La relance du partenariat public-privé institutionnalisé

Catégorie

Contrats publics

Date

November 2013

Temps de lecture

6 minutes

Proposition tendant à la création de sociétés d’économie mixte dites SEM contrat – n° 1521, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 novembre 2013
Proposition de loi tendant à créer des sociétés d’économie mixte contrat – Texte n° 78
Proposition de loi tendant à créer des sociétés d’économie mixte contrat – Texte n° 80
Proposition de loi tendant à créer des sociétés d’économie mixte contrat – Texte n° 81

Le sujet n’est pas récent. La Commission européenne 1) Communication interprétative du 5 février 2008 puis le juge communautaire 2) CJCE 15 octobre 2009 Acoset SpA c/ Conférenza Sindaci et Presidenza Prov. Reg. ATO Idrico Ragusa, aff. C-196/08. ont déjà admis en 2008 et 2009 le principe d’un partenariat public-privé institutionnalisé. A l’époque, l’idée de la constitution d’une société regroupant la personne publique et le candidat à l’attribution du contrat pour permettre l’exécution de celui-ci a suscité beaucoup d’intérêt. Par un avis du 1er décembre 2009 3) Avis de la section administrative du Conseil d’Etat en date du 1er décembre 2009, n° 383264, Rapport public d’activité de 2010, p. 353 et suivantes., le Conseil d’Etat avait eu l’occasion d’exprimer des réserves sur ce mécanisme, à défaut pour les textes d’encadrer les conditions d’établissement de tels partenariats.

C’est quatre ans plus tard, les 16 octobre et 6 novembre dernier, qu’a été déposée devant le Sénat et l’Assemblée nationale une proposition de loi tendant à la création des « SEM contrats ». S’ajoutant aux SEM, aux SPL et aux SPLA, la « SEM contrat » est présentée comme un nouvel outil de gouvernance des services publics locaux. Il s’agit d’une société « one shot » : créée pour exécuter les obligations d’un seul contrat, elle cesse d’exister lorsque celui-ci s’achève. Toute poursuite d’activité passe par la transformation de la « SEM contrats » en un des outils classiques que sont la SEM, la SPL ou la SPLA.

Elle revêtira la forme d’une société anonyme, au capital duquel participeront :

– la personne publique ayant initié la passation du contrat.

La personne publique se voit garantir une participation au moins significative au capital de ces sociétés, puisque cette proposition prévoit qu’elle dispose a minima d’une minorité de blocage de 34 %. Outre la personne initiatrice du contrat, d’autres personnes publiques intéressées pourront participer au capital de la « SEM contrat ».

– et un opérateur privé, sélectionné après mise en œuvre d’une procédure de publicité et de mise en concurrence.

L’opérateur privé en question pourra être lui-même une société de projet réunissant les membres d’un groupement candidat par exemple. Celui-ci devra participer au moins à hauteur de 15 % dans le capital de la « SEM contrat ».

Les règles de publicité et de mise en concurrence à mettre en œuvre pour désigner l’opérateur privé qui participera au capital de la SEM sont tout à la fois classiques dans leur contenu, et novatrices dans leurs modalités d’application, tout en illustrant la complexité et l’enchevêtrement des règles applicables à la passation des contrats publics français.

Par principe, la personne publique respecte les principes fondamentaux de la commande publique pour désigner l’opérateur. Néanmoins, plusieurs options s’offrent à elle dans ce cadre.

D’une part, elle peut organiser son « appel à manifestation d’intérêt » selon la procédure de publicité et de mise en concurrence applicable à la nature du contrat qu’elle envisage de conclure avec la « SEM contrat ». Délégation de service public 4) L. 1411-1 et suivants du CGCT , concession de travaux 5) L. 1415-1 et suivants du CGCT , concession d’aménagement 6) L. 300-4 et suivants du code de l’urbanisme , contrat de partenariat 7) L. 1414-1 et suivants du CGCT , bail emphytéotique administratif 8) L. 1311-2 à L. 1311-4-1 du CGCT (alors pourtant que les BEA ne sont soumis à une procédure de publicité et de mise en concurrence qu’en tant qu’ils sont liés à une convention non-détachable elle-même qualifiée de marché public, de délégation de service public, de contrat de partenariat ou de concession de travaux publics) ou marché public 9) Code des marchés publics : presque tous sont visés. Si l’on devait être exhaustif toutefois, manquent les AOT constitutives de droits réels conclues en vue de l’accomplissement, pour le compte d’une personne publique, d’une mission de service public ou en vue de la réalisation d’une opération d’intérêt général relevant de sa compétence 10) L. 1311-5 et suivants du CGCT (relevons cependant que ce contrat ouvert aux CL n’est à ce jour expressément soumis à aucune obligation de publicité et mise en concurrence. .

Toutefois, le mécanisme retenu semble exiger de superposer les règles applicables à la passation du contrat envisagé et celles énoncées par les articles L. 1543-1 et suivants du CGCT pour obtenir une procédure irréprochable.

Ainsi, certaines règles se trouvent « universalisées », en ce sens qu’elles semblent applicables à tout « appel à manifestation d’intérêt » en vue de la création d’une « SEM contrat ». Tel est le cas des modalités de publication de l’avis d’appel public à candidatures, mais également de l’obligation d’informer les candidats évincés du rejet de leur offre et de respecter un délai de standstill (qui n’existe toujours pas dans le cadre de la passation des DSP par exemple). C’est encore le cas de la méthodologie de définition des critères de choix des propositions, qui devront notamment tenir compte « de la part de risque assumée par l’actionnaire opérateur » (on voit mal comment s’illustrera cette exigence dans le cadre de la passation d’un marché public ou d’un contrat de partenariat), mais également des exigences de développement durable.

La proposition semble par ailleurs organiser une phase d’« échange » avec les candidats, commune à tout « appel à manifestation d’intérêt », dont la portée devra être explicitée. En effet, celle-ci permettrait de solliciter des candidats « des clarifications, des précisions » mais également « des compléments ou des perfectionnements » des offres, ainsi que « la confirmation de certains des engagements, notamment financiers, qui y figurent ». Cependant, « ces demandes ne peuvent avoir pour effet de modifier les éléments fondamentaux de la proposition ou des caractéristiques essentielles de la société ou du contrat dont la variation est susceptible de fausser la concurrence ou d’avoir un effet discriminatoire ». Le texte prévoit au paragraphe suivant une discussion plus large avec les candidats dans le cadre de la procédure négociée ou du dialogue compétitif, ce qui exige de rester réservé sur la profondeur de l’échange qui pourra se tenir.

D’autre part, le texte du futur article L. 1541-2 du CGCT dispose que quelle que soit la nature contrat dont la passation est envisagée, la désignation de l’opérateur ayant vocation à entrer au capital de la SEM peut également se faire par le biais d’une procédure d’appel d’offres, d’une procédure négociée ou d’un dialogue compétitif, dans les conditions précisées par ces futurs articles L. 1543-1 et suivants du CGCT.

Il semble qu’il faille en comprendre que si le contrat à conclure est un marché public, que son montant dépasse les seuils d’application des procédures formalisées interdisant le recours à la négociation, et qu’aucune complexité n’autorise à mettre en œuvre un dialogue compétitif, la constitution d’une « SEM contrat » permettrait alors soit de mettre en œuvre une procédure négociée, soit de recourir au dialogue compétitif 11) Aucune condition de complexité n’étant prévue en l’état par ces articles L. 1541-1 et suivants du CGCT . La passation d’une délégation de service public pourrait dans l’absolu éviter la phase de négociation et se conclure par le biais d’un appel d’offres si la création d’une « SEM contrat » était prévue.

D’ores et déjà, ce mécanisme démontre toute la désorganisation qui régit aujourd’hui le droit des contrats publics français. Outre un amoncellement de contrats dont la nature et le régime de passation est distingué alors qu’ils présentent d’étroites similarités, viendra s’ajouter le cas de la création d’un outil institutionnel permettant de déroger partiellement aux règles de passation normalement applicables. Manifestement, cette dispersion de règles et de leurs exceptions pourrait gagner en simplicité comme en efficacité.

Enfin, c’est sans compter les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles pourraient se trouver soumis les contrats conclus par la « SEM contrat » une fois celle-ci constituée. En effet, si la collectivité décide de détenir plus de la moitié du capital et de jouer le rôle d’actionnaire majoritaire, la qualification d’« organisme de droit public » de la SEM pourrait se poser, s’il est considéré qu’elle a été créée pour satisfaire des besoins autres qu’industriels et commerciaux (alors qu’elle n’est créée que pour l’exécution d’un contrat, et qu’elle n’a pas vocation à agir comme un opérateur concurrentiel). La proposition prévoit que les sous-contrats dont la conclusion est prévue dans l’offre du candidat sont exonérés d’obligation de publicité et de mise en concurrence – mais la validité d’une telle mention reste à confirmer. Les modalités de gouvernance de la « SEM contrat » et l’innovation de fonctionnement dont pourraient faire preuve les pactes d’associés risquent ainsi de soulever d’autres questionnement juridiques.

Reste à voir le mécanisme qui sera finalement retenu – si celui-ci est maintenu, malgré les réactions de certaines organisations professionnelles 12) http://www.lemoniteur.fr/165-commande-publique/article/actualite/22762113-la-sem-contrat-proposition-dangereuse-denis-dessus-unsfa .

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1. Communication interprétative du 5 février 2008
2. CJCE 15 octobre 2009 Acoset SpA c/ Conférenza Sindaci et Presidenza Prov. Reg. ATO Idrico Ragusa, aff. C-196/08.
3. Avis de la section administrative du Conseil d’Etat en date du 1er décembre 2009, n° 383264, Rapport public d’activité de 2010, p. 353 et suivantes.
4. L. 1411-1 et suivants du CGCT
5. L. 1415-1 et suivants du CGCT
6. L. 300-4 et suivants du code de l’urbanisme
7. L. 1414-1 et suivants du CGCT
8. L. 1311-2 à L. 1311-4-1 du CGCT (alors pourtant que les BEA ne sont soumis à une procédure de publicité et de mise en concurrence qu’en tant qu’ils sont liés à une convention non-détachable elle-même qualifiée de marché public, de délégation de service public, de contrat de partenariat ou de concession de travaux publics
9. Code des marchés publics
10. L. 1311-5 et suivants du CGCT (relevons cependant que ce contrat ouvert aux CL n’est à ce jour expressément soumis à aucune obligation de publicité et mise en concurrence.
11. Aucune condition de complexité n’étant prévue en l’état par ces articles L. 1541-1 et suivants du CGCT
12. http://www.lemoniteur.fr/165-commande-publique/article/actualite/22762113-la-sem-contrat-proposition-dangereuse-denis-dessus-unsfa

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