ, p. 3).

[3] N. NAHMIAS et L. GIVORD, Marchés publics d’avocats : du rififi dans Landerneau !, Contrats Publics, n°112,  juillet-août 2011, p. 64.

[4] V. en ce sens N. NAHMIAS et L. GIVORD, art. prec. p.6

[5] « Si la collectivité a choisi de déterminer à l’avance le prix fixé pour une procédure, la sélection des titulaires sera alors effectuée sur d’autres critères : capacité des candidats, engagement sur les délais d’intervention, par exemple. La DAJ sélectionne ainsi les avocats de l’Agent judiciaire de l’Etat, dont les tarifs des procédures sont fixés par le cahier des charges. » (fiche DAJ p. 7).

[6] Article 35-II du CMP

[7] Article 49 du CMP

[8] La CAA de Versailles a ainsi validé un règlement de consultation exigeant la production d’un avis circonstancié, sans contrepartie financière, sur la passation d’un marché de fourniture particulièrement important (achat de plus de 20 millions d’euros) – CAA Versailles 2 février 2012 Cabinet Bruno Kerm avocats Selas, req. n° 09VE01405

[9] V. en ce sens, N. NAHMIAS et L. GIVORD, art. prec., p.65.

[10] A la décharge de la DAJ, ce genre de réponse en groupement s’effectue dans le cadre d’un marché pluridisciplinaire et non dans celui d’un pur marché se services  juridiques qui constitue l’objet de la fiche commentée.

[11] Voir sur ce point particulier, N. NAHMIAS, Marché de prestations juridiques : Déontologie et contrôle de l’acheteur public, La Gazette des Communes, 10 septembre 2012, p. 56 et s.

[12] Voir sur ce point particulier, N. NAHMIAS, art. prec. p.58.

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